Sukhothai : voyage aux sources de l’identité siamoise
Situé au centre des plaines centrales dans la partie nord de la Thaïlande, le site historique de Sukhothaï – « l’aube du bonheur » (du pali ‘Sukha-Udaya’) – est l’un des plus beaux qui soient. Les ruines d’un passé prestigieux couvrent un vaste parc parsemé d’étangs et d’arbres offrant un parcours idéal à vélo dans un environnement enchanteur aujourd’hui protégé par l’UNESCO.
Par Christian Sorand
Le royaume de Thaïlande est sans nul doute le plus divers et le plus riche pays de l’Asie du Sud-Est. Une série de plusieurs articles se propose de remonter le cours du temps en explorant, l’une après l’autre, les trois capitales du Siam avant la fondation de Bangkok au XIXème siècle.
Ce périple débute à Sukhothaï, première capitale, au cœur du pays. Il se poursuivra vers l’estuaire de la Chao Phraya, depuis Ayutthaya, pour évoquer la fondation de Bangkok-Thonburi (rive droite du fleuve) avant celle de Bangkok-Rattanakosin (sur la rive gauche), pilier de la dynastie Chakri actuelle.
Place donc à Sukhothai, devenu aujourd’hui un site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce lieu sublime est aux sources de l’identité culturelle du pays, tout en étant le réceptacle d’un art spécifique souvent comparé au monde grec classique pour son raffinement.
Du passé et des hommes
En ces temps immémoriaux où l’Europe traversait le Moyen Âge, le Siam était composé de plusieurs royaumes, souvent sous l’influence de deux puissants voisins : l’Empire khmer, à l’est et le royaume de Birmanie, à l’ouest. Enserré dans cet étau, il semblait difficile d’y voir naître une identité siamoise. C’est pourtant à Sukhothaï que tout a commencé. Au cœur de cette partie nord du territoire, le petit royaume suzerain de Sukhothaï, avant-poste de l’Empire khmer, va tout à coup s’émanciper grâce à des hommes d’exception.
Vers 1238, deux princes thaïs, Phra Muong et Bang Klang Thao, contractent une alliance dans le but de chasser l’occupant khmer. Bang Klang Thao est sacré roi de Sukhothaï sous le titre de Sri Indradityia. Ainsi naissait le premier état siamois indépendant. Le royaume de Sukhothaï, situé sur la route commerciale entre la Chine et la péninsule indochinoise, prospéra du XIIIè au XVè siècle, avant l’essor d’Ayutthaya. Le règne du troisième fils de Bang Klang Thao, portant le titre de Rama Khamhaeng (‘Rama le Fort’, 1279-1298) correspond à l’âge d’or de Sukhothaï. La première écriture thaïe date de cette époque. Le bouddhisme theravada devient la religion établie. Un art nouveau prend forme aussi bien dans l’architecture que dans la sculpture où le bronze fait son apparition. Le royaume s’étendait alors de la Birmanie au Laos et jusqu’au sud de la péninsule malaise. Sukhothaï compta jusqu’à 300.000 habitants.
Le déclin commença avec l’émergence du jeune royaume d’Ayutthaya en 1350. Il se fit sentir d’abord avec les successeurs : Loe Thaï (1317-1347), Li Thaï (1347-1368) et dès 1378, sous le règne de Mahathammarachat IV (1419-1538).
Pendant les siècles suivants, Sukhothaï périclita et devint un vaste champ de ruines. Mais dans les années 1960, un archéologue thaïlandais, Nikhom Moosigakama, entreprit de restaurer les ruines. Il attira l’attention du roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX), qui, soucieux de consolider l’héritage culturel du royaume, saisit l’impact culturel national que Sukhothaï pouvait lui procurer. En 1991, le parc historique de Sukhothaï devenait alors un site du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Un parc enchanteur
Visiter le site demeure un véritable enchantement. À la fois, pour l’extraordinaire beauté des édifices, la délicatesse des traits de la statuaire et pour l’heureuse conception du décor naturel venant embellir le plan d’ensemble. Banians, acacias, frangipaniers, apportent la fraîcheur de l’ombre, tandis que lacs, étangs ou bassins, parfois couverts de lotus roses, font refléter les chedis et les prangs des temples royaux. L’herbe est tondue fréquemment, car en fonction de la végétation et de l’abondance des pièces d’eau, elle attire un grand nombre de reptiles.
Le parc historique comporte cinq secteurs. La cité royale en est le centre. Selon les critères d’orientation religieux, les quatre autres secteurs sont : le secteur nord, le secteur ouest, le secteur sud et celui de l’est. Les temples sont orientés d’est en ouest selon la symbolique de la cosmogonie brahmanique.
