Vertige maternel…
Rencontre littéraire avec Alma Brami, autrice française vivant à Hong Kong, qui vient de sortir son livre “Ils sont moi, je suis eux“, un livre fort en émotion, écrit dans un style vif, plein d’humour. Alma Brami nous entraîne dans un vertige maternel universel et terrifiant. Un livre où tout le monde peut se retrouver. L’autrice a accepté de répondre à nos questions.
Trait d’union : Pourquoi avoir décidé d’écrire ce livre ?
Alma Brami : J’écris en permanence avec mes peurs. Ce livre part de ma peur d’être une mère qui étouffe. J’ai donc eu envie de traiter ce sujet. Entre une mère parfaite, une mère idéale et une mère monstrueuse la limite est extrêmement ténue.
Sachant qu’une mère parfaite n’existe pas.
On est bien d’accord. Quand je pense à une mère parfaite, c’est une mère qui ferait son maximum pour l’éducation, pour le bien-être de ses enfants, pour leur protection. Mon livre traite de cela, c’est-à-dire à quel moment on protège son enfant et à quel moment on l’étouffe. À quel moment on est vigilant et à quel moment on l’empêche finalement complètement de vivre. C’est cette limite-là qui m’intéresse.
Peut-on trop protéger un enfant ?
Oui bien sûr et c’est ça qui est terrible. Mon livre en fait le point de départ. En fait, ce point de départ j’en ai pris conscience quand j’ai terminé mon livre, donc ça devait être tout à fait inconscient.
En 2011, j’étais invitée par l’association des écrivains de Shanghai à participer à une résidence d’auteur. J’ai eu la chance de rencontrer l’écrivain, aujourd’hui décédé, Philippe Rahmy. Il était atteint de la « maladie des os de verre », (NDLR : maladie génétique : l’ostéogenèse imparfaite). Il était donc souvent en fauteuil roulant et je me suis énormément attachée à lui, m’en occupant tellement que si j’avais pu faire en sorte qu’il ne fasse plus rien et que je fasse tout pour lui, je l’aurais fait.
Là, il m’a juste expliquée qu’il pouvait tout faire seul, sans mon aide. C’est à ce moment que j’ai pris conscience que si j’avais été sa mère, je l’aurais enfermé dans un aquarium et il ne serait jamais devenu la personne extraordinaire qu’il était. J’aurais craint tellement pour lui, j’aurais été tellement à l’écoute de ces moindres maux que je l’aurais enfermé et finalement atrophié.
Avec votre livre, on s’aperçoit que tout le monde peut se retrouver, avec ou sans enfant.
Absolument. On peut lire ce livre en s’identifiant à l’héroïne mais on peut aussi penser à sa propre mère. On peut penser au regard que l’on peut avoir parfois sur les autres parents. Dans ce livre il n’y a pas seulement la maternité mais aussi l’idée que cette héroïne se regarde face aux miroirs et ne se reconnaît plus. D’ailleurs j’ai écrit ce livre d’une façon scandée, il est saccadé.
Je voulais que ce soient des phrases très courtes comme une liste de toutes les injonctions qu’elle doit faire dans son quotidien. Elle dit à un moment qu’elle est comme un hamster sur sa roue et elle reproduit les mêmes choses au quotidien en permanence, malgré la fatigue et malgré parfois l’incohérence d’une situation, elle se retrouve à reproduire exactement les mêmes choses que la veille. Elle se retrouve face à son visage, son corps, sa féminité, qu’elle ne reconnaît plus, elle ne sait plus ce qu’elle est.
Justement, cette écriture, scandée, saccadée, avec les répétitions essouffle le lecteur. Tout va vite. Dans quel état êtes-vous quand vous écrivez ?
Effectivement j’ai écrit ce livre en pleine suffocation. J’écris comme je joue. Mes livres sont très oraux je n’écris pas d’une façon plate ou linéaire, j’ai besoin que ce soit organique et donc j’ai écrit exactement comme l’héroïne pense.
Elle non plus n’arrive plus à respirer. Donc je devais me mettre dans le même état pour écrire.
Elle est dans une course, dans une exigence envers elle-même qui fait qu’elle ne peut plus penser à autre chose qu’à ce rôle-là qu’elle s’impose.
Le problème avec l’héroïne est que, progressivement, elle se substitue à tout le monde.
Elle a tellement mis ce rôle de mère au-dessus de tout, qu’elle sait mieux que le médecin, que sa propre mère, que tout le monde, ce qu’il faut pour ses enfants. Elle a l’impression d’être comme un paratonnerre.
Ce que j’ai voulu montrer, et c’est pour ça qu’elle est multiple, c’est qu’elle représente toutes les femmes, tous les êtres humains, nous sommes tous parcourus par des « j’aimerais – je ne peux pas » ; « il faut que… », en fait j’ai travaillé pourque qu’il y ait de l’humour aussi.
Mon but est que le lecteur s’attache, qu’il s’identifie, qu’il ait de l’empathie aussi, qu’il se reconnaisse en elle.
Informations :
« Ils sont moi, je suis eux » d’Alma Brami,
Éditions Mercure de France
Disponible à la Librairie Parenthèses : HK$238.00
L’histoire : « Sonia est une mère. Sonia n’est plus qu’une mère. Enfermée dans ce rôle qu’elle a choisi et qu’elle compte incarner à la perfection. Sonia maîtrise tout. Tout, sauf ce
qu’elle ne maîtrise plus. Elle n’a plus de corps, même son reflet lui échappe, elle n’a plus de place en elle pour autre chose que ce devoir qu’elle s’impose et qui la piège. Le mieux est l’ennemi du bien, Sonia perd pied ».