Culture

Pascal Rambert : « Dès qu’il y a des idées, il y a du trouble »

Le 18 Janvier dernier, la troisième “Nuit des idées” de Hong-Kong, événement organisé par le consulat général de France a accueilli Pascal Rambert. Directeur du théâtre de Gennevilliers (T2G) de 2007 à 2016, il parcourt le monde pour présenter ses œuvres et les faire jouer en les adaptant. La pièce « Architectures » de cet auteur-metteur en scène a été jouée en ouverture du festival d’Avignon en 2019.

Propos recueillis par Isabelle Chabrat

 

Trait d’union : Pour vous, comment un événement tel que la « Nuit des idées » fait bouger les lignes ?

Pascal Rambert : Je viens du champ de la philosophie, elle a toujours été très proche pour moi, dès qu’il y a des idées, il y a du trouble. Le fait de poser les problèmes cela fait déjà avancer. J’ai beaucoup fait cela à Gennevilliers, j’invitais toujours des philosophes.

 

Vous représentez à cette « Nuit des idées » le pouvoir d’inclusion de l’art. Quel lien faites-vous entre inclusion sociale et pratique des arts ?

J’ai dirigé pendant 10 ans un Centre dramatique national, à Gennevilliers, une banlieue où arrivent des gens du monde entier. J’avais à cœur de faire en sorte que les 25 ou 30 nationalités puissent être représentées, en tout cas entendues, et puissent travailler dans ce cadre que je dirigeais. Ce n’est pas une obligation, cela toujours été une joie de faire cela pour moi.

Il y a quelques semaines j’étais à Mexico pour une production avec les problèmes de sécurité que l’on connaît, il y a un mois et demi à Ouagadougou où les djihadistes encerclent la ville, j’ai beaucoup fait de pièces à Taiwan, à Pékin, à Tokyo, en Thaïlande etc…

Dans tous les endroits où je suis, mon travail c’est ça : articuler une forme de géopolitique, des préoccupations qui sont les miennes. Parce que mon sujet central c’est la condition humaine- c’est peut-être un grand mot de le dire, mais je ne peux pas le dire autrement, sujet qui trouve des formes d’expression à travers les histoires personnelles des gens avec qui je travaille partout dans le monde. Donc j’essaye d’articuler la grande histoire, c’est ce que je viens de faire dans la cour d’honneur à Avignon cet été : c’est clairement un mélange on l’on voit ce que fait l’histoire et le cours de l’histoire sur les corps.

 

Concrètement comment avez-vous lié le théâtre et l’inclusion sociale à Gennevilliers ?

Je faisais une chose simple : les ateliers d’écriture tous les mardis soirs avec la population. Je pensais que le théâtre devait être comme une chatière : les chats détestent les portes fermées, donc on leur crée des chatières pour qu’ils rentrent, qu’ils sortent, sans qu’on ne leur demande rien. J’ai fait la même chose : que les spectateurs entrent et sortent, les ateliers d’écriture n’étaient pas payants, jusqu’à 70 personnes écrivaient, cela a duré 6 ou 7 ans comme ça . Ensuite j’ai fait rentrer certains à l’intérieur du spectacle que je faisais, ils ont fait des films, des photos avec des artistes célèbres comme Nan Goldin, ils venaient aux ateliers de philosophie, ils faisaient des spectacles de danse, de théâtre…

 

Vous faites un passage éclair à Hong -Kong – une journée, quelle est votre impression ?

C’est court pour parler d’impression !

Mais je viens de rencontrer une actrice, son père est venu à Hong-Kong à la nage, l’arrivée, être cachés dans les bateaux… c’est ça aussi mon travail. Ce qui m’intéresse c’est l’histoire des gens : la vie est là. En tant que dramaturge et écrivain, c’est cela que j’écoute, je capte l’énergie intérieure de la personne, c’est mon truc.

Au-delà de cela, Hong-Kong c’est une curiosité et une envie de faire des choses en dehors du cercle habituel qui m’anime.

 

Toute cette observation du tissu social  va vous servir en phase d’écriture de la pièce ? Pour mieux diriger ensuite ?

