Evasion

Stone Town, Zanzibar : un doux mélange de parfums d’Arabie et d’épices orientales

Le dédale exotique des ruelles de la vieille ville est le reflet d’une riche histoire, le cocktail savamment dosé d’une triple identité au goût persique, au flair indien et aux essences africaines. Une rencontre unique et délicieuse, que les alizés et la douceur équatoriale rendent irrésistible aux visiteurs de passage. 

Par Christian Sorand

Stone Town, pourquoi une ville de pierre ? Un surprenant surnom qui s’explique par une insularité et une adéquation géographique. L’île d’Ungunja – où se situe la capitale de l’archipel de Zanzibar (1) – appartient à l’hémisphère sud. Les fondateurs moyen-orientaux se sont servis des pierres de corail locales pour édifier les murs de leur ville. Conçue selon les concepts architecturaux du golfe Persique, la ville est un vaste labyrinthe de venelles aux hautes maisons, aux belles portes ouvragées et aux étonnants balcons en bois. Une singularité inattendue en terre africaine, où pourtant se côtoient mosquées, églises et temples indiens. Ce métissage se confirme un peu plus quand on croise dans les rues, des femmes voilées, des hommes vêtus de  boubous et souvent des groupes de Massaï reconnaissables à leurs amples manteaux rouges, sans oublier les tenues, parfois excentriques, de touristes venus des quatre coins de la planète.

En fait, Stone Town – site du patrimoine de l’Unesco – n’est, à l’heure actuelle, que le vaste quartier historique d’une ville plus moderne répondant au nom moins poétique de Zanzibar Town. 

Poupées zanzibarites

 

Un creuset historique

D’emblée, on perçoit une atmosphère composite en arpentant les ruelles de Stone Town. Le promeneur est tout de suite frappé par cet heureux mélange de cultures bantoue, arabe et indienne, teinté d’une touche portugaise et britannique. Une longue et riche histoire explique cette incongruité.

Le littoral oriental de l’Afrique a toujours été le théâtre d’un commerce maritime facilité par les alizés et la proximité de la péninsule arabique. Comme toujours, géographie et histoire font bon ménage dans les aventures humaines. Armés par leurs voisins égyptiens, les navigateurs phéniciens étaient déjà familiers de ces côtes. 

À la route de l’encens, puis à celle de l’or, est venue se greffer celle des épices qui a fait la richesse de tous les chapelets d’îles de l’océan Indien.

Or, bien avant les Portugais, d’autres navigateurs fabuleux ont emboîté le pas des Phéniciens : ceux du golfe Persique. Grâce aux techniques de construction des boutres et à la connaissance des outils de navigation, ces derniers écumaient l’océan depuis le littoral occidental de l’Inde jusqu’à la côte orientale de l’Afrique. L’astrolabe de l’antiquité a été perfectionné par les civilisations perses et arabes.

Dès le VIIIe siècle, on assiste à une première diaspora de chiites shiraziens, puis à l’arrivée des Perses au Xe siècle qui construiront ici les premiers palais orientaux. Ce sont ces derniers qui baptisent l’île du nom perse Zangibar, signifiant « la terre des noirs ». Au XVe siècle, les Portugais arrivent. L’île devient une escale sur la route de l’Inde contournant le cap de Bonne-Espérance. Ainsi, la première route des épices ouvre-t-elle l’arrivée des premiers commerçants indiens. Puis au XIXe siècle, correspondant à l’âge d’or de Zanzibar, ce sont les Omanais, kharidjites de confession, qui y débarquent. Si bien qu’en 1840, le sultanat d’Oman (1) transfert sa capitale à Zanzibar !

Les palais de Stone Town sont perses ou omanais, les mosquées revêtent des caractéristiques des minorités chiites ou kharidjites, les maisons de riches marchands arabes ou indiens témoignent de la prospérité commerciale du lieu. La population zanzibarite est à 98 % musulmane alors que celle de la Tanzanie continentale est majoritairement chrétienne.

Le vieux port des boutres

 

Les Omanais perpétuent le commerce esclavagiste et Zanzibar devient un centre majeur en fonction de son commerce maritime. Les Britanniques y mettront finalement un terme à la fin du 

XIXe siècle. Ce commerce provoque toutefois l’arrivée massive des Bantous venus du continent. Ils finiront par s’y implanter à l’abolition de l’esclavage.

L’une des principales curiosités provient de ses portes en bois sculpté, entourées de linteaux en pierre de corail. Selon les critères culturels musulmans, la porte de la maison révèle le statut identitaire de ses occupants. De plus, dans le contexte local, le décor révèle aussi l’identité du propriétaire : l’image d’un palmier indique la présence d’une famille musulmane, alors que celle d’un lotus dénote l’origine indienne de ses habitants. Certaines portes offrent la particularité d’être incrustées de sortes de pointes massives de cuivre. On prétend que cela servait à se protéger des éléphants, sauf qu’il n’y a jamais eu de pachydermes sur l’île !

Les ruelles sont si étroites que seuls les deux-roues peuvent y circuler. Cette fascinante exploration se fait donc nécessairement à pied, à condition d’avoir un bon sens d’orientation !

Le charme fou d’un microcosme culturel

On comprend donc mieux pourquoi ce site appartient au patrimoine mondial de l’humanité. Son particularisme n’échappe à personne par son charme et par sa diversité. L’étroitesse des ruelles et la hauteur conséquente des demeures, en font un espace d’ombre et de fraîcheur dans un environnement équatorial.

Comme la cité historique se trouve sur une échancrure tournée vers le canal de Zanzibar, séparant Unguja de la côte tanzanienne, la présence marine apporte la fraîcheur de la brise et les couleurs chatoyantes de ses eaux. 

