Buenos Aires : un sud tout parisien de style et d’élégance
Souvent les plus belles cités fleurissent au bord de l’eau : que ce soit la mer ou l’océan, un lac ou un fleuve. Parfois, la beauté d’une baie ajoute une dimension supplémentaire à la palette : Rio, Sydney, San Francisco, Istanbul… Blottie tout au fond de l’estuaire du Rio de la Plata, Buenos Aires semble presque vouloir cacher au monde son univers de sud lointain. Envoûtante comme une belle sirène dont la musique revêt des airs de tango, elle est à la fois cosmopolite, fluviale et océane comme New York et surtout parisienne à l’excès sur la rive méridionale d’un fleuve à la connotation espagnole de « rio ». Par Christian Sorand
Les voyageurs disent souvent de Paris qu’il n’existe aucune autre cité fluviale semblable à la « ville lumière ». Alors c’est peut-être ce que les Argentins ont voulu contredire. Car nulle part ailleurs au monde, ne peut-on se sentir plus à Paris qu’à Buenos Aires ! Si le hasard veut que l’on y arrive par la gare routière ou ferroviaire (Estacion Retiro), cette impression tenace vous saisit d’emblée. Est-ce un rêve ? On est sans doute mal réveillé après une longue nuit de voyage ! Il faut pourtant vite se résigner à la réalité. Le taxi file vers l’hôtel et le chauffeur parle espagnol. Yeux écarquillés, il faut bien convenir aussi que la signalisation est écrite dans la langue de Cervantés !
L’incommensurable impression de se trouver sur les grandes artères bordées d’élégantes bâtisses, si caractéristiques de Paris-sur-Seine, restera dominante envers et contre tout ! Certes, ce n’est pas une illusion. Bienvenue à la cité des « Bons Vents », le Paris du Rio de la Plata ! Vamos amigo!
La plus européenne des villes d’Amérique latine
Sur le chemin lointain de l’aéroport international Ezeiza, on n’a pas du tout la même impression cette fois. On épouse surtout les proportions de cette mégalopolis. Car c’est une surprise : Buenos Aires détient la troisième place du palmarès des Amériques pour le nombre d’habitants après Sao Paulo et Mexico. Si la ville historique compte 3.1M d’habitants, le grand Buenos Aires totalise une population de 14.5M de Buenos-Airiens (Bonaerenses, en espagnol). Aux portes des étendues de la pampa argentine, cette ville ne cesse de surprendre. Alors, voici le Centro dont l’avenue du 9 Juillet (Avenida 9 de Julio) dévoile soudain l’obélisque monumental (Obelisco, haut de 67.5m) caractérisant la cité des « Bons vents » sur la place de la République (Plaza de la República). Le chauffeur précise qu’il s’agit de l’avenue la plus large existant au monde. Longue d’environ un kilomètre, elle commémore l’indépendance de l’Argentine, le 9 juillet 1816. Ici, les chauffeurs de taxis sont prolixes à souhait. Ils aiment parler de leur cité avec le tutoiement caractéristique des Sud-Américains. « Ah si tu es Frances, muy bueno señor »’ Sur le chemin de l’hôtel, le taxi passe alors devant l’incontournable Teatro Colón, joyau culturel de cette ville monumentale. Si ce n’était pas pour la multitude de tous les jacarandas en fleurs, on en serait presque à se demander si l’illusion n’est point vaine. Car les premières impressions perdurent. En marchant dans les rues du Mini Centro, les façades du Rio de la Plata sont une réplique parisienne. Larges portes d’entrée en bois vernis, rehaussées de heurtoirs dorés, magnifiquement ouvragés. De la superbe Plaza San Martin aux grands arbres séculaires, on descend alors Florida, la rue piétonne du centre jusqu’aux Galerías Pacífico, un étonnant centre commercial bâti sur le modèle du Bon Marché de Paris.
Quelle est-donc l’histoire de cette ville monumentale dont la prestance rivalise avec celle des grandes capitales européennes ? Les rues en damiers témoignent néanmoins d’un urbanisme colonial espagnol semblable à celui des Romains ou des Chinois.
