Evasion

Marrakech : oasis de lumière à l’ombre du Haut Atlas

Peu de lieux offrent un paysage de désert et de pics enneigés. Or, si l’on ajoute à ce tableau un zeste d’atmosphère colorée, saupoudrée de folklore, alors on obtient un étonnant cocktail: voici brossée en quelques coups de pinceau, Marrakech, l’ensorceleuse. Une cité tout aussi fascinante qu’Istanbul et rendue insolite en hiver par un arrière-fond de hautes montagnes faisant miroiter leur blancheur immaculée au soleil de l’Afrique du Nord.

Par Christian Sorand

Le maréchal Lyautey qualifiait le Maroc de « pays froid, où le soleil est chaud ». Cela sied à Marrakech, l’hiver venu ! Winston Churchill aimait venir se ressourcer à la Mamounia, et Yves Saint-Laurent avait tout simplement planté son cocon dans la verdure exotique du jardin Majorelle. Marrakech est un site difficile à appréhender. Il est préférable de s’y poser pour jouir des délices de l’air et du plaisir des yeux. C’est alors qu’on en vient à se poser la question de savoir s’il existe d’autres endroits tout aussi envoûtants ?

Ville berbère rythmant au son des tambourins et des crécelles de la place Jemâa el-Fna, aux palais secrets jalonnant les ruelles de la médina, aux palmiers que la brise venue de l’Atlas fait frissonner, aux effluves des parfums et des épices éveillant les sens. Marrakech est tout cela : unique, envoûtante, et toujours admirable. On y vient. On en repart en effleurant le rêve d’y revenir un jour prochain.

Seule et unique capitale berbère

Surnommée « la ville rouge », Marrakech doit sa renommée à une position stratégique exceptionnelle. Dans une contrée à dominante berbère, elle tire son nom du Tamazight (langue berbère) Murrakus, « la terre de Dieu » [mur, pays ; akus, Dieu]. La déformation portugaise de son nom, Marrocos, est devenue celle de tout un pays, le Maroc. Le commerce transsaharien a fait d’elle le terminus caravanier en provenance de Tombouctou. Cet axe nord-sud représente un maillon intemporel entre l’Afrique du Nord et de l’Ouest. Une autre ethnie berbère, celle des Touareg a toujours joué un rôle essentiel dans ce négoce africain.

Marrakech a été fondée en l’an 1071 par Youssef ibn-Tachfir, instigateur de l’empire berbère des Almoravides.

En 1147, l’islam orthodoxe des Almohades succède aux Almoravides, créant une brillante dynastie qui régnera sur le Maghreb et al-Andalus (l’Andalousie) du XIe au XIIe siècle. C’était l’époque du célèbre Averroès (1126 –1198), tout à la fois, philosophe, théologien, juriste et médecin.

Bâti au XIIe, le minaret de la Koutoubia, haut de 77m, est devenu l’emblème de la ville. Il a servi de modèle à la Giralda de Séville et à la tour Hassan de Rabat. Les jardins de l’Agdal (1156) portent l’empreinte almohade. Le jardin Menara, construit autour d’un bassin d’irrigation et planté d’oliviers, remonte aussi à cette époque. En 1269, la dynastie des Mérinides s’empare de la ville. L’historien arabe contemporain Ibn Khaldoun (1323 –1406) décrit les troubles de ce règne implanté du XIIe au XVe siècle.

Puis, Marrakech devient la capitale de l’empire saadien au début du XVIe. Cette brillante dynastie était originaire de la vallée du Drâa et a régné sur le Maroc du XVIe au XVIIe. Le palais El-Badi, réplique de l’Alhambra de Grenade, construit sous le règne d’Ahmed El-Mansour (1549-1603), appartient à la même époque. Cette dynastie a également légué deux autres sites à la ville : la médersa Ben Youssef (XVe), et les tombeaux saadiens (XVIe). Au XVIIe siècle, la dynastie alaouite succède aux Saadiens, formant le royaume chérifien. Au XXe, durant la période coloniale du protectorat français, la « ville rouge » retrouve son prestige : un noble berbère, Thami El Glaoui, devient pacha de Marrakech.

Les incontournables

L’hiver, depuis l’une des terrasses du palais El Badi, on peut voir la chaîne enneigée du Haut Atlas, dominée par le Jebel Toubkal (4.167m), le plus haut sommet d’Afrique du Nord. On y découvre aussi la ville historique, entourée de son enceinte de 10 kilomètres.

Depuis 1985, la médina de Marrakech est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce gigantesque entrelacs de ruelles et de commerces hétéroclites regorge de merveilleux palais, souvent édifiés dans le style des Omeyyades par de riches artisans venus de Cordoue ou de Séville. Parfois, s’y mélangent des éléments sahariens ou ouest-africains, comme pour la maison Tiskwin abritant le musée Bert-Flint (XXe).

Parmi les palais-musées, il en existe trois à voir absolument. Le plus vaste et le plus connu est le palais de la Bahia (« la brillante », du XIXe) Il se compose de trois ensembles : le petit riad, la petite cour, et le harem. C’est l’un des chefs-d’œuvre de l’art mauresque. Le deuxième est un vaste palais oriental à l’atmosphère plus froide, devenu le musée d’Art islamique de Marrakech (XXe). L’architecture de la salle de réception laisse les visiteurs pantois. Il existe un autre charmant palais à proximité de la Bahia. Dar Si Saïd (XIXe) est de style un peu moins exubérant, mais revêt une atmosphère plus intimiste.

