Bangkok-Rattanakosin : Au cœur de la modernité royale du Siam
La mégapole de Bangkok comporte trois quartiers historiques : celui de Bang Rak sur la rive gauche, port fluvial et centre du commerce étranger depuis l’ère d’Ayutthaya; le district de Thonburi, sur la rive droite, troisième capitale du Siam ; et enfin, la ville royale de Rattanakosin, située sur la rive gauche du Chao Phraya, et devenue la quatrième capitale siamoise.
Par Christian Sorand
Quelques coups de rames suffisent pour atteindre la rive opposée du Chao Phraya. Le royaume de Thonburi (1) cède la place à une ère nouvelle, celle de la dynastie des Chakri, dont la pérennité débute en 1782, marquant le début d’une continuité royale, portée sur le modernisme de la nation actuelle.
Comme Ayutthaya (2), Rattanakosin est une île. Hormis la façade fluviale, la nouvelle capitale royale est ceinturée par une succession de trois canaux défendus par des forts pour la protéger. Ainsi naît la quatrième et dernière capitale du Siam.
L’omniprésence de l’élément eau caractérise l’agencement du site de la nouvelle capitale. Les artistes perpétuent alors l’empreinte culturelle nationale en édifiant palais et temples aux flèches dorées. Le choix de Rattanakosin est renforcé par la proximité du port colonial de Bang Rak, où plusieurs puissances étrangères y ont établi des édifices commerciaux, actifs depuis la période d’Ayutthaya. Ces divers éléments viendront renforcer des velléités de rayonnement sur le monde, distillant peu à peu la modernisation d’un État devenu dorénavant incontournable à l’est comme à l’ouest.
En plantant son bâton dans le sol de l’île de Rattanakosin, le fondateur de la dynastie des Chakri, Rama I, scellait les bases d’une ère nouvelle. C’est ici que se trouvent les racines de la nation d’aujourd’hui.
La fondation d’une nouvelle capitale
Miné par le mécontentement de son entourage, le roi Taksin est secrètement tué par son général, Chao Phraya Chakri. Ce dernier devient le prochain souverain sous le titre de Rama I. Il décide aussitôt de quitter Thonburi pour fonder une ville nouvelle sur la rive opposée du fleuve. Le 21 avril 1782, le Pilier de la Ville (Lak Muang) devient donc l’emblème de la quatrième capitale royale du Siam. Monument quasi religieux, il est honoré par les Thaïs comme s’il s’agissait d’un temple. Les édifices majeurs de Rattanakosin sont érigés: l’enceinte royale du Grand Palais et le monastère adjacent de Wat Pho.
Les rois successifs prendront peu à peu l’habitude de suivre une éducation étrangère, en Angleterre, en Suisse, en Russie, voire aux États-Unis. Ils veilleront à entretenir des relations diplomatiques avec le Portugal, la France, la Chine, le Japon, ou encore avec d’autres États orientaux. Ils n’hésiteront pas non plus à chercher l’aide d’illustres résidents étrangers. Monseigneur Pallegoix (1805-1864), archevêque catholique français, deviendra l’ami du roi Mongkuk (Rama IV, 1804-1868), passionné d’astronomie. Mongkuk lui enseignera le pali (langue liturgique de l’Inde du sud), tandis que Pallegoix l’initiera au latin. Les deux plus vieilles légations étrangères, en bordure du Chao Phraya, sont celles du Portugal (1820) et de la France (1887), bientôt suivies par d’autres puissances européennes dont l’Angleterre et la Hollande. Un officier de marine britannique, le capitaine John Bush (1819-1905), devient l’administrateur du port de Bangkok et sera promu amiral du Siam, sous les règnes des rois Mongkut et Chulalongkorn (Rama V, 1853-1910). Le cinéma s’est emparé d’un autre épisode célèbre avec le « Roi et Moi », basé sur un roman américain de Margaret Landon (‘Anna & the King’), relatant l’histoire d’une préceptrice britannique, Anna Leonowens (1831-1915), à la cour du roi Rama IV.