Il faut venir le matin, dans la partie portuaire nord, pour y voir les étals du marché aux poissons et un peu plus loin l’étonnante activité du vieux port des boutres ; on semble s’y propulser dans une scène appartenant à une autre époque !

Vue du restaurant House of Spices

 

Dans la partie sud du port, Stone Town offre une belle façade maritime sur son front de mer. On y trouve d’ailleurs une belle série de bâtiments illustrant son passé. L’un des plus beaux est celui que l’on appelle le vieux dispensaire (old dispensary). Sa façade bleue et blanche en fer forgé est absolument magnifique. À l’origine, l’édifice avait été conçu par un riche marchand indien pour servir de dispensaire. La fondation de l’Agha Khan (chef spirituel des Ismaéliens) l’a ensuite restauré dans le cadre de l’Unesco pour le transformer en centre culturel. Un peu plus loin, en face du café Mercury, se dresse encore un énorme arbre (un Ficus religiosa) planté en 1944 et connu localement comme le Big Tree. 

Après avoir dépassé l’hôtel Mizingani occupant le site d’un ancien palais arabe, on aperçoit un deuxième palais abritant l’école de musique de Zanzibar (the Dhow Countries Music Academy) et offrant un beau point de vue depuis son balcon situé au niveau de la terrasse. 

On atteint ensuite un ensemble monumental qui était autrefois le palais des sultans d’Oman (1883). La partie basse abrite un musée (Palace Museum), tandis que le grand bâtiment à sa droite (Beit-el-Ajaib) a été surnommé la Maison des Merveilles (House of Wonders), pour avoir été le premier édifice africain doté d’un ascenseur. Enfin, devant le vieux fort arabe du XVIIIe, s’étale un agréable jardin, Forodhani Gardens, qui se transforme en marché nocturne animé, le soir venu.

Outre les nombreuses mosquées et les quelques temples indiens, deux édifices religieux méritent une visite. La masse imposante de l’église anglicane (Christ Church,1880), dont l’intérieur est un peu décevant, domine l’ancien marché aux esclaves (Old Slave Market) devenu un musée retraçant l’histoire de l’esclavage. Le second édifice est la cathédrale Saint-Joseph construite à la fin du XIXe siècle par des missionnaires français et dont l’architecte est aussi celui de la cathédrale de Marseille. Les vitraux ont d’ailleurs été importés de France.

Cour intérieur de l’hôtel Mizingani

 

Stone Town dispose d’une infrastructure touristique bien rodée. Un grand nombre de riches demeures ont été aménagées en hôtels de charme. Certains peuvent se visiter comme le remarquable Dhow Palace Hotel, meublé à l’ancienne et offrant une collection d’antiquités digne d’une galerie d’art. À l’intérieur de la vieille ville, se cache un autre petit hôtel absolument époustouflant, Mistress of Spices, dont le restaurant, perché sur une terrasse, offre une vue panoramique sur les toits de la cité et avec une cuisine swahilie, véritable merveille gustative à un prix très raisonnable. On trouve également quelques bars branchés ainsi que d’agréables cafés, comme le délicieux Baboo Café, sis à l’ombre d’arbres, au dessus d’une jolie petite plage de sable blanc, près de laquelle sont amarrées des embarcations zanzibarites typiques.

Dans la vieille cité de Zanzibar, le temps s’écoule paisiblement, dans une ambiance bon enfant, sans jamais aucune agressivité. On parle le swahili, comme l’anglais. Ici, les Massaïs sont gardiens d’hôtels ou de parkings, parfois artisans-vendeurs dans de petites boutiques de souvenirs. On y retrouve l’atmosphère d’aventuriers célèbres : Marco Polo, Arthur Rimbaud, Joseph Kessel, Henry de Monfreid. C’est aussi à Zanzibar que débute le périple de « Cinq semaines en ballon » de Jules Verne. Deux autres écrivains, dont une femme atypique ont raconté Zanzibar. Tout d’abord, Emily Ruete, de son vrai nom Sayyida Salme (1844-1924), une princesse de la cour d’Oman et de Zanzibar (‘’Mémoires d’une princesse arabe’’). Ensuite, l’auteur britannique Evelyn Waugh (1903-1966) dans un ouvrage traduit en français sous le titre : « Hiver africain » (‘A Tourist in Africa’, en anglais). La ville est aussi le lieu de naissance du musicien Freddie Mercury (1946-1991), dont la maison est aujourd’hui devenue un gîte hôtelier pour routards.

Quoi qu’il en soit, on garde d’un passage à Zanzibar, de merveilleux souvenirs exotiques. Celui du parfum des épices en passant devant une petite boutique de la vieille ville ; le goût d’un thé à la cardamome, assis à la terrasse d’un café ; les voiles triangulaires des boutres arrivant au port en fin de journée ; une symphonie de couleurs vives ; la prestance d’ébène des guerriers masaïs, élancés et aux traits fins, toujours armés d’un bâton ; quand ce n’est pas aussi le goût poivré de la cuisine swahili ou des soirées passées autour d’un cocktail sous la voûte étoilée.

Bibliographie

– Zanzibar, Petit futé, Paris, 2015, ISBN : 97827-46982628

– Kenya, Tanzanie, Le Routard,Hachette, 2017, 

 ISBN : 978-2-01-161245-8

Liens Internet

Wikipedia, Petit futé, Dhowpalace, Jafferjihouse, Mizinganiseafront 

1. Ile de Zanzibar, Trait d’union magazine, nº106, mai 2019

2. Mascate, Oman, Trait d’union magazine, nº105, avril 2019