Une autre ruelle de la médina, recèle également un joli palais, assez peu connu, et pourtant fort intéressant : Dar Mnebhi (XIXe), abritant le musée de Marrakech. Ses collections présentent la vie et les objets usuels des Marrakchis. Bâtie dans le style d’un riad, cette maison traditionnelle, toujours habitée, est édifiée autour d’une cour centrale. Cerise sur le gâteau, de la terrasse, on jouit d’une vue exceptionnelle sur les toits de la médina et la maison offre un thé à la menthe depuis sa petite buvette panoramique, présentant une belle collections de jarres marocaines !

La médersa Ali ben Youssef (XIVe), est un autre lieu à ne pas manquer. La grande cour intérieure évoque l’art d’al-Andalus et a conservé un admirable mihrab.

En marge de la médina, non loin du palais de la Bahia, l’ancien Mellah juif est un autre lieu à voir. On y visite la synagogue Azama, fondée en 1492, par une communauté juive expulsée d’Espagne y habitant toujours. Quant au cimetière juif Miaâra, il est situé aux portes extérieures du Mellah.

La cité du goût et des parfums orientaux

Hormis sa richesse culturelle, Marrakech abrite les secrets d’un pouvoir ensorceleur qui se libère à pied et l’insolite est assuré. C’est tantôt une porte, un objet, une scène de rue inattendue, une venelle mystérieuse conduisant les plus aventureux à d’étonnantes découvertes. Échoppes, palais, minarets, hammams, passages secrets, font le charme de la médina, ne laissant jamais indifférent l’œil du visiteur.

Une pièce de Shakespeare évoque « tous les parfums d’Orient ». Cette image illustre à merveille ce lieu qui éveille sans cesse le sens olfactif. Ce sont des effluves de toutes sortes : tantôt celles d’un marchand de fragrances orientales, rappelant l’origine égyptienne du parfum ; tantôt celles d’épices : le cumin, le safran, la cardamome, le clou de girofle, la cannelle, et tant d’autres encore. Joliment disposés, à l’entrée d’une boutique, ils forment des cônes de couleurs vives, provoquant une fascination oculaire.

À Marrakech, il faut aimer s’asseoir à la terrasse d’un troquet, en sirotant un thé à la menthe, et en regardant le spectacle de la rue. Car la « ville rouge » est un théâtre permanent, dans lequel on devient un acteur passif, totalement subjugué par les jeux de scène, les bruits, les odeurs. Cet éveil des sens permanent inclut celui du goût. Nul n’est besoin d’aller dans de grands restaurants ayant pignon sur rue. On peut tout simplement s’asseoir à la table d’un petit restaurant local et savourer les délices de la cuisine marocaine : une harira (soupe), une pastilla au poulet ou au pigeon, un couscous aux légumes, à la viande, ou le sublime couscous royal. Et que dire d’un succulent tajine au poulet et au citron, saupoudré d’amandes ? Et quand arrive le moment des douceurs sucrées, il est difficile de choisir parmi tous les gâteaux au miel, mais il faut surtout goûter l’une de ces croustillantes « cornes de gazelle » ! On pourrait ajouter bien d’autres plats à cette liste, tant la cuisine y est riche et variée !

Et si après une promenade dans les jardins exotiques de Majorelle, en évoquant la mémoire d’YSL, on retourne à la place Jemâa el-Fna, alors on se retrouve plongé dans la féerie magique de ce que l’on imagine être la cour des miracles. Le soir surtout, cette gigantesque place, cœur battant de la ville, s’anime en offrant l’un des plus extraordinaires tableaux qu’il soit donné de voir partout ailleurs. À l’éveil de tous les sens vient s’ajouter celui des yeux subjugués par un tel spectacle. Les badauds attroupés autour des conteurs, les porteurs d’eau (guerrab), les charmeurs de cobras et autres vipères à cornes, les bonimenteurs de charmes et de poudres aux dons divers, les crécelles des danseurs sahariens, les acrobates, les diseurs de bonne aventure : existe-t-il un autre lieu semblable ? Il faut venir vivre ce spectacle pour en éprouver la fascination ! C’est à cet instant- là, que l’on réalise l’envoûtement suscité par cette ville unique.

Avec plus d’un million d’habitants, Marrakech est devenue la quatrième agglomération du royaume chérifien après Casablanca, Fès et Tanger. Sa beauté, son glorieux passé, l’exotisme d’un mélange berbère, arabe et saharien, son climat attirent les touristes du monde entier, comme en témoignent l’architecture du nouvel aéroport de Marrakech-Ménara ou encore celui de la grande gare ferroviaire. De prestigieux hôtels offrent un confort exceptionnel. Dans le quartier moderne de l’Hivernage, la prestigieuse Mamounia, n’est pas seulement l’hôtel le plus luxueux d’Afrique, mais il est aussi classé sixième au monde.

Marrakech est également le théâtre de manifestations culturelles majeures : le festival des Arts populaires (juillet), le festival international du film (décembre), ou encore le Marrakech du Rire créé et animé par l’humoriste Jamel Debbouze.

Voilà pourquoi la “ville rouge” est devenue l’un des hauts lieux incontestables du tourisme international.

Bibliographie

  • Le Maroc, Guide vert Michelin, Clermont-Fd, 1974
  • Marrakesh, by Jessica Lee, Lonely Planet, 3rd edition-August 2015
  • Le Musée berbère, éditions du Jardin Majorelle, Marrakech
  • Canetti, Elias, Les voix de Marrakech, éditions Albin Michel, 1980

Liens

  • Wikipedia
  • https://chaiwallay.wordpress.com/
  • www.medersa-ben-youssef.com
  • www.universalis.fr/
  • https://theculturetrip.com/
  • www.palais-el-badi.com
  • www.cityzeum.com/