Après 70 ans de règne, Bhumibol Adulyadej (Rama IX, 1927-2016) s’éteint en laissant toute une nation en pleurs. Né à Cambridge, dans le Massachussetts, ce souverain, aimé de tous, reçoit le titre de Bhumibol le Grand en 1987. De par ses études faites à Lausanne, en Suisse, il était francophone, comme d’ailleurs son épouse, SM la reine Sirikit (1932-), fille d’un ancien ambassadeur de Thaïlande en France. Elle vivait à Paris quand son futur époux poursuivait ses études à Lausanne. Elle est aussi la petite-fille du roi Chulalongkorn. Leur fils aîné, SM Vajiralongkorn (1952-), lui succède sous le titre de Rama X.
Les splendeurs royales de la ville historique
Le Grand Palais demeure sans conteste le monument le plus prestigieux et le plus visité de la capitale. Au soleil couchant, les toits, les coupoles et les flèches d’or de ce site gigantesque, prennent l’allure d’un véritable spectacle de conte de fée. En fait, la seule véritable partie ouverte aux visiteurs est Wat Phra Kaew, le Temple du Bouddha d’Émeraude. C’est l’un des sites les plus extraordinaires du monde. Étrangement, l’ensemble n’a pas encore été classé par l’UNESCO. L’entrée du sanctuaire est gardée par deux yaksha, démons géants dont la fonction est de chasser les mauvais esprits. Le mur d’enceinte abrite de remarquables fresques évoquant la vie siamoise d’autrefois. Chedis, frises, mosaïques, statues, jalonnent le monastère dans une profusion inégalée, où l’or des flèches et le vernis multicolore des toits scintillent sous le soleil des tropiques. L’Ubosot (chapelle royale) abrite une célèbre petite statue de jade (et non d’émeraude), haute de 66 cm, le Phra Ratana Pimpha.
En sortant de l’enceinte du palais, on fait face à une immense esplanade de pelouse, le Sanam Luang (Champ royal), servant notamment aux cérémonies de crémation royale. L’angle proche de l’enceinte du Grand Palais, marque l’emplacement d’un petit temple, le Lak Muang, abritant la borne de fondation de Rattanakosin. Ce sanctuaire recèle un linga très populaire à qui l’on attribue le pouvoir d’exaucer les vœux.
Wat Pho (le Temple du Bouddha couché) occupe la partie sud de l’enceinte royale. Autre lieu magique, cet ensemble architectural est l’un des plus beaux que l’on puisse voir en Thaïlande. On y vient surtout pour y admirer la masse imposante du Bouddha couché dans son Wihan (chapelle principale). Cette statue, recouverte de feuilles d’or, a une longueur de 46 m sur 15 m de haut. La plante des pieds est incrustée de nacre et expose les 108 caractères caractérisant Bouddha. Subjugué par ce spectacle, on oublie souvent d’admirer les remarquables fresques murales ornant la chapelle. Ce monastère est le plus vieux et le plus grand du pays. Il fut fondé au XVIe, mais fut rénové par Rama I au XVIIIe, avant de devenir une école de médecine et de massages traditionnels au XIXe sous le règne de Rama III.
La richesse historique et culturelle de Rattanakosin est telle, qu’il est difficile d’en faire un inventaire complet. Comment ne pas évoquer pourtant l’étonnant marché aux amulettes de Thanon (rue) Maharat ? En outre, il existe trois autres édifices religieux sollicitant un détour.
Tout d’abord, il y a Wat Suthat, chef d’œuvre de l’art de Rattanakosin du XIXe. À l’origine, ce temple était dédié au dieu hindou Indra. Le Wihan abrite l’une des plus grandes statues en bronze de Sukhothaï (8 m de haut) et les fresques murales, évoquant les 28 incarnations antérieures de Bouddha, ont la réputation d’être parmi les plus belles. À l’extérieur du temple, se trouve la Grande Balançoire, jadis dédiée au rituel de Shiva. Ce grand portique de 27 m de hauteur est en teck rouge. Cet ensemble est un parfait exemple de syncrétisme religieux caractérisant la spiritualité thaïlandaise.
