Retour sur la tournée de Jacques weber
Venu présenter son spectacle « Hugo au bistrot » à Hong-Kong, Macao et Séoul, Jacques Weber garde un excellent souvenir de cet escale asiatique. Retour avec l’artiste sur cette tournée hors du commun.
Propos recueillis par Catya Martin
Trait d’Union : A Hong-Kong pour la seconde fois, vous avez donné lecture dans des lieux très différents. Que retenez-vous de ces représentations ?
Jacques Weber : Je pars du principe que mon métier est d’être acteur, interprète et passeur de texte. Je dois trouver le bonheur et le plaisir de chacun et on trouve toujours le moyen, c’est toujours très agréable de voir comment on peut prendre une salle. Ca fait parti de l’art de la représentation.
Lors de votre passage à Hong-Kong, vous avez fait un arrêt pour vous poser dans le fauteuil de Parenthèses et parler de votre dernier livre « Vivre en bourgeois, penser en demi-dieu ». Vos impressions sur ce passage remarqué à la librairie de Hong-Kong :
J’ai adoré cet endroit ! C’est une vraie librairie, c’est le bordel, c’est envahi par les livres, c’est envahi par le gout immodéré de la littérature et en même temps ça sent la résistance, planqué dans un immeuble au 3ème étage, ou les murs sont trop étroits, mais le livre est là, plus fort que tout.
Pourquoi Victor Hugo ?
Hugo m’est revenu en tête car lors des présidentielles, je l’entendais tout le temps dans la bouche de gens très bien et mais aussi dans la bouche de personnes beaucoup moins bien. De gens qui avaient tout à fait raison d’en parler et d’autres qui faisaient une usurpation tellement scandaleuse que je me suis dit mais pourquoi cette unanimisme pour séduire les foules ? J’ai donc décidé de retourner voir ce grand homme. Et là, j’ai trouvé un livre peu connu « Choses vues » où Hugo prend des notes toute la journée sur ce qu’il voit à travers ses vies. C’est un homme incroyable et on comprend qu’il a écrasé le XIXème de cette façon.
Hugo plus contemporain que jamais ?
Je suis allé regarder dans Les Misérables où il y a des pages d’anthologie. Je ne peux dire du Hugo en passant outre les grands thèmes qu’il a abordé et qui sont hélas encore si prégnants tels que ceux de la misère, de la pauvreté ou encore de femme.
Extrait d’Hugo sur les femmes : « Il est difficile de composer le bonheur de l’homme avec la souffrance de la femme … Dans la civilisation actuelle, il y a une esclave, la loi a des euphémismes, ce que j’appelle une esclave, elle l’appelle une mineure, cette mineure selon la loi, cette esclave selon la réalité, c’est la femme … l’homme a fait verser tous les droits de son côté, tous les devoirs du côté de la femme, de là un trouble profond, de la servitude de la femme dans notre législation qu’elle est, la femme ne possède pas, n’existe pas en justice, ne vote pas, elle ne compte pas, elle n’est pas. Il y a des citoyens pas de citoyennes… »
Les réactions des différents publics ?
Chaque public est différent selon les jours, le temps, l’actualité récente, l’actualité traversée, selon les pays aussi, ce n’est jamais tout à fait pareil et en même temps, paradoxe, c’est toujours un peu la même chose.
Les textes ont leurs vertus initiales et générales qui touchent plus ou moins tout le monde de façon différente mais qui touchent toujours tout le monde.
Après le spectacle vous revenez vers les spectateurs. Que vous disent-ils ?
Il y a toujours dans un premier temps de la timidité. Ce qui me fait le plus plaisir est ce qui se passe quelques jours après, dans la tête des gens. Si le spectacle est encore présent, c’est donc qu’il s’est passé quelque chose qui me touche beaucoup. Beaucoup étaient intéressés par le moment où j’explique comment le poème est construit. C’est une récurrence de presque toutes les tables.
Ils ne connaissaient pas du tout cette histoire de la féminine et de la brève, qui est une des choses unique de la langue française.
D’autres ont été bouleversés par demain dès l’aube, par le testament ou encore la vieillesse. Chacun à son sujet de prédilection.
Et votre rencontre avec les jeunes du Lycée français ?
Les jeunes ont un rapport sur le monde que je n’aurais jamais plus. Quoi que je fasse et quoi que je lise. Ils ont un cerveau qui n’est pas construit de la même façon que le mien. Le cerveau humain est le seul organe qui se réorganise selon la demande et les jeunes ont une façon de réfléchir différente de la mienne.C’est donc toujours intéressant, pour moi comme pour eux, et ce rapport pédagogique, ou intergénérationnel, n’est intéressant que dans l’aller-retour.
Il n’y a jamais d’aller simple, je ne suis pas du tout pour les cours magistraux.
Je suis un homme de terrain qui a pour lui son expérience. Mais même avec cette expérience, les mômes vont m’apprendre des choses sur le monde que je ne vois pas de la même façon. Les questions posées sont les mêmes un peu partout, on sent les questions préparées et au fil du débat les choses se précisent.
Quels souvenirs garderez-vous de cette tournée ?
C’est d’abord un formidable dépaysement et il y a ce choc frontal avec ce que je pressentais, mais que je n’imaginais pas, c’est à dire la découverte que je suis dans un monde dingue, fou et définitivement perdu.
Je trouve que Hong-Kong, comme Macao me font penser à la fable de la fontaine, La grenouille qui voulait devenir plus grosse que le bœuf. A Macao je me suis même dit que nous étions très près de Rome avant Constantin. Avant la fin de l’empire romain, on est très près.
Bien sur il faut toujours espérer. Je ne suis pas un catastrophiste. Il semble que l’Homme a toujours su se remettre sur ses pieds.
Ensuite, cette rencontre avec ce journaliste qui ne comprend pas le français mais qui était là et qui a eu l’émotion. ça c’est ce qui me fait le plus plaisir.
Et aussi cette ferveur ressentie lors de la discussion à la librairie francophone.