« Maman, il m’a tapé ! », « Mais c’est elle qui m’a tapé la première ! »
Une des conférences les plus appréciées lors du séminaire sur la pédiatrie et la parentalité a été celle sur la rivalité fraternelle. Tout parent de deux enfants ou plus comprend les enjeux qui peuvent surgir dans les relations entre frères et sœurs, et comment la jalousie, la concurrence et les chamailleries peuvent rendre tout le monde fou ! Comment faire pour gérer ces dynamiques et mettre en place un meilleur environnement familial ? Une spécialiste de la parentalité, Marie Marchand* nous parle de la rivalité fraternelle.
Propos recueillis par Amélie Dionne-Charest
Trait d’Union : Quels sont les avantages à avoir un frère ou une sœur ?
Marie Marchand : Il existe de nombreux avantages à avoir des frères et sœurs. J’ai posé la question à mes trois enfants qui sont maintenant de jeunes adultes et, selon eux, un frère ou une sœur vous apprend à :
- partager,
- négocier,
- résoudre les conflits,
- faire preuve de bienveillance,
- aimer,
- être un ami et découvrir ce qu’est un ami,
- coopérer,
- faire des compromis,
- se réconcilier,
- prendre soin les uns des autres,
- maintenir une relation sur le long terme.
Et bien sûr, un frère ou une sœur vous permet d’avoir quelqu’un avec qui jouer, passer du temps, ou même faire des bêtises !
En tant que parents, quels sont les facteurs auxquels nous devons prêter attention et qui contribuent à faire naître la jalousie, la compétition ou des tensions entre frères et sœurs ?
Les facteurs les plus courants sont :
- l’ordre de naissance des enfants (l’aîné, celui du milieu, le cadet),
- le sexe,
- l’âge (ex : la différence d’âge entre deux enfants),
- les personnalités différentes (ex : deux enfants avec des sensibilités différentes),
- le style d’éducation (ex : des parents qui comparent leurs enfants, qui ignorent les sentiments d’un enfant, qui grondent un enfant pour tout, etc.),
- certains enfants peuvent se sentir déconnectés de leurs parents, comme si leur verre « d’amour » était vide parce que l’un des parents semble favoriser un de ses frères ou sœurs, ce qui peut entraîner de mauvaises conduites ou des crises.
Faut-il empêcher les conflits, ou cela fait-il partie de l’éducation et du développement des enfants ?
En tant que parent, il vous revient de faire en sorte que vos enfants soient en sécurité. Je crois que vous devez apprendre à vos enfants à gérer au mieux les conflits dès leur plus jeune âge, les guider dans ce processus quand ils grandissent, les encourager avec des commentaires positifs, leur apprendre à écouter les autres, les aider à réfléchir sur leurs difficultés, leur apprendre à négocier et faire des compromis et, après, les laisser gérer eux-mêmes les conflits afin qu’ils fassent leurs expériences et règlent les difficultés de façon positive.
Quels sont vos conseils pour que frères et sœurs s’entendent bien ?
- Créez un lien avec chaque enfant individuellement et, si possible tous les jours, en étant présent à 100 %. Pas de téléphones ! (ex : lire un livre, jouer, se promener avec lui, lui faire un câlin après le bain, le repas, etc.).
- Reconnaissez la singularité de chaque enfant (ex : « Tu fais des supers câlins » ou « Tu cours si vite ! » ou « Tu aimes vraiment la danse classique, n’est-ce pas ? »).
- Évitez les stéréotypes et comparaisons (ex : « C’est lui le plus intelligent de la fratrie » ou « C’est l’artiste de la famille » ou « C’est le paresseux »).
- N’attendez pas de l’aîné qu’il soit parfait (ex : « Tu es un si gentil grand frère, fais un câlin à ton frère ou ta sœur » ou « J’attends de toi, comme tu es l’aîné, que tu prêtes tes jouets »).
- Prenez en compte les sentiments de votre enfant (« Je peux voir que tu es déçu que je n’aie pas passé assez de temps avec toi » ou « Tu as l’air d’être jaloux que ta sœur soit invitée à un anniversaire » ou « Je me demande si tu trouves que c’est compliqué d’avoir un autre bébé dans la famille en ce moment »).
- Apprenez à vos enfants à exprimer leurs sentiments sans pour autant blesser les autres, à demander de l’aide le cas échéant (ex : « Quand Sam casse ma construction, je suis frustré parce que ça m’a pris tellement de temps de la faire, et j’ai besoin de ton aide, papa »).