Naissance et évolution de la ville
La première fondation de Buenos Aires date du XVIe. Elle explique l’origine du nom. En 1536, le navigateur espagnol Pedro de Mendoza (1487-1537), natif de Cadix, établit la colonie et la baptise Notre-dame-du-bon-vent (en espagnol : Nuestra Señora Santa Maria del Buen Ayre) en l’honneur de la Vierge de Cagliari, en Sardaigne, protectrice des navigateurs. Or, il fallut une seconde impulsion pour asseoir la pérennité de Buenos Aires. Ce fut l’œuvre du conquistador basque, Juan de Garay (1528-1583) en l’an 1580. Cette époque marque le véritable essor de la ville : place de mai (Plaza de Mayo, 1580, commémorant l’indépendance du pays, le 25 mai 1810) et autour de laquelle se trouvent la Maison rose (Casa Rosada, 1594, palais de la présidence argentine), le Cabildo (1608), la Cathédrale métropolitaine (Catedral Metropolitana de Buenos Aires, 1791) et enfin la Banque de la nation argentine (Banco de la Nación Argentina, 1891). Grâce à son port et au commerce du cuir provenant des troupeaux de bovins sauvages, la ville attire alors une forte immigration d’Espagnols et d’Italiens. Les troupes anglaises y débarquent à deux reprises : en 1806 et 1807. Puis à la fin du XIXe, la construction du chemin de fer favorise l’essor industriel de l’Argentine. Ce sont d’ailleurs les Britanniques qui construisent la gigantesque gare ferroviaire de Retiro. Au début du XXe, Buenos Aires édifie les plus hauts gratte-ciel d’Amérique du Sud, ouvre de larges avenues et se dote d’un métro (en 1913). On connaît ensuite les vicissitudes politico-militaires et l’avènement du péronisme. L’histoire moderne du pays est marquée par une démonstration de force instiguée par Juan Péron (1895-1974) le 17 octobre 1945 sur la place de mai. Les années 70 sont celles de la « guerre sale » (entre 10.000 et 30.000 enlèvements politiques) ponctuée par les marches silencieuses des mères des disparus. La défaite de la guerre des Malouines en 1982 marque alors la fin de la dictature et un retour à la démocratie. La crise économique surgit ensuite provocant le chômage entre 1998 et 2002.
L’activité économique a repris depuis. Et les Buenos-Airiens conservent le premier pouvoir d’achat d’Amérique latine par habitant. Surtout, la plus européenne des villes d’Amérique du Sud demeure un haut lieu de culture.
Une vie culturelle riche et diverse
Buenos Aires bénéficie d’une vie artistique et culturelle intense : musées, théâtres, bibliothèques et galeries d’art. On y trouve pas moins de 140 musées. Le musée national des Beaux-Arts (Museo Nacional de Bellas Artes, 1895) à Recoleta conserve des œuvres de Goya, Renoir, Manet, Van Gogh, Monet et Picasso. La vedette revient toutefois au Teatro Colón (Théâtre Colomb), l’un des opéras les plus fréquentés du monde. Classé troisième, c’est l’un des plus célèbres opéras. Il est situé au cœur de la ville, sur l’avenue du 9 juillet. L’ingénieur, Charles Pellegrini (1800-1875) était franco-argentin né à Chambéry. Il construisit la première version du théâtre inaugurée en 1857. Une deuxième construction a été entreprise à la fin du XIXe. Elle a duré vingt ans pour être achevée en 1908. Entre 2006 et 2010, l’édifice a été entièrement restauré. Il peut accueillir aujourd’hui 3.000 spectateurs. Son acoustique exceptionnelle le classe au 5ème rang des meilleures salles de concerts du monde après Berlin, Vienne, Amsterdam et Boston. Sa visite s’impose et sa somptuosité le place au même rang que le palais Garnier de Paris.
Buenos Aires – comme Montevideo – est aussi la ville du tango, qui a d’abord gagné le quartier de San Telmo à la fin du XIXe. De nos jours, le quartier de La Boca, haut en couleurs, peuplé à l’origine par une colonie génoise, rappelle l’ambiance de Montmartre ou du Quartier latin. Caminito (petit chemin en espagnol) est un paradis touristique où l’on entraîne les visiteurs sur des airs de tango.
C’est aussi et surtout une ville de tradition littéraire. Jorge Luis Borges (1899-1986) y est né. Sa prose et sa poésie sont devenues des classiques de la langue espagnole bien qu’il n’ai jamais été lauréat du prix Nobel de littérature. Borges passa une partie de son enfance à Lugano et à Genève où il choisit de mourir des suites d’un cancer. Julio Cortázar (Bruxelles, 1914-Paris, 1984) est né en Europe de parents argentins retournés à Buenos Aires lorsqu’il avait quatre ans. En 1951, Julio Cortázar émigre en France où il passera le reste de sa vie après avoir obtenu la nationalité française en 1981.
