Culture

« Réussir ses négociations avec les Chinois »

Quels sont les mécanismes de la négociation en Chine ? Découvrez l’esprit et les règles pour assurer votre succès dans l’empire du milieu. Maurice Herschtal, consultant sur l’Asie, fort d’une expérience de 35 ans sur le sujet dont 12 en Chine et à Hong-Kong, et Anne-Laure Montfret, consultant en ressources humaines, nous livrent tous les secrets pour vous aider à perfectionner vos pratiques. Rencontre avec Anne-Laure Montfret, aujourd’hui animatrice de formation en entreprises sur la Chine où elle a travaillé huit ans. Entretien.

Propos recueillis par Catya Martin

Trait d’Union : Pourquoi ce livre ?

Anne-Laure Montfret : Il existe de nombreux livres de business sur la Chine, mais peu qui abordent exclusivement la négociation avec ses spécificités chinoises. Ce livre correspond à une réelle attente : les hommes d’affaires qui s’intéressent à la Chine sont de mieux en mieux informés  et demandent une analyse plus approfondie, fondée sur  des éléments à la fois plus précis et plus pratiques.

Nous avons jugé utile de compléter nos réflexions personnelles en partageant les expériences de professionnels occidentaux qui vivent la négociation sur le terrain, et en interrogeant  des négociateurs chinois afin d’offrir un tour d’horizon complet sur l’ensemble des aspects de la négociation.

Comment s’est faite votre rencontre avec Maurice Herschtal ?

Maurice Herschtal est un passionné de la Chine et possède une riche expérience en négociation internationale et en management avec notamment 4 années à Hong-Kong et 8 années à Changzhou et à Shanghai. Il travaille aujourd’hui en tant que consultant et formateur sur l’Asie auprès de PME et de groupes du CAC 40. Pour ma part, je suis passionnée par les questions interculturelles ; j’ai passé 8 années à Shanghai, au cours desquelles j’ai écrit mon premier ouvrage « Comment ne pas faire perdre la face à un Chinois » (publié chez le même éditeur Dunod, en 2009 et réédité en 2015).

A mon arrivée en France en 2013, j’ai contacté Maurice dans le cadre de nos intérêts communs pour la Chine. Nous avons été amenés à travailler pour le même institut interculturel sur Lyon.

Lors de vos enquêtes, avez-vous encore appris des choses ?

Oui bien sûr ! Absolument ! D’abord, il ne faut pas oublier que la Chine passe par une transition rapide et incroyablement  profonde et il nous faut constamment remettre nos connaissances à jour. De plus, je crois que rien ne vaut les expériences pratiques. J’apprends toujours énormément au cours de ces interviews : chacun apporte sa vision et ses anecdotes. En fait, nous avons souvent une perception personnelle et subjective et la confronter avec celle des autres est toujours enrichissant et nous permet d’élargir notre propre horizon et d’avoir une meilleure vue d’ensemble. J’aimerais citer cette parabole bouddhiste de l’éléphant : Un jour, un roi convoque plusieurs aveugles dans son palais. Il fait amener un éléphant et leur demande : « Approchez et dites-moi ce que c’est pour vous. »

« On dirait un tuyau », dit l’un des aveugles en touchant la trompe. « C’est plutôt une corde », affirme un autre en touchant la queue. Le troisième s’approche : « Cela ressemble à un tronc », dit-il en entourant de ses bras une des pattes. « Non, je crois que c’est un éventail », dit le suivant en effleurant la gigantesque oreille. Le dernier dit : « C’est un mur » en caressant le flanc.

« Cessez de vous quereller ! lance le roi. Chacun de vous a raison et dit sa vérité, mais vous avez tous tort car la réalité vous échappe dans sa globalité ! » (Extrait introduction « Réussir ses négociations avec les Chinois »).

Quel est l’élément primordial pour réussir une bonne négociation ?

La confiance. Cela peut paraître surprenant dans un pays difficile en affaires comme la Chine où la prise de risque n’est pas négligeable, pourtant la confiance que vous saurez inspirer et établir avec votre partenaire sera une condition préalable “sine qua non” pour que la négociation se déroule dans de bonnes conditions et prépare le terrain pour vous permettre de développer votre business en Chine. Les Chinois sont a priori foncièrement méfiants envers tout inconnu : plus vous saurez vous montrer un partenaire fiable (par exemple, les références obtenues auprès d’autres clients chinois et la réputation acquise dans le réseau s’avèrent essentielles), éviter les impairs, comprendre l’état d’esprit des négociateurs chinois, et plus vous aurez de chances d’aboutir à  un accord équilibré entre les deux parties. Sans la confiance, le risque est grand que la négociation se déroule à votre désavantage. Les Chinois n’auront alors aucun scrupule.

Les pratiques de négociations ont-elles évoluées au fil des années ?

De plus en plus de jeunes Chinois sont familiers des techniques de négociation occidentale, surtout ceux ayant suivi un MBA ou ayant travaillé pour des entreprises étrangères.  Certaines universités chinoises réputées enseignent aujourd’hui des techniques de  négociation inspirées des ouvrages occidentaux.

Toutefois, même si les pratiques semblent avoir évolué en surface, selon nos observations auprès de jeunes Chinois interrogés, les réflexes et la mentalité profonde des négociateurs ont peu changé.

