Spitzberg – l’immensité vulnérable
Découvert par l’explorateur hollandais W. Barentsz en 1596, le Svalbard est un archipel situé à près de 800 km au nord de la Norvège, et à 1.300 km du pôle Nord. Depuis le traité du Svalbard en 1920, ce territoire est sous gouvernance norvégienne. Autrefois terre de prédilection des chasseurs – à la baleine et au morse, puis au phoque ou encore à l’ours – ce territoire a ensuite été disputé pour l’exploitation d’un charbon de très grande qualité. C’est aujourd’hui un immense espace sauvage, préservé, où le réchauffement climatique est en train de dessiner de nouveaux enjeux.
Découverte du Spitzberg, la plus grande île de l’archipel, où selon les saisons, le jour et la nuit sont sans fin…
Par Isabelle Chabrat
Dès l’arrivée, la nature minérale, silencieuse et parfois austère s’impose. Aucun arbre au Spitzberg, mais la vie s’accroche avec une faune et une flore malgré tout très riches.
Située sur le fjord le plus profond de l’île, Longyearbyen, capitale du Svalbard avec ses 2.200 habitants et 53 nationalités, concentre l’activité humaine et constitue le point de départ des excursions dans ces paysages d’une beauté époustouflante.
L’histoire des trappeurs, mais aussi celle des mines de charbon, les deux principales activités qui ont poussé le développement de la région au cours des siècles, ne sont jamais bien loin.
A l’école, qui accueille 260 enfants, les élèves participent chaque année à une chasse aux rennes, avec une approche éducative pour comprendre d’où vient la nourriture et comment la préparer. Aujourd’hui, un seul trappeur subsiste encore au Spitzberg, qui a choisi de vivre en autonomie totale.
Non loin de la ville, de nombreux chenils de huskys sont installés. Ils serviront aux déplacements en traîneau dès les premières neiges. Inutile d’avoir une voiture au Spitzberg, la route se limite à quelques dizaines de kilomètres, les déplacements se font en bateau en été, et en scooter des neiges en hiver.
Autre curiosité de taille à côté de Longyearbyen, la « réserve mondiale des semences » est enfouie à 120 mètres de profondeur, afin de conserver et protéger la diversité génétique des cultures vivrières. Ouverte en 2008, elle contient maintenant plus d’un million d’échantillons de graines, provenant de pays aux quatre coins du monde.
Un espace en danger
Des règles très strictes ont été établies pour la protection de la flore et de la faune, afin que le cycle naturel et la biodiversité puissent se développer en étant très peu affectés par l’activité humaine.
Thomas, ancien officier de l’armée norvégienne, est aujourd’hui guide pour Base Camp Explorer, une agence qui s’est développée dans l’éco-tourisme, et œuvre pour la préservation de l’environnement. « C’est bien sur l’espace, la confrontation avec une nature sauvage, l’expérience de la vie en plein air qui m’ont fait venir ici. Mais aussi une volonté de m’impliquer face au réchauffement climatique. Les changements sont plus rapides au Svalbard qu’ailleurs : diminution de la banquise, fonte des glaciers, élévation de la température de la mer et des températures extérieures. Cela affecte le cycle naturel : par exemple, nous voyons plus souvent des pluies en hiver, qui forment ensuite une couche de glace. Beaucoup plus impénétrable qu’une couche de neige pour les rennes qui cherchent à se nourrir … Les glaciers régressent également de manière très visible, le fjord de Longyearbyen ne gèle plus depuis près de 20 ans », explique-t-il. Mais c’est aussi la pollution des océans qu’il constate ici. « Régulièrement des opérations de nettoyage de plages sont organisées par le gouverneur du Svalbard, ou par des associations locales. Des plastiques qui ont parfois parcouru des milliers de kilomètres, mais aussi des filets de pêche et autres déchets générés par l’industrie de la pêche sont ramassés. Tout cela doit s’arrêter. », tient-il à ajouter.
L’Ursus Maritimus
Comme tous les guides, Thomas est armé, une obligation en cas de rencontre fortuite avec les ours polaires. Seul un petit périmètre dans Longyearbyen ne nécessite pas cette protection, tant l’animal est considéré comme imprévisible.
Ce grand prédateur terrestre, dont la taille varie de 400 à 800 kilos, est une des premières victimes du réchauffement climatique, après avoir été décimé par des générations de trappeurs pour sa fourrure.
