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Le jardin extraordinaire du « Digital Paradise » de Miguel Chevalier

Pionnier dans l’art digital, Miguel Chevalier, artiste français né au Mexique était l’invité d’Adriana Alvarez-Nichol propriétaire de la galerie Puerta Roja à Hong-Kong du 9 au 19 octobre. Une première, dans l’ancienne colonie britannique, pour ce maître dans l’art virtuel mondialement reconnu qui a su séduire les très nombreux visiteurs, toutes générations confondues avec les oeuvres exceptionnelles de son « Digital Paradise ».

Trait d’Union : Depuis combien de temps créez-vous des oeuvres digitales ?

Miguel Chevalier : Je développe des oeuvres uniquement à partir de l’univers numérique depuis trente ans. A cette époque cet art paraissait complètement saugrenu à beaucoup de personnes du métier de l’art ! Trente ans après les mentalités ont évolué, tout le monde utilise des ordinateurs, des smarphones, internet et cela commence à bouleverser les idées qui étaient très réfractaires.

Trait d’Union : Etiez-vous considéré comme un joyeux illuminé dans le monde de l’art il y a trente ans ?

Miguel Chevalier : Non seulement pour un illuminé mais tout le monde pensait que l’outil informatique n’était qu’un moyen technique et qu’en aucun cas il était possible de créer et développer des univers poétiques en relation avec le monde dans lequel nous vivons.

Trait d’Union : Ce choix de l’art digital, est-ce un hasard ?

Miguel Chevalier : Je ne suis pas venu par hasard au monde du digital. En regardant l’histoire de la fin du 19ème siècle et du 20ème siècle on s’aperçoit qu’à chaque époque les artistes utilisent les moyens de leur temps. Un artiste comme Man-Ray, lorsqu’il voit les potentialités du monde de la photo, se dit que c’est un outil pour en faire une création à part entière. A partir des rayogrammes, il a montré que la photo n’était finalement pas qu’un moyen de reproduction mais que l’on pouvait en faire une création artistique à part entière. Des artistes plus proches de nous comme Najun Pei ou Bill Viola ont utilisé la vidéo et se sont emparés de ces moyens pour montrer que l’on pouvait aussi développer des créations à partir de ça. Lorsque l’on regarde l’histoire du 20ème siècle on s’aperçoit que tout le rapport des avant-gardes a toujours été de pousser la peinture plus loin pour la détruire : Fontana troue ses toiles et parle du « concepto spatiale », Yves Klein réduit la peinture à une seule couleur, un monochrome bleu, Daniel Buren dit « je suis le degré zéro de la peinture » et il s’intéresse à l’espace… A partir de là je me suis interrogé sur ce que je pouvais faire.

Trait d’Union : Plus précisément ?

Miguel Chevalier : C’est en voyant les avant-gardes qui ont tué la peinture que je me suis dit qu’il fallait aller sur d’autres territoires. Chaque artiste un peu persévérant dans l’univers dans lequel il se trouve s’approprie un territoire. Un artiste comme Soulages a en quelque sorte créé une écriture en soi, une forme d’abstraction avec le noir, l’outrenoir. Après lui c’est très difficile de régénérer de nouvelles idées par rapport à ce type de peinture parce qu’il a 94 ans et plus de 70 ans de travail intense sur un champ. Je suis arrivé à la fin des années soixante-dix, début des années 80, j’ai fait l’école des Beaux Arts de Paris puis l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. A cette époque, on commençait à parler d’une société de l’information, de l’informatique et je me suis dit pourquoi ne pas utiliser ces outils, non pas pour faire leur apologie mais pour essayer de développer une écriture qui parle de cette société en devenir qui aujourd’hui est une société du monde digital.

Trait d’Union : Ce monde digital n’était-il pas en rupture avec celui de la peinture ?

Miguel Chevalier : Beaucoup de personnes le pensaient. En fait il y a de très nombreux précurseurs qui sans savoir qu’un jour le monde de l’informatique viendrait, le préfigurent. Un artiste comme Monet voyant les potentialités de la photographie s’est dit « je ne vais pas faire un travail photographique, je vais essayer de capter le rapport au temps et au changement et travailler sur la lumière ». Les Fractal Flowers que j’expose ici travaillent cette question du temps de la transformation ! Un artiste comme Seurat qui a créé le mouvement pointilliste, s’est inspiré des théories de Chevreuil sur la diffraction de la lumière et au fond il préfigure le tube cathodique. Au 19ème mais aussi au 20ème siècle, des artistes comme Mondrian sont partis d’un travail figuratif pour aller vers le monde de la géométrie c’est une préfiguration du pixel, il y a de nombreux exemples comme celui-là.

Trait d’Union : Il est également possible de penser à Vasarely en regardant vos oeuvres…

Miguel Chevalier : Vasarely a ouvert la voie sur le cinétisme, l’art optique. Il est de toute évidence un précurseur. Lui-même codifiait ses couleurs comme aujourd’hui dans Photoshop chaque couleur a une codification. Tout cela montre comment ces artistes qui étaient à l’avant de ce qui se passait à leur époque ont oeuvré. Ma problématique était de prendre en compte ces artistes sans faire du pseudo Monet ou du pseudo Vasarely mais en essayant de faire ce qui est – je l’espère – mon originalité, du Chevalier en tant que tel !

Trait d’Union : Quelle est la spécificité de cette exposition Paradis Digital ?