Là en l’occurrence, la pièce est écrite. Nous réfléchissons en effet avec le directeur du Hong-Kong Art Festival, très francophone, à inviter une de mes pièces françaises.

Tout mon planning est plein jusqu’à 2024, mais l’idée c‘est de réunir des acteurs de différents endroits, faire un projet spécifique à Hong-Kong J’écoute et je ramasse, je prends, je suis une oreille souvent quand j’arrive, j’évite de porter un jugement trop vite. Donc mon impression elle est bonne, j’ai envie de revenir très vite pour travailler avec l’équipe traductrice, les acteurs.

 

C’est une pièce que vous avez déjà écrite pour Hong-Kong ?

Une pièce écrite pour la France.

 

Qu’y aura-t-il de différent ? Une adaptation ou juste une traduction ?

Les deux. Par exemple, dans la pièce « Clôture de l’amour »  qui est partout dans le monde, le personnage principal dit « la vie n’est pas un panier de fraises ».  Pour le traduire au Japon, l’image n’était pas bonne, les fraises à Tokyo ce n’est pas un fruit abondant, donc l’idée profuse on ne l’avait pas en japonais si on traduisait mot à mot . Nous l’avons donc traduit par « la vie ce n’est pas s’asseoir autour d’un kotatsu pour manger des mandarines ». Et là tout de suite, au Japon, ça marche, le sens est là. Voilà le vrai travail de la traduction.

 

Que vous apporte cet exercice d’adaptation/traduction ? Est-ce que tous les concepts sont universels ? L’humour est-il le même partout ?

A part les problèmes de censure dans certains pays, on peut tout traiter.

Oui, sur les pièces les gens rient partout au même endroit dans le monde entier.

Ce qui est merveilleux c’est que malgré la tendance générale où chacun veut montrer qu’il est si différent de l’autre, si particulier, en fait on se ressemble énormément. Je travaille dans une trentaine de langues dans une cinquantaine de pays, on pleure et on rit aux mêmes moments, les émotions arrivent aux mêmes endroits. Actuellement j’ai 14 productions qui tournent dans le monde entier, donc vivre ça c’est aussi extraordinaire.

 

Vous avez un grand attachement à l’Asie ?

Oui, le premier pays d’Asie pour moi c’est le Japon, j’y ai fait une dizaine de productions en 20 ans, et après j’ai commencé à travailler en Thaïlande, à Taiwan, en Chine continentale.

Hong-Kong c’est plutôt un circuit anglo-saxon, et je serais content d’entrer dans cet univers. La culture de théâtre anglo-saxonne n’a rien à voir, tellement différente : les Anglais aiment des pièces avec des «plots» (intrigue), une histoire plutôt courte, un rapport très psychologique, et nous en France on aime des pièces longues, pas forcément avec une histoire, sans psychologie, où la langue est la chose avant tout, donc on est aux antipodes.

D’ailleurs les auteurs français sont très peu montés au Royaume Uni.

 

Aujourd’hui cet esprit de Gennevilliers comment le perpétuez-vous ?

Dès que je peux, cela dépend des projets. Par exemple, on a de gros projets avec les prisons, pour moi cela devient nécessaire d’aller sur ce terrain.

Je viens de faire la Cour d’honneur à Avignon qui est une sorte d’Annapurna quand vous faites du théâtre, mais, je ne peux pas écouter que des histoires d’acteurs, j’ai besoin de me nourrir d’autre chose d’élargir le cercle.

Je prépare une production avec des acteurs qui viennent d’Afrique de l’Ouest : Mali, Burkina, Guinée. J’ai un côté un peu addictif avec le travail. J’adore ça ! Je me suis battu toute ma vie pour travailler au bon niveau et faire exactement ce que je veux, donc mon addiction me pousse toujours à aller vers ce que je ne connais pas.

Comme j’ai la chance de ne faire que ce que je veux et de ne travailler qu’avec les gens que je souhaite, je vais là où me conduit mon désir C’est un signe de courage, pour moi la vie c’est affronter, résoudre les choses.