Protégés depuis 1973, la population d’ours polaires est estimée à 3.000 au Svalbard, plus que le nombre d’habitants. Une estimation seulement, car les ours en hiver peuvent se rendre au Groenland et sur le territoire russe en passant par les banquises. Ils peuvent ainsi parcourir 50 à 80 km par jour. Avec le recul des glaces, l’ours polaire voit son territoire de chasse se réduire, lui qui se nourrit essentiellement de phoques exposés sur la banquise.
C’est d’ailleurs un ours qui a semé la panique à l’Isfjord Radio Hotel en juin dernier, en s’introduisant dans le garage et le garde-manger…et a du être délogé avec l’aide d’un hélicoptère du gouverneur du Svalbard.
Isfjord Radio Station
Avec l’intensification de l’exploitation du charbon et après le naufrage de cargos russes dans la zone, les autorités norvégiennes installèrent en 1933, une nouvelle station radio maritime, à Kapp Linné, à la sortie de l’Isfjord, afin de mieux guider les navires. Après avoir été détruite après l’attaque des nazis en 1940, la station a été reconstruite et ré-ouverte après la guerre. Isfjord Radio est devenue un maillon essentiel des informations météo et radio, les communications avec la Norvège continentale, et s’est équipée au fil des décennies des dernières technologies.
Fermée en 2000, n’ayant plus d’utilité face aux nouvelles technologies, elle a été rachetée en 2008 par Base Camp Explorer qui l’a transformée en boutique hôtel, accessible uniquement par bateau en été, et par motoneige en hiver. Une autre option en hiver est d’arriver à pied, après cinq jours de randonnée et nuits sous la tente, avec peut-être la chance de voir les aurores boréales éclairer la nuit polaire.
Située dans un espace naturel vierge et protégé, Isfjord Radio est une excellente base pour partir à la rencontre des baleines, des morses, des phoques, des ours …et observer les sternes arctiques, ces fameux oiseaux migrateurs qui vont du pôle Nord en été au pôle Sud en hiver, parcourant ainsi plus de 70.000 km par an. La mer de Barents est à ce titre une des régions du monde abritant le plus d’oiseaux maritimes.
Bienvenue en Union soviétique
Entre Isfjord Radio et Longyearbyen, se situe Barentsburg, la dernière mine russe « officiellement en activité ».
Lors du traité du Svalbard, la Norvège et les pays signataires avaient avalisé la possibilité pour des pays tiers d’y exploiter les richesses minières. L’Union soviétique, particulièrement après la deuxième guerre mondiale, y a maintenu une colonie très active, essentiellement sur deux villes.
Le site de Barentsburg a été cédé à l’URSS en 1932, et la ville a accueilli ainsi jusqu’à 1.000 personnes au plus fort de son activité. Tombée aujourd’hui en désuétude, Baretnsburg reste symboliquement ouverte afin de permettre une présence russe, compte tenu de l’importance géostratégique de ce poste en Arctique. Le charbon extrait d’une mine sous la mer sert à la consommation sur place. Pour cette raison, les quelques centaines d’habitants y trouvent une poste, un hôtel, un pub, le consulat russe du Svalbard , le buste de Lénine …et une église érigée en hommage à Pyramiden.
En effet, Pyramiden, autre ville minière modèle qui se voulait la vitrine de l’URSS a périclité en 1998 suite à un grave accident d’avion qui a décimé les habitants. Aujourd’hui la ville fantôme, et ses monuments phares se visitent, telle l’école ou le centre culturel, quasiment intacts. Quant à la Norvège elle n’exploite plus que la mine de charbon numéro 7 : creusée à plus de trois kilomètres à l’intérieur de la montagne, elle est le vestige d’une tradition de plus de 100 ans.
De nouveaux enjeux
Pour Thomas, le tourisme ne représente pas une crainte pour l’environnement tant qu’il est bien géré. « Il faut vivre avec la nature, mais pas consommer ses ressources. Le tourisme doit être contrôlé, et régulé de manière à s’inscrire dans une démarche éco responsable. Il doit être conçu dans une logique de développement durable », précise-t-il.
En revanche, le réchauffement climatique et la fonte des glaces génèrent de nouveaux enjeux géopolitiques, plutôt inquiétants. « Des opportunités s’ouvrent avec la fonte des glaces : la zone de pêche s’élargit, des gisements de pétrole potentiels peuvent être découverts, et de nouvelles routes maritimes peuvent s’ouvrir », indique le guide norvégien.
Raisons qui expliquent la forte présence d’une communauté scientifique internationale, qui surveille avec passion le silence de l’arctique.