La cité royale est la plus visitée pour la richesse de ses monuments et pour son agencement naturel. L’ensemble du Wat Mahatat (1240 ap.J,-C.), avec ses colonnes de latérite, est le plus connu. Il est édifié sur un plan carré de 200m de côté, entouré de douves. Le carré symbolise le monde céleste tandis que les douves représentent les quatre océans. On y note également un chedi (monument reliquaire) en forme de bouton de lotus dans le pur style de Sukhothaï, inspiré du stupa cinghalais. Positionné au centre, il représente le mont Meru, demeure des dieux et axe du monde dont le souverain est le lien terrestre. Perdu dans une forêt d’arbres, le Wat Si Sawai (XIIè) témoigne, quant à lui, de l’héritage khmer, reconnaissable à ses trois prangs (tours au sommet arrondi). Ce temple était dédié à Shiva. Le chiffre trois est un rappel de la trilogie brahmane (Brahmâ, Vishnou et Shiva). Face à un vaste plan d’eau, sur une île reliée par un pont, le Wat Sa Sri se reconnaît à son chedi en forme de cloche d’influence cinghalaise et surtout par un très beau bouddha marchant, symbolisant l’enseignement.
Le secteur nord mérite qu’on s’y attarde aussi. Le Wat Phra Phay Luang date du règne du roi Jayavarman II au XIIème siècle. Avec sa double enceinte et ses douves, il était le centre de la cité khmère. Un peu plus loin, on découvre un gros cube lisse qui n’est autre que le Wat Si Chum. En fait, il s’agit d’un énorme mondop (édifice carré) dont les murs abritent un colossal bouddha assis de 14,70m de haut. C’est l’une des principales curiosités du parc historique.
Pour les plus aventureux, le secteur ouest est celui des « temples de la forêt » perchés sur des collines. Le plus spectaculaire est le Wat Saphan Hin (« temple du pont de pierre ») possédant un imposant bouddha en stuc de 12,20m et offrant une vue panoramique sur la plaine. La visite du parc se complète agréablement par le petit musée national Rama Khamhaeng, très didactique et bien agencé. Il est situé près de l’entrée de la cité royale, côté village, dans le secteur est.
Le voyage à Sukhothaï
La manière la plus aisée de se rendre à Sukhothai depuis Bangkok est de prendre le vol journalier de Bangkok Airways. Le joli petit aéroport est desservi par une compagnie de minibus transportant les passagers à leurs hôtels. La ville de New Sukhothaï est située à une douzaine de kilomètres du parc historique. Mieux vaut choisir de séjourner dans l’agréable petit village situé en marge du site et offrant un grand nombre de commerces et de restaurants bon marché.
Le site de Sukhothaï est incontestablement le berceau de l’identité siamoise. Historiquement, il marque le début d’un esprit d’indépendance. Culturellement, il explique l’âme profonde des Thaïlandais influencés par le brahmanisme des Khmers et le bouddhisme theravada du Petit Véhicule des Birmans. La recherche d’une identité s’est faite sous l’influence du bouddhisme cinghalais. Or les éléments du passé n’ont jamais véritablement disparu. La religion thaïe est un mélange de brahmanisme et de bouddhisme theravada. Ainsi, chaque demeure, chaque lieu public, conserve sa ‘maison des esprits’. Le dieu Ganesha, à la trompe d’éléphant, est révéré partout. On observe que ce sont toujours des influences externes, qui, assimilées, génèrent un ordre nouveau à la mesure de la créativité thaïe. À Sukhothaï, la cloche du stupa cinghalais est devenue le chedi surmonté d’un bouton de lotus et l’effigie du bouddha debout s’est transformée en un bouddha marchant aux traits si fins qu’il défie par sa grâce les canons grecs de la beauté. Sukhothaï marque le début d’une émancipation qui ne connaîtra jamais le colonialisme. C’est également à Sukhothaï que le roi Rama Ramkahaeng a fixé l’alphabet thaï. En langue thaïe, le nom du pays est Muang Thaï, c’est à dire « le pays des hommes libres ». C’est justement ce qui s’est mis en marche à Sukhothaï. La linguistique révèle que le mot sukha est celui du « bonheur ». Or, ce qui caractérise les Thaïlandais, c’est justement la recherche du bonheur à tout prix. D’ailleurs, les militaires de la junte actuelle ne s’y sont pas trompés en voulant redonner le bonheur au peuple ! N’appelle-t-on pas la Thaïlande « le pays du sourire » ?
Le voyage à Sukhothaï est donc bien un retour aux sources de l’identité de tout un peuple. Quand Rama IX, le roi défunt, décida de restaurer les ruines oubliées de Sukhothaï, il avait bien compris qu’il s’agissait de cimenter l’histoire d’une nation depuis ses origines.
Liens
Wikipédia
http://whc.unesco.org/fr/list/574/
Wat Mahathat, Le Petit Futé : https://www.petitfute.com
Wat Si Chum & Wat Phra Luang :
http://www.thelongestwayhome.com
Wat Saphan Hin : http://thailandforvisitors.com/north/sukhothai/historical-park/wat-saphan-hin.php
Bibliographie
– Thaïlande, Le Guide Vert Michelin, mai 2016, ISBN : 978-2-06-720790-5
– Thailand, DK Eyewitness Travel Guides, London, 2014, ISBN:0-7513-6879-2