Miguel Chevalier : C’est une exposition plutôt focalisée sur une des thématiques qui m’est chère, la nature et l’artifice. Dans ce rapport à l’artifice, j’ai développé un travail sur les plantes virtuelles. En tant qu’artiste, j’ai créé les Fractal Flowers, des plantes qui n’existaient pas à partir de graines virtuelles en m’inspirant des études que les botanistes réalisent pour simuler la croissance des plantes de manière virtuelle. Une douzaine de graines, qu’il a fallu modéliser et mettre ces plantes en algorithme : créer des tiges, des feuilles, un coeur, des pétales… Ce qui est intéressant dans l’art digital, c’est la possibilité de créer des oeuvres génératives. Ce ne sont pas des oeuvres préenregistrées sur une clé USB. Il y a une partie que je maîtrise mais ce monde digital permet de créer des formes de vie artificielle : ces graines poussent se développent, meurent et lorsqu’elles meurent elles créent des mutations entre la nouvelle plante et la nouvelle graine qui apparait. A partir de là j’ai créé un herbier et donné un nom à chaque plante. La Pixacantha Baudelairis en hommage à Baudelaire, la Purple Haze Artifilis Femina en hommage à Jimmy Hendrix, en fait ce sont toutes un peu des fleurs du mal… Cet herbier fait appel à un imaginaire lié au monde du surréalisme, des mathématiques, de la chanson…

Trait d’Union : Des fleurs du mal dans un paradis digital mais pas artificiel ?

Miguel Chevalier : Si un peu ! On en revient aux fleurs du mal ! Les paradis artificiels c’est tout ce qui a travaillé les années 70. L’informatique aujourd’hui c’est une nouvelle drogue. Il suffit de voir comment les enfants sont complètement accros à leurs portables où jeux vidéo… D’où l’idée de paradis artificiels car on se plonge, on s’immerge dans ces univers. On peut se poser la question au sens propre du terme si ces technologies digitales ne sont pas une des nouvelles drogues du 21 ème siècle.

Trait d’Union : Lorsque vous vendez une oeuvre, vendez-vous l’écran qui va avec ?

Miguel Chevalier : Nous vendons tout ! C’est un package ! La graine et l’écran. Aujourd’hui les nouveaux écrans sont formidables car ils deviennent une toile pour moi, au même titre que la toile pour le peintre. Ce support permet de travailler l’idée du mouvement. Ces écrans très fins sont de la même nature qu’un tableau et nous avons des tableaux qui s’animent à l’infini. Le monde digital devient un monde complémentaire de celui de la peinture, de la vidéo, de la photo. Il est possible d’acquérir des tableaux génératifs qui vont évoluer chez soi à l’infini.

Trait d’Union : Pour l’artiste, c’est aussi une certaine forme d’immortalité ?

Miguel Chevalier : Oui bien sûr ! La plupart des personnes pensent que l’art digital est un art éphémère qui ne trouve sa place que dans de l’événementiel ou des installations dans des grands musées mais cette exposition prouve le contraire. Ici il y a les oeuvres sur écran LCD mais pour les personnes qui pensent que je ne fais que du virtuel, nous sommes aujourd’hui dans un univers qui aborde ce que l’on appelle la troisième révolution : après la révolution industrielle et la révolution informatique il y a la révolution de l’impression de l’objet. Le virtuel peut s’imprimer avec les imprimantes 3D… Cela va indéniablement changer un certain nombre de choses dans le domaine de la sculpture contemporaine.

Trait d’Union : Et cela vous permet d’être également un artiste « réel », la boucle est bouclée…

Miguel Chevalier : Exactement ! Le monde d’aujourd’hui il vacille entre le réel et le virtuel. La bourse joue de tout cela, elle joue du virtuel car il y a une part de virtualité sur les cours boursiers mais ces cours sont aussi calculés sur des produits pétroliers, agricoles… tout cela fonctionne en tandem. Cette exposition permet d’avoir une meilleure appréhension de ce que peut être cet art du vingt et unième siècle.

Trait d’Union : Vos prochaines étapes en Asie ?

Miguel Chevalier : L’idée est que cette exposition soit le tremplin pour des projets futurs qui peuvent travailler l’espace public, moi ce qui me fascine ici en Asie, à Hong-Kong ou Shanghai c’est que les buildings sont peuplés de grands écrans LED. Je suis prêt avec tout ce que je développe depuis trente ans à montrer que l’on peut utiliser ponctuellement ces façades pour un événement particulier. Créer quelque chose qui puisse être donné à voir à tous les Hongkongais.

Trait d’Union : C’est un projet ?

Miguel Chevalier : Non c’est un souhait, entre les souhaits et la réalité il y a parfois une marge et je ne désespère pas que ce souhait devienne une réalité.

Trait d’Union : Si l’informatique n’avait pas existé il y a trente ans, auriez-vous quand même été artiste ?

Miguel Chevalier : Je voulais être artiste, je ne suis pas un autoditacte j’ai eu la chance de rencontrer des artistes au Mexique de baigner dans un monde culturel, cinématographique. Tout cela m’a aidé à me positionner dans une histoire et comment l’histoire permet de mieux comprendre ce qu’il faut faire pour l’avenir. Dans l’art il y a des courants ! Je ne sais pas ce que j’aurais fait mais l’informatique était là. A l’époque je me suis dit qu’un artiste comme Fernand Léger était représentatif de la société de la machine, industrielle comme le pop art était aussi représentatif de la société de la consommation et industrielle. Nous sommes une société de la consommation et industrielle, nous devenons une société informatique, il faut utiliser l’informatique pour traduire le monde qui est le nôtre !

www.miguel-chevalier.com et www.puerta-roja.com