- Mettez en place des règles à respecter (ex : Ne pas être brusque, prêter les jouets, respecter les objets des autres, rigoler tous les jours, etc.)
- Mettez l’accent sur ce qui est positif et décrivez ce que vous voyez (ex : « Quand tu as prêté ton jouet à Sam, j’ai vu que cela l’a fait sourire. Bravo ! » ou « Tu lui fais un câlin avec tellement de tendresse, c’est très gentil » ou « J’ai bien vu que partager n’a pas été facile, mais tu l’as fait ! » ou « Vous avez résolu le problème tous seuls, topez là ! »).
- Apprenez à vos enfants à gérer les conflits avec justesse (ne prenez pas partie, devenez le médiateur, écoutez les deux parties, partagez vos réflexions pour résoudre le problème, choisissez une solution commune, essayez-la et mettez des limites).
Comment géreriez-vous le scenario suivant ?
Un grand frère (Sam) joue avec un jouet. Son frère cadet (Theo) s’en empare et refuse de lui rendre même s’il lui demande gentiment. Sam commence à geindre et se plaindre. La situation empire avec coups de pieds / mains et cris des deux enfants.
Devenez le médiateur et ne prenez pas partie (très important).
Parent : « Les garçons, je ne suis pas sûr(e) de ce qu’il vient de se passer, mais ARRÊTEZ et asseyez-vous afin que nous puissions régler le problème et coopérer ».
Écoutez les deux parties en reconnaissant leurs sentiments respectifs et en leur montrant que vous comprenez ce qu’il se passe.
Parent : « Sam, je vois que tu as l’air très frustré. S’il te plait, dis-moi ce qu’il se passe. Theo, tu auras la parole dans une minute ».
Sam : « Il m’a pris la pièce bleue et j’en ai besoin pour finir mon avion. Je lui ai demandé gentiment de me la rendre mais il n’a pas voulu, donc je l’ai tapé. »
Parent : « Cela a en effet l’air frustrant… Voyons ce que Theo en pense. »
Theo : « Je veux la pièce bleue aussi ! Je construis un camion et j’en ai vraiment besoin. »
Parent : « Tu avais vraiment besoin de la même pièce donc tu l’as simplement pris ? ».
Theo : « Oui, c’est toujours lui qui a les meilleures choses en premier ».
Aidez chaque enfant à proposer une solution pour résoudre le conflit.
Parent : « Alors tu penses vraiment que Sam a toujours les meilleures choses. » « Hum, je me demande, les garçons, ce que vous pouvez faire pour résoudre ça, parce que vous frapper et crier n’est certainement pas la solution. Il n’y a qu’UNE pièce bleue pour deux. Que pensez-vous que nous devrions faire ? »
Sam : « Il peut prendre la pièce rouge. »
Theo : « Mais je veux la bleue ! »
Parent : « Je pourrai retirer la pièce bleue de la boîte et vous pourriez choisir d’autres pièces. »
Sam : « Non ! On pourrait aller en acheter d’autres ».
Theo : « On peut partager. »
Parent : « Comment pouvez-vous partager la même pièce ? »
Sam : « Je peux l’avoir en premier et après il peut l’avoir. »
Parent : « Vous pourriez aussi construire un énorme avion ensemble. »
Theo : « Je veux construire un camion. »
Sam : « Je veux construire un avion. »
Parent : « OK. Comment pouvons-nous alors partager la pièce bleue ? »
Sam : « On pourrait utiliser un chronomètre comme la dernière fois ? »
Choisissez une idée retenue ensemble.
Parent : « Le chronomètre a bien marché la dernière fois. Qu’en penses-tu Theo ? »
Theo : « OK. Mais c’est moi qui commence cette fois-ci. »
Sam : « Oh, OK dans ce cas. »
Essayez la solution proposée et surveillez.
Parent : « Les garçons, je vais mettre le chronomètre pour 10 minutes. Quand il sonnera, Theo, tu devras donner la pièce bleue à Sam. »
Mettez l’accent sur ce qui est positif.
Parent : « Quand le chronomètre a sonné, Theo, tu as donné la pièce bleue à Sam immédiatement. Cela faisait partie du deal. Bravo ! C’est peut-être une bonne idée pour la prochaine fois. »
* Marie Marchand B.Ed, maman, directrice de l’école pré-scolaire City Kids, enseignante, consultante en parentalité, et co-auteur du livre pour enfants « Home from Home », a plus de 28 ans d’expérience à l’international dans l’enseignement au Canada, en Suisse et à Hong-Kong.
Pour en savoir plus : Parenting Dialogue ou mariemarchand.parenting@gmail.com