Le Wat Ratchanadda est un autre lieu unique. Construit par Rama III au XIXe, il rappelle l’architecture des temples de Pagan au Myanmar (Birmanie). Il fut inspiré par la construction d’un temple indien du IIIe siècle, aujourd’hui disparu. Au centre du monastère se dresse le Loha Prasat (palais de Métal) aux trois niveaux symboliques.
Au voisinage de ce 3ème cercle concentrique de canaux, on trouve également Wat Saket, dont la colline artificielle haute de 80 m, connue sous le nom de Montagne dorée, est surmontée d’un chedi doré, offrant un magnifique point de vue sur Rattanakosin et la cité moderne de Bangkok. Le grand canal de San Sap se trouve au pied de la colline. Il permet de traverser Bangkok d’ouest en est grâce aux bateaux taxis.
Rattanakosin, cœur historique et royal de Bangkok, demeure le siège de la vie politique moderne de la capitale. S’y promener, c’est partir à la découverte d’un curieux mélange d’influence occidentale néoclassique, d’une architecture siamoise traditionnelle, et d’un cœur asiatique immuable avec ses échoppes, ses boutiques, ses stands de nourriture locale, au milieu d’une circulation habituelle de tuk-tuk, de deux roues, ou encore de voitures et de transports en commun. C’est ici que l’on trouve Kao San Road, lieu branché des routards, en même temps que la façade immaculée des ministères, des musées (musée des Monnaies, musée national, Galerie nationale), et bien sûr de tous les temples et autres palais. Il existe un projet de classer l’île de Rattanakosin au patrimoine mondial de l’UNESCO.
C’est donc, ici, l’aboutissement d’un périple à travers le temps, l’histoire, et la culture siamoise. Commencée avec l’ère de Sukhothaï (3), cette quête a permis d’appréhender à la fois l’âme et l’apparence d’un peuple dont l’identité, la culture, et l’admirable esprit de syncrétisme et d’ouverture, ne peuvent laisser insensible.
Toutefois, il apparaît clairement que Thonburi ou Rattanakosin, ne représentent qu’une facette du Bangkok d’aujourd’hui. Il faudra bien aussi évoquer une autre fois la « Cité des Anges » du XXIe siècle.
3. Trait d’Union Magazine nº83 (février 2017)
Liens
a) historiques:
• wikipedia.org
b) touristiques:
• The Grand Palace (Tourism Authority of Thailand) : https://www.tourismthailand.org/
• Wat Po (Thailand for Visitors): http://bangkokforvisitors.com/ratanakosin/wat-po/
• Wat Mahathat (Renown Travel): https://www.renown-travel.com/temples/wat-mahathat.html
• Lak Muang: http://www.tour-bangkok-legacies.com/lak-muang.html
• Wat Suthat et Wat Saket : http://www.sacred-destinations.com/thailand/bangkok
• Wikipedia
Bibliographie
a) voyage :
• Thaïlande, Guide Vert Michelin, mai 2016, ISBN: 978-2-06-720790-5
• Thaïlande, Guide du Routard 2012, Hachette Tourisme, ISBN: 9-782012-45122-3
• Thailand, Eyewitness Travel, DK Ltd., London, 2012, ISBN: 978-0-7566-8562-1
• Thailand, Lonely Planet, 12th Edition, 2007, ISBN: 978-1-74104-307-1
• Thailand, National Geographic Traveler, 3rd Edition,Washington, D.C., ISBN: 978-1-4262-0408-1
b) littérature :
• The Temple of Dawn, by Yukio Mishima, Vintage Classics U.K., London, 2001, ISBN:9-780099-282792
• A Physician at the Court of Siam, by Malcom Smith, Oxford University Press, 1982, ISBN 0-19-582556-X