Pour illustrer, prenons l’exemple des contrats. Les pratiques commerciales sont beaucoup plus encadrées depuis ces dix dernières années. Certaines entreprises privées chinoises tournées vers l’international s’orientent vers des contrats de type occidental. Il n’empêche que pour la majorité des négociateurs, l’esprit chinois prévaut : le contrat, une fois paraphé, est loin d’être gravé dans le marbre. Il  reste une forme de déclaration d’intention, une plateforme sur laquelle va se bâtir la relation de confiance et de dépendance réciproque , une étape dans le processus, quelque chose de vivant et donc de changeant, obtenu à un moment donné qu’il faudra savoir adapter et entretenir dans la durée. Ainsi que l’a commenté un patron français : « Comme dans un contrat de mariage, tout ce qui se passe avant et après est bien plus important finalement que le papier qu’on a signé. Le passage à la mairie ne fait que formaliser toute la relation qu’on a construite. Le contrat est juste une étape dans le processus. Il n’est qu’un élément parmi d’autres de l’établissement de la confiance. » (Extrait chapitre 8 Le contrat, genèse d’une relation « Réussir ses négociations avec les Chinois »).

De même, le développement d’Internet, les réseaux virtuels tels que « Wechat » et les plateformes d’achats en ligne font évoluer les relations commerciales, mais la pratique des « guanxi » (relations), l’importance de se connaître personnellement, la réputation et le bouche à oreille restent très profondément ancrés dans la pratique des affaires.

La loi anti-corruption mise en place en Chine a-t-elle modifié la donne ?

Oui, certainement en surface. Et aussi surtout vis à vis des étrangers.

La loi anti-corruption mise en place avec le nouveau gouvernement de Xi Jinping a eu un impact certain, en particulier sur les pratiques des banquets et des cadeaux, mais n’a pas pour autant trop altéré les habitudes des businessmen chinois entre eux; cela les a surtout amenés à être plus discrets.

Cela concerne surtout les cadeaux trop luxueux et les dépenses ostentatoires. Par contre, l’échange de cadeaux “raisonnables” reste une pratique courante dans les affaires et contribue à entretenir des liens personnels. De même, trinquer avec vos interlocuteurs reste un gage de sincérité et d’amitié, à condition de se contenter de boissons moins onéreuses que les cognacs XO et les Maotai hors de prix. Ainsi que nous l’ont confié des dirigeants chinois : « Avec ce nouveau climat visant la corruption, les Chinois sont plus attentifs à ne pas s’afficher dans les lieux publics, on boit beaucoup moins au restaurant. Par contre, quand on est entre amis, entre guanxi, en petit comité, dans un salon particulier, on apporte ses bouteilles… dans le fond, pas grand-chose n’a changé. » « La consommation d’alcool a diminué avec les nouvelles règles… mais croyez-moi, ça va revenir ! » (Extrait chapitre 4 « Réussir ses négociations avec les Chinois » Le rôle de la table et l’art du Ganbei).

Peut-on faire confiance lorsque l’on fait des affaires avec la Chine ?

Si vous partez méfiants, vous êtes sûrs d’échouer. « Si vous allez en Chine en faisant toujours attention, en vous méfiant, ce n’est pas la peine d’insister : allez ailleurs, cherchez ailleurs. Parce que pour réussir en Chine, il faut aimer les Chinois, il faut avoir envie de discuter avec eux. C’est comme ç̧a qu’on peut entrer en communication et gagner leur confiance », a commenté́ Jean-Pierre Raffarin lors d’une conférence (Extrait chapitre 1 « Réussir ses négociations avec les Chinois » Climat de confiance).

Si on est trop suspicieux, on risque de s’enfermer dans des attitudes négatives, de voir des pièges partout et d’accroître la méfiance et les tensions côté chinois. Pour autant, il ne faut pas être trop naïf. Les négociateurs chinois peuvent être redoutables, et comme ailleurs, il y a des individus malhonnêtes. Ne vous laissez pas éblouir. N’oubliez pas l’adage chinois : « La bonne affaire attire le naïf comme la flamme attire le papillon de nuit ». Il est important de ne pas se lancer avec n’importe quel partenaire les yeux fermés, de faire votre “due-diligence” au préalable et de vérifier les informations directement sur le terrain.

Peut-on gérer facilement la notion de compromis en Chine ?

Le compromis est un concept important dans la culture chinoise mais ce n’est pas toujours facile. Vous pourrez avoir affaire à des négociateurs ouverts au compromis : c’est souvent le cas pour les négociations avec des grandes entreprises privées ou pour des projets communs à long terme, à condition que  la confiance soit établie entre les parties; faute de quoi, vous pourrez aussi faire face à des négociateurs prêts à optimiser leurs profits à vos dépens dans une optique win-lose : c’est également le cas sur des transactions de type achat-vente avec profit immédiat ou si votre interlocuteur ne pressent aucune incitation à s’engager  avec vous sur le long terme. A vous de repérer ce type d’interlocuteur afin d’ajuster votre propre attitude.

« Réussir ses négociations avec les Chinois» Par Maurice Herschtal et Anne-Laure Montfret.

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Infos : http://chinaoutsidethebox.com/