Les silencieux de Hong-Kong
Les petites vieilles qui ramassent des cartons dans la rue font partie de notre quotidien. Certaines, nostalgiques, le font en mémoire de l’époque ancienne où jeunes enfants elles aidaient leur famille réfugiée en grande difficulté. Mais, d’autres le font par nécessité ! Elles ne disposent pas d’un revenu suffisant pour survivre. Il est fréquent, en effet, de voir des septuagénaires et des octogénaires, hommes ou femmes, travailler dans les échoppes, sur les marchés ou dans les restaurants, aux côtés des plus jeunes, leurs silhouettes voûtées …La rue constitue leur terrain d’action privilégié et ils participent à leur manière à l’activité incessante de Hong-Kong.
Par Anne Suquet
Depuis quelques années, Hong-Kong voit sa population vieillir rapidement. En 2020, les femmes vivent déjà en moyenne 87,3 ans (81,4 ans pour les hommes) et l’espérance de vie devrait encore augmenter. En 2046, un Hongkongais sur trois aura plus de 65 ans, un sur cinq plus de 75 ans. Dans ce contexte, les personnes âgées sont encouragées à rester actives pour pallier la pénurie de main-d’œuvre.
Un cocktail de longévité
Dans mon district de Sai Ying Pun, j’ai rencontré Nicole Sicard, une Française de 85 ans qui vit à Hong-Kong depuis de nombreuses années. Profondément ancrée dans la vie locale, son témoignage comme personne âgée vivant à Hong-Kong nous apporte un éclairage précieux. Nicole est bien connue des Hongkongais pour son engagement au service des plus démunis de la
ville, qu’ils soient jeunes ou plus âgés. Entre autres, de 1968 à 1990, elle a imaginé et géré une école pour éduquer les ouvriers alors analphabètes et a longtemps organisé des visites de personnes âgées dans le cadre de son « Community project ». Aujourd’hui, toujours active pour ses différentes associations, son exceptionnelle énergie entraîne dans son sillage une équipe de jeunes locaux et expatriés français. Pour Nicole, le dynamisme des personnes âgées et leur longévité s’expliquent par la combinaison de plusieurs éléments bénéfiques. Convaincue, elle se l’applique à elle-même !
Pour réaliser ce cocktail de longévité, il suffit, selon elle, de réunir quatre éléments essentiels : une cuisine équilibrée. La cuisine traditionnelle chinoise est parfaite pour cela ! Une activité physique régulière. Les personnes âgées sortent tous les jours au marché ou faire de l’exercice (en particulier le qi gong et le tai chi) pour prendre le soleil et faire le plein de vitamine D. La forte concentration de bâtiments permet aussi aux Hongkongais de se déplacer à pied ou de partir en escapade sur les nombreux sentiers de la ville. Une activité mentale et sociale régulièrement stimulée. Le mahjong et le travail en sont les pièces maîtresses. Sorte de domino, le mahjong est un jeu de société chinois ancestral qui permet de stimuler les zones du cerveau contrôlant la mémoire et les capacités cognitives. Mais les vertus sociales du mahjong sont au moins aussi importantes pour la santé générale des joueurs. D’autre-part, nombreuses sont les personnes âgées
qui restent longtemps au travail, ce qui contribue à une meilleure santé mentale et psychologique.
Une famille
Les personnes âgées sont très respectées et entourées. La société hongkongaise est basée sur ce principe de vertus de Confucius suivant : « Dans le monde il y a cent vertus, la première c’est le
respect des enfants vis-à-vis de leurs parents ». L’idéogramme du mot respect inter-générationnel est une excellente synthèse de cet état d’esprit : . Un dessin qui représente une maman sur le
dos de son enfant.
Ainsi, Nicole confie-t-elle : « Ici à Hong-Kong, je ne me sens pas seule ! Même mes voisins prennent soin de moi ! Les personnes âgées vont en maison de retraite soit parce que personne (même
la famille) ne peut prendre soin d’elles soit parce que les enfants ont émigré et elles n’ont pas souhaité les suivre. »
L’enjeu est désormais pour Hong-Kong de conserver sa place mondiale au classement de la longévité, alors que les maladies respiratoires imputées à la pollution ne cessent de se développer et que de nouveaux virus menacent les personnes à risque. Le gouvernement injecte des millions dans la recherche sur les maladies chroniques, la dépendance et tout projet technologique pouvant améliorer la santé, les soins et le bien-être des seniors.
Sur le million de Hongkongais de plus de 65 ans, 30 % vit sous le seuil de pauvreté
Selon le rapport sur la pauvreté à Hong-Kong publié par le gouvernement local en décembre 2019, 1,4 million de résidents, sur les sept millions d’habitants, vivaient sous le seuil de pauvreté en
2018. (Chiffre accompagné de prévisions pessimistes du fait du ralentissement de l’économie en 2019). Est considérée comme pauvre à Hong-Kong une personne gagnant moins de 4,000 HKD
par mois (440 euros) pour une personne seule, 19,900 HKD (2.200 euros) pour une famille de quatre. Le logement est l’une des racines du problème car il engloutit plus du tiers du budget
des ménages défavorisés.
Sur le million de Hongkongais de plus de 65 ans, 30 % vit dans la pauvreté, et il n’y a pas de pension retraite universelle.
Le revenu médian des retraités est inférieur à 4,500 HKD, et la somme versée lors du départ à la retraite permet en moyenne de subvenir à deux ans de vie. Cependant, le gouvernement verse à
chaque personne de plus de 65 ans une pension de 1,385 HKD quels que soient ses revenus et conditions familiales mais cela ne suffit pas.
Le vieillissement de la population ne cesse d’inquiéter le gouvernement de Hong-Kong. La ville concentre, à elle seule, le plus grand nombre de personnes âgées pauvres de tous les pays développés et sa population vieillit à vitesse grand V. Aujourd’hui ils sont près de 30.000 Hongkongais à espérer qu’une place se libère dans un centre subventionné. Mais le délai d’attente est long, plus de trois ans, et beaucoup meurent avant d’avoir obtenu satisfaction.
C’est dans l’action qu’ils font le plus parler d’eux
Dans ce contexte, le travail reste le meilleur moyen de subvenir à ses besoins pour la personne âgée qui se retrouve seule et sans cellule familiale pour veiller sur elle. Le gouvernement encourage
toutes les initiatives en faveur du travail des plus âgés. Gingko, créée en 2006, est un exemple. C’est une chaîne de restaurants qui n’emploie que des personnes âgées. Ces dernières gèrent entièrement chaque établissement de la réception au service en passant par les cuisines. Comme Gingko, de nombreuses associations caritatives ont choisi de promouvoir l’emploi des seniors. Ces initiatives permettent de (re)trouver un emploi pour compléter leur maigre retraite, mais aussi reprendre confiance en eux et se réinsérer socialement.
Comme le souligne, Nicole, les Hongkongais ne mendient pas et ne mendieront jamais. Ils préfèrent chercher dans l’action une réponse. Les personnes âgées de Hong-Kong pratiquent à leur manière une forme de résilience certainement inspirée du taoïsme et exprimée ainsi : « Ce qui est important dans la vie, ce n’est pas d’aller chercher la vérité puisque le monde change sans cesse. Ce qui compte vraiment c’est d’entretenir une forme de bienveillance à l’égard de l’autre afin d’aller chercher le meilleur en lui. »
Alors, silencieux ! Certes ! Mais, c’est dans l’action qu’ils font le plus parler d’eux !