Mots passants : invitation au voyage avec l’atelier d’écriture de Wuhan. Vous avez dit « malle aux trésors» ?
Vous aimez jouer, jongler avec les mots, avec les sons… Vous sentez en vous comme une petite envie d’écrire…Vous croyez que vous n’avez pas d’imagination… Seul(e) ou à plusieurs, faites voyager vos propres mots à travers la Chine, ce pays que vous découvrez depuis 6 mois, un an, peut-être plus longtemps ! C’est avec plaisir que nous vous proposons un chemin d’écriture, bordé de beaux paysages littéraires. Accompagné(e)s de nos fidèles participantes et de quelques-uns de leurs textes, laissez-vous guider ! Le bagage est léger : un crayon, du papier !
Par Marie-Christine Huguenin et Anne-Sylvie Delaunay (sélection photos) avec l’aimable autorisation des éditions des Equateurs
Imaginez, qu’un jour d’hiver, vous trouviez dans le grenier de votre maison de famille, une malle que vous avez aperçue à plusieurs reprises pendant votre enfance et dont vous aviez totalement oublié l’existence.
Aux tampons des douanes qui couvrent son couvercle, vous comprenez qu’elle arrive de très loin et qu’elle a été abandonnée là depuis plus de 70 ans. Imaginez que vous ne résistiez pas à la tentation de l’ouvrir et que vous découvriez trois plateaux comportant 109 petites figurines de 8 à10 cm chacune, en bois de fusain représentant des scènes de la vie de Shanghai des années 30.
C’est exactement ce qui est arrivé à Ivan Macaux, journaliste et romancier qui va tenter de renouer le fil de l’Histoire et celui de son histoire familiale.
Sa curiosité et son obstination le conduiront en 1937 alors que son grand-père, le commandant en chef des Forces navales d’Extrême-Orient, Jules Le Bigot parvient à convaincre les Japonais de ne pas bombarder le quartier des concessions françaises. Pour le remercier, les enfants de l’orphelinat jésuite de T’Ou-Sè-Wè connu pour son centre d’apprentissage de sculptures sur bois lui offrent une malle contenant 109 petits personnages…
Cette extraordinaire aventure fera l’objet, en 2014, en collaboration avec Christian Henriot, historien, d’une exposition au musée des Tissus et Arts décoratifs de Lyon et d’un magnifique ouvrage, Scènes de la vie en Chine. Les figurines de bois de T’ou-Sè-Wè, aux éditions des Equateurs.
Pour notre atelier Mots passants, une occasion rêvée d’imaginer la malle aux trésors que chacun porte en soi. En voici quelques exemples.
Comme un théâtre
Sous sa nappe de satin défraîchi, la malle pouvait passer inaperçue. On aurait cru un simple carton protégé de la poussière de la pièce.
Pourtant, quand on soulevait le tissu soyeux, on pouvait découvrir une malle de voyage de très belle facture. Son cuir sombre était resté souple malgré le passage des ans. Il fallait être observateur pour retrouver les petits coins où la matière s’était craquelée. Mais ce qui m’impressionnait le plus, c’étaient les deux magnifiques sangles tannées qui ceinturaient cette vieille malle. A chaque ouverture, elles produisaient un claquement sec qui précédait juste le cliquetis de la boucle métallique.
Le couvercle soulevé, un enchevêtrement de fils, de bois et de tissus se faisait jour. Il y avait là tout un théâtre de marionnettes. Dans son habit à carreaux, Arlequin faisait le fier et tentait de séduire la belle Colombine. A leur droite se trouvait un Polichinelle, vêtu de rouge et d’or, inquiétant avec son nez crochu et ses deux bosses. Dès qu’il entrait dans la lumière, le Pierrot immaculé était illuminé d’un éclat qui adoucissait sa mine triste. Au-dessous encore, je devinais d’autres merveilles que je n’osais prendre.
Farfouiller dans cette malle, n’était-ce pas sacrilège ?
Par Anne-Sylvie Delaunay
Mémoire scellée
Lorsque le livreur déposa la malle au milieu du salon, l’atmosphère s’alourdit. Son poids en kilogrammes, bien que non négligeable, était dérisoire au regard de son poids émotionnel. Cette malle, dont j’ignorais encore l’existence il y a trois semaines, venait directement de Shanghai. Monsieur Yong, un entrepreneur chinois de grande envergure, avait retrouvé dans sa dernière acquisition quelques dossiers de l’orphelinat des Ginkgos et m’avait assuré que celle-ci me revenait. D’origine chinoise, mes premiers souvenirs remontaient à mes quatre ans, ici en Bourgogne.
Je l’avais imaginée plus volumineuse, certainement pour qu’elle puisse contenir d’avantage de choses. Rectangulaire, imposante mais pas trop, sa peinture rouge craquelée laissait deviner une esquisse. En essuyant délicatement avec le bout de ma manche le contour puis le motif central, je découvris une scène de théâtre chinois. Bien que l’illustration fut ancienne et écaillée par endroits, la finesse des traits ne laissaient aucun doute sur le talent du peintre.
Je m’étais longuement penchée sur ce que pourrait cacher la malle et mon imagination m’avait parfois portée vers des contenus insolites.
J’espérais découvrir des photos, des écrits…
J’espérais trouver un lien avec ma famille…
J’espérais combler ces quatre années de vide…
J’espérais…
Je souhaitais ouvrir la malle avant que les enfants ne rentrent de l’école. Elle était la mémoire de mon histoire oubliée et elle n’appartenait qu’à moi.
Son lourd couvercle était maintenu fermé par une ferrure rouillée. Le cadenas céda sans peine. Il me fallut inspirer un grand coup et maîtriser le tremblement de mes mains pour ouvrir cette boîte de Pandore.
Le grincement des charnières accompagna ma découverte.
Sous un drap de coton blanc délicat, reposait du linge soigneusement plié. A première vue, le temps n’avait pas altéré l’agencement des piles. Une odeur de renfermé rappelait toutefois que ces étoffes y étaient déposées depuis de nombreuses années.
Des vêtements, aux couleurs tendres, se paraient de broderies fines réalisées à la main. Se trouvaient aussi quelques pièces tricotées, comme ce bonnet au point mousse rehaussé d’un ruban jaune. Mon attention se porta plus particulièrement sur une petite robe dont le col en dentelle n’avait rien à envier aux dentelles de Chantilly. Elle semblait appartenir à un autre temps. Un léger accroc dans le jupon me confirma qu’il s’agissait bien d’un héritage contrairement au reste de la garde-robe.
C’est en sortant une à une toutes ces pièces uniques que je réalisai qu’il s’agissait de layette. De la layette pour fillette.
Certainement confectionné par ma mère, mon trousseau m’attendait.
J’avais donc été une enfant désirée.
Par Laetitia.R.
Cithares du vent
Des piles de Reader’s Digest, un vieil abat-jour, le mannequin de couturière de Mémé et, au milieu de ce muséum d’histoire familiale, énigmatique et familière, une gardienne du passé. Lorsque l’été me ramène dans ce petit coin de France et que l’après-midi est aux nuages, je m’éclipse et vais la retrouver.
A l’odeur d’humidité âcre de son cuir craquelé, je sais qu’on ne l’a pas déplacée. Son bordereau d’expédition bistre, ses scellés de cire rouge arrachés, taches sanguines sur son couvercle fauve, m’intriguent toujours autant.
Douanes de Shanghai-1937. Une adresse à l’encre de Chine en rondes carolines bien françaises.
Je m’assieds sur la pile de Reader’s Digest et sous le regard éteint du vénérable abat-jour, je défais religieusement les sangles de cordes brutes qui soutiennent la vieille dame. Son squelette d’osier craque. Mais cette année encore, MA malle a survécu. Certes, le papier de soie qui la capitonne crisse un peu moins bien sous mes doigts. Je suis soulagée.
Dans la pénombre, ils sont bien là : roulés sur eux-mêmes, serrés les uns contre les autres, leurs « ailes de géant » repliées, leurs fils de coton embobinés ou emmêlés. Ils sont des dizaines, de toutes couleurs, de tous dessins.
Celui que je préfère c’est le plus petit. Tendue sur deux tiges de bambou, sa voile, décorée par une main d’enfant malhabile, se déchire en son cœur. Ses grands yeux peints, véritable masque d’opéra, me dévisagent. Combien de fois a-t-il égayé le ciel de Shanghai ? Combien de fois a-t-il nargué, espiègle, vents et courants ? Les nœuds de son fil de lin ne sont plus que lambeaux.
Un à un, presque jusqu’au dernier, les cerfs-volants de grand-père dessinent bientôt autour de moi, un arc-en-ciel enrubanné.
Ne subsiste, au fond de cette mémoire lointaine qu’un coffret de bois d’ébène, vernissé, scellé.
Vais-je l’ouvrir ?
Comme chaque été, je n’ose. En ai-je le droit ? Non, je ne le pense pas !
Comme chaque été, je préfère emporter avec moi, cette cithare du ciel inconnue, ce trésor caché d’Extrême-Orient, cette part d’enfant dans ma vie d’adulte.
Par Marie-Christine Huguenin
Et vous ? Quelle malle souhaiteriez-vous trouver dans votre grenier ?
• Installez-vous confortablement devant une feuille ou un carnet de voyage que vous aurez soigneusement choisi et essayez de visualiser cette malle venue de Chine. (son apparence extérieure, sa taille, les matières qui la composent, sa ou ses couleurs, son odeur…). Ecrivez les mots qui vous viennent à l’esprit.
• Imaginez à présent que vous ouvrez cette malle et que vous découvrez son contenu. Le couvercle grince-t-il à l’ouverture ? Votre malle se disloque-t-elle ? Résiste-t-elle ? Les objets qui s’y trouvent sont-ils rangés ? En désordre ? Cassés ? Enveloppés de tissus ou de papiers particuliers ?… Laissez votre imagination vous guider: elle sait toujours où elle va ! Notez à nouveaux les mots, expressions, phrases qui vous sont venus à l’esprit.
• Cette malle a voyagé, elle arrive d’un autre temps et d’un autre continent. Après avoir relu vos notes, imaginez son histoire, son destin, les personnes qui y ont mis un peu de leur vie. Laissez courir votre plume. Attirée par les détails les plus anodins, les plus anecdotiques, elle vous surprendra. Vous serez peut-être étonné(e) de constater que cette malle venue de si loin, vous est pourtant bien familière ! Le trésor n’est pas toujours là où on croit le trouver !
Et si vous avez envie de nous faire partager votre « écrit-souvenir » de ce premier chemin d’écriture, n’hésitez pas: quand les mots passent à proximité de Wuhan, une de nos participantes est toujours prête à les retenir quelques instants pour les savourer et les laisser s’envoler à nouveau vers d’autres horizons.