Chronique

Lettre à un ami

Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits…durant les douze derniers mois, année où tu as fait face, mon cher ami Hongkongais, à des circonstances exceptionnelles – des troubles dans l’unité de ta famille ainsi que des soucis sanitaires annonciateurs d’une crise d’une ampleur insoupçonnée.

Par Sophie Lemarent Ross

 

Malgré tout, après de multiples séjours, tu m’as convié à m’installer en ta demeure, faisant de moi un spectateur privilégié. Cette invitation est la preuve de ton altruisme, de ton ouverture vers le monde, vertus caractéristiques des habitants des cités portuaires. Ces centres urbains, de par leurs accès maritimes, ont toujours été des lieux de passages et d’échanges facilitant la mixité culturelle. Mais le multiculturalisme fait souvent resurgir les affres de la confrontation des habitudes, des croyances et des connaissances des structures sociales.

Hong Kong aujourd’hui, comme Oran hier, préfigure les tensions et enjeux inhérents à la mondialisation de demain.

Un Etat, deux systèmes

D’un village de 7.500 habitants, le colonialisme britannique a fait de ton foyer une mégapole internationale. Il y a implanté son système politique et économique, le capitalisme, modèle sociétal basé sur le libre entrepreneuriat. Dans cette organisation communautaire, les intérêts personnels ont une place prépondérante. Les entraves aux libertés individuelles sont limitées – elles découlent d’une constitution héritée de la doctrine religieuse.

Rétrocédé à la Chine en 1997, ta résidence vit depuis une période transitoire. Y cohabite l’autre courant d’administration civile, le socialisme, modèle basé sur la diminution des inégalités sociales. La propriété collective est l’apanage de ce mode de gouvernance de population. Ses principes fondateurs restreignent l’autonomie pour glorifier le conformisme.

Dans les deux régimes une aristocratie issue des classes favorisées dirige – de manière démocratico-représentatif dans un cas, de façon injonctive dans l’autre – mais aucun n’a pu résoudre les difficultés, relevées par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans leurs ouvrages Les Héritiers ou La Reproduction, pour diminuer les dynamiques hiérarchiques au sein des ensembles humains.

Tout simplement car la hiérarchisation est dans la nature profonde des grandes singes que nous sommes. Par ailleurs la légitimité des institutions étant dépendante de l’évolution du savoir – « Le Savoir c’est le pouvoir » écrivit Francis Bacon – les moyens d’y avoir accès garantissent une réussite plus aisée.

 

Les prémisses d’une troisième voie : le compatibilisme politique

Tu es donc tiraillé entre l’utopie communiste et la dystopie libérale, tout comme ton grand frère, tes oncles, tes neveux, de proches ou de lointains cousins, et je t’ai même vu, dernièrement, accréditer la thèse de la main invisible d’Adam Smith. Non pas en accord avec les théories chères au néolibéraux qui réfutent tout interventionnisme de l’Etat, mais en l’éclairant d’un jour nouveau : parfois, on la prend en pleine tronche !

 

Sache que Dieu et le communisme c’est la même chose, la bonne excuse de l’égoïsme de chacun. Il suffit de lire Idée d’une histoire universelle d’un point de vue cosmopolite d’Emmanuel Kant, inspirateur de Karl Marx, pour s’en convaincre. Dans les deux cas la charité est établie en système étatique : par l’aumône, la quête ou l’offrande pour le capitalisme, par les taxes pour le socialisme. Toutes ces démarches relèvent du don affectionné par l’anthropologue Marcel Mauss.

Tu as aujourd’hui la formidable possibilité de construire une voie médiane entre ces deux idéologies.

« La réalité ne pardonne pas une seule erreur à la théorie »

Les catastrophes naturelles ont souvent, dans l’histoire, contraint les organisations humaines à restreindre les libertés. Elles préfigurent d’importants bouleversements en mettant à mal les dogmes les plus bancals, les convictions non démontrées, les inductions erronées.

Si la pandémie actuelle renforce les hypothèses de l’Effet papillon – « un mec qui bouffe un pangolin à Wuhan peut provoquer une pénurie de pâtes et de PQ au LIDL de Melun. » – elle surligne l’interactivité grandissante dans un monde où les barrières entre les peuples s’amenuisent – même si certains essaient d’en ériger de nouvelles. Elle est porteuse d’espoir. D’un nouvel espoir.

 

Copyright photo : L’effet papillon © Norb