Les « Third culture kids »
Avec l’essor de la mondialisation et de l’expatriation, il est devenu commun d’exercer son activité professionnelle dans un pays autre que le sien. Cela signifie également que de nombreux enfants se retrouvent à apprendre à connaître de nouvelles cultures à un très jeune âge. On les appelle les “Third Culture Kids – en abrégé TCK”-. Le terme, inventé en 1950 par la sociologue américaine Ruth Hill Useem, désigne ainsi les enfants et adolescents élevés ni dans leur culture d’origine, ni totalement dans la culture de leurs pays de résidence, d’où la notion de “troisième culture”. C’est le cas de Mishel Roche, étudiante de 22 ans qui avait déjà déménagé quatre fois avant l’âge de 18 ans. Nous avons rencontré cette jeune femme qui nous parle de ses expériences en tant que “Third Culture Kid”
Par Anna Mazallon
Trait d’union : Quel est votre parcours ?
Mishel Roche : Je suis née en Lettonie, à Riga, et j’y ai habité six ans. Puis, j’ai déménagé à Londres à cause du divorce de mes parents. J’ai passé six ans à Londres où j’ai fréquenté trois écoles différentes (deux Anglaises et une Française). De là, nous avons déménagé à Singapour, où nous sommes restés quatre ans. Ensuite, on s’est installé à Hong-Kong où j’ai terminé mon lycée. Enfin, je suis revenue à Londres pour étudier dans une université de Design. C’est ma troisième année d’études dans cette ville.
Quelle est votre langue de prédilection ?
C’est dur à dire, ça dépend souvent du nombre de temps passé dans un pays et du nombre de personnes à qui je parle la langue quotidiennement. Par exemple, quand je passe beaucoup de temps en France, mon accent commence à partir et je parle avec beaucoup plus d’aisance. Mais bon, je pense que la langue où je suis le plus à l’aise est l’anglais. Je rêve en anglais et je n’ai jamais perdu l’usage de cette langue puisqu’elle se parle dans tous les pays.
Le fait de déménager souvent vous-a-t-il donné envie d’apprendre les langues pour mieux comprendre les gens ?
A 100 %. Je parle déjà trois langues couramment (russe, français et anglais), ce qui m’a apporté beaucoup d’avantages. Lors de mes expatriations, j’ai découvert quelle puissance ça a quand on rencontre quelqu’un et que l’on parle sa langue natale. Ça change tout ! Il y a une sorte de connexion qui se créée, je me suis rapprochée de gens très vite par le seul fait de parler leur langue. C’est pour continuer à pouvoir communiquer et comprendre les gens que j’aimerais continuer à apprendre un maximum de langues.
Vous sentez-vous plus proche de la culture de vos racines familiales ?
C’est toute la question. Je ne sais pas où me placer. En travaillant sur un projet avec une problématique similaire pour mes études de design, je suis arrivée à la conclusion que je viens soit de partout (tous les pays où j’ai habité), soit de nulle part. Je ne me sens pas plus proche de la culture de ma famille, je ne me sens pas totalement russe. Je me sens russe quand je suis entourée de gens qui ne sont pas russe et qui me demandent “Oh tu viens d’où ?”. Je sais que je parle russe mieux qu’eux et que je connais mieux la culture.
Quand je me retrouve en France, je ne me sens pas française, et c’est la même chose en Angleterre. Même après avoir passé tellement d’années ici, je ne serais jamais anglaise. Quand je parle aux locaux, ils me demandent “Il est d’où ton accent ?” alors que je parle anglais très couramment – cependant sans l’accent Anglais. Du coup, la réponse c’est : je ne sais pas.
Justement, où vous considérez-vous comme chez vous ?
C’est difficile de définir un “chez moi” parce que j’ai tellement déménagé, passant 3/4 ans dans un endroit, ou un autre… Pour l’instant je dirais Londres car j’y ai passé le plus de temps. J’y ai habité environ 10 ans, et c’est une ville très proche de mon cœur car je la connais bien. Je me base donc sur les critères de la connaissance de la ville et de la culture ou encore du nombre d’années passées à y habiter car je n’ai pas d’autres moyens de juger.
Que vous ont apporté ces expatriations ?
Ça m’a appris tellement de bonnes choses. Je n’aurais jamais connu l’Asie comme je connais désormais ce continent. Nous avons visité beaucoup de pays, où j’ai toujours voulu aller, comme l’Australie, ou encore la Nouvelle Zélande. Mais être en Asie m’a aussi aidé à changer complètement ma perspective des gens et des choses. En tant que personne blanche, je ne connaissais pas du tout la différence entre Coréen, Japonais ou Chinois, au niveau humain, culturel ou même pour la nourriture. Ça m’a donc permis de comprendre qui ils étaient, et de respecter leurs différentes cultures. Ça a aussi eu un impact social. Quand je rencontre quelqu’un maintenant, je sais qu’il faut que je fasse un effort pour comprendre son histoire et ses origines. Je dirais donc que je sais mieux me comporter socialement, puisque j’ai rencontré tellement de personnes différentes, avec tous les déménagements, que je peux m’adapter à chacune. Je pense que je n’aurais pas été aussi confiante et sociale si je n’avais pas déménagé autant, ceux qui restent la majorité de leur vie dans un seul endroit n’ont pas à faire un tel effort social. Je pense que c’est un réel atout.
Cependant, du point de vue relationnel, j’ai réalisé que ça n’apporte pas que des bonnes choses. J’ai toujours eu ce manque de stabilité dans mes relations. Lorsque je rencontrais des gens, j’avais peur de les perdre parce que je savais que je risquais de déménager à n’importe quel moment. Je savais que je ne pouvais pas trop m’attacher à eux et former de profondes connexions. Malgré cela, si j’ai des enfants, j’aimerais qu’ils vivent une expérience similaire.
Si vous étiez restée à Londres, auriez-vous eu le même regard sur l’Asie ?
Si j’étais venu en tant que touriste, c’est sûr que j’aurais eu un regard totalement différent sur ce continent. Beaucoup de gens ici ne comprennent pas la différence entre Chinois et Japonais. Pour eux tout le monde est Chinois. Et ça, c’est un manque de respect qui a commencé à m’agacer depuis que j’ai déménagé. Je suis contente de connaître, de mon côté, la différence entre les cultures asiatiques, c’est une forme de respect. Je peux comprendre d’où ils viennent sans forcément les juger de la manière que les touristes le font parfois.
Prenez vous le “meilleur” de chaque culture ?
Je ne prends pas le meilleur de chaque culture, des fois je prends le pire parce que ce n’est pas un choix que l’on fait. Je ne pense pas qu’on puisse mélanger les meilleurs aspects de cultures différentes, c’est très subjectif. Ça reviendrait à mélanger les meilleurs traits des parents pour faire un enfant. Je trouve que ça tient plus au hasard qu’autre chose. On ne peut pas choisir les meilleures caractéristiques de nos parents de la même manière qu’on ne peut pas choisir les meilleures caractéristiques des cultures. J’ai pris des choses sans le savoir. Mais c’est sûr que, pour caractériser les “Third Culture Kids”, je dirais que c’est un mélange, un gros cocktail de cultures regroupées en une personne. C’est du n’importe quoi mais c’est génial. Même les mauvais côtés, j’apprends à les aimer.