D’autres écrivains ont également vécu à Buenos Aires, comme le dramaturge américain Eugene O’Neill (1888-1953) ou le pilote-écrivain Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944). René Goscinny (1926-1977) y passe son enfance avant de devenir le célèbre auteur de la bande dessinée française Astérix. Une autre célébrité, Aristote Onassis (1906-1975), y a vécu. C’est également le lieu de naissance du père jésuite Jorge Mario Bergoglio, élu pape François en 2013, et du footballeur Diego Maradona.
La culture est souvent l’apanage des grandes cités. Toutefois, le visiteur ne peut rester insensible à l’irrésistible charme de cette ville des bords du Rio de la Plata.
Une irrésistible beauté
Buenos Aires se compose de 48 quartiers (barrios) : quartiers portuaires de La Boca et de Puerto Madero, quartiers touristiques et animés de San Telmo et Monserrat, quartiers élégants et résidentiels de Belgrano, Palermo ou Recoleta.
Son port, situé à l’embouchure atlantique du Rio de la Plata, est un des plus actifs au monde. Les anciens bassins de Puerto Madero ont été aménagés. Les docks ont laissé la place à des boutiques, des cafés et des restaurants le long d’une superbe promenade devenue un lieu hanté par les Portègnes (porteños, les habitants du port) et les touristes en quête de l’air du large ou d’un lieu de sortie branché. En 1998, l’architecte espagnol Santiago Calatrava y édifia un superbe pont piétonnier de 170m de long, appelé Puente de la Mujer (le pont de la femme).
On a déjà évoqué les centres historiques proches de Monserrat et de San Telmo en mentionnant la place de mai et le berceau du tango argentin. Ici, l’Avenida de Mayo (l’Avenue de Mai) est souvent surnommée l’axe civique, étant donné qu’elle relie le palais de la présidence (‘Casa Rosada’) au palais du Congrès de la nation argentine (1906) construit dans le style des Beaux-Arts. Bordée de majestueux immeubles, dont certaines façades sont dans le style de l’art nouveau, cette magnifique avenue rappelle Paris ou Barcelone.
Recoleta et les quartiers voisins de Palermo et de Retiro sont des quartiers chics et résidentiels offrant une ressemblance frappante avec la ville de Paris. Recoleta demeure l’un des plus beaux quartiers de la capitale argentine. Ambassades, hôtels de luxe et immeubles cossus jalonnent de belles avenues souvent ombragées et parsemées d’un grand nombre de parcs et de places. En fait, Recoleta doit son nom au couvent des Récollets, ordre franciscain français, qui fonda ici une église au XVIIIe siècle. Construite dans le style colonial et datant de 1732, Nuestra Señora de Pilar (N-D-du-Pilier) est aujourd’hui une basilique dotée d’une crypte et d’un cloître. Cet ordre a également construit le cimetière voisin : le cimetière de Recoleta, dessiné par un Français, Prosper Catelin, et mis en service en 1822. Ce cimetière argentin est devenu aussi célèbre que ceux de Montparnasse ou du Père-Lachaise à Paris. Panthéons et caveaux, rehaussés parfois de statues, sont les sépultures d’écrivains, d’hommes politiques, de militaires ou d’artistes célèbres. On vient le visiter. Certaines tombes sont françaises, comme celle d’Alfred Molet (1850-1917), ingénieur et industriel expatrié en Argentine. Plusieurs présidents y sont également enterrés et on continue à se recueillir sur la tombe de Maria Eva Duarte de Perón (1919-1952) qu’il faut chercher dans un dédale de sépultures monumentales. L’église et le cimetière sont construits sur une colline où se trouve la Plaza del Pilar. Il y a des cafés, des restaurants renommés, des boutiques de luxe et des centres commerciaux tout autour de cette immense place animée de jour comme de nuit.
Buenos Aires est donc une de ces villes-musées, faite non seulement de monuments grandioses et d’une foule d’attractions diverses, mais aussi et surtout empreinte d’un insolite multiple et subtil découvert chemin faisant en explorant à pied cette ville d’exception. C’est le cas par exemple de l’ambassade de France (Palacio Ortiz Basualdo). Sise depuis 1939 dans un hôtel particulier du style des Beaux-Arts, elle a été construite en 1912 par un architecte français, Paul Pater, pour le couple Ortiz Basualdo. La capitale argentine, comme la capitale française est donc un des lieux où il fait bon se promener ou s’asseoir à la terrasse d’un café. Buenos Aires jouit d’un climat subtropical humide permettant à de nombreuses essences exotiques de s’épanouir dans les espaces verts. Alors on convient tout simplement qu’il fait bon vivre dans l’ambiance latine de cette cité du grand sud.
Sources:
Ambassade de France à Buenos Aires / Wikipedia /
www.argentina-excepcion.com/guide-voyage /
Personnalités : www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/