« Les chansons de Michel Delpech… nos madeleines de Proust »
La disparition de Michel Delpech dans la nuit du 2 au 3 janvier a suscité une grande tristesse en France et chez les Français où qu’ils se trouvent dans le monde. De RMC à France Bleu, en passant par France Inter et Europe 1 sans oublier TF1, France 3 et La 5, le célèbre animateur Jean-Claude Laval a suivi la carrière de Michel Delpech dès les débuts de l’artiste. En exclusivité et avec grande gentillesse, l’auteur des séries « Elvis, King Size Story”, “Les 50 Ans de l’Olympia”, “La DS : Les 50 Ans d’une Reine” retrace pour Trait d’Union les années Delpech… (Ph.D.)
Par Jean-Claude Laval
Par une de ces curieuses coïncidences dont la vie a le secret, le couturier André Courrèges s’est éteint quelques jours après celui qui avait chanté il y a 50 ans, deux de ses créations mythiques : « une minijupe, deux bottes Courrèges ». Michel Delpech entamait de cette façon la chanson « Inventaire 66 », récapitulatif des évènements politico-socio-culturels de cette année-là dans un clin d’œil malicieux au poème de Prévert, au point que la petite amie évoquée dans la conclusion du texte devenait son « p’tit raton laveur ». Voilà qui donnait déjà une idée du « style Delpech » (20 ans à peine, alors) auteur des paroles de ses chansons, qu’il teintera très souvent d’humour en faisant la plupart du temps la chronique inspirée de son époque. Avant que la chanson ne s’empare de lui, il avait eu envie d’être journaliste et ça se sent. D’ailleurs, il ne se cachait pas, par exemple, d’avoir écrit « Wight is Wight » après avoir lu dans L’Express un article sur le phénomène hippy sans être jamais allé dans un festival de ce genre. Ensuite son savoir-faire faisait le reste : en l’occurrence un mélange de tolérance (« chacun mène sa vie comme il veut ») et de tendre ironie (« hippy, hippi-pi »).
Si cela ne l’a pas empêché évidemment de triompher aussi avec des chansons d’amour, bien des sujets « sociétaux » dont il s’est servi alors, résonnent encore aujourd’hui. « Les divorcés », bien sûr mais aussi « Ce lundi-là » avec cet homme qui croit étouffer dans sa vie et qui quitte simultanément femme et travail (« voilà pourquoi ce lundi-là, il s’en allait »), le mot « crise » étant sans doute prononcé pour la première fois dans une chanson, en 1975 ! La dissidence, l’exil avec « Ce fou de Nicolas » (un danseur du Bolchoï qui ne veut plus retourner de l’autre côté du rideau de fer). Un autre « fou », celui qui donne des « Coup(s) de pied dans la montagne », importun, utopiste, lanceur d’alerte…? (« A-t-on idée de tout casser, de tout brûler, de tout changer, depuis le temps que la montagne s’est dressée »). La supériorité controversée de l’être humain sur l’animal, notre environnement avec « Animaux, animaux » (« vous qui buvez dans les eaux du Niger, moi, j’ai inventé le Big Mac, le Coke et la bière »). Et, bien entendu « Que Marianne était jolie » avec la 5e République un peu sur la sellette mais la flamme intacte qui « embrasait le cœur de Paris, en chantant à pleine voix « ça ira, ça ira » toute la vie ». Ces jours derniers, Place de la République à Paris, Renaud ne s’y est pas trompé, en choisissant d’interpréter cette chanson pour commémorer les attentats de janvier 2015.
Bien sûr, sa plume (qu’il partagera de plus en plus avec Jean-Michel Rivat) ne se contenta pas de ces sujets « sérieux » ( mais abordés sans démonstration pesante). L’ado de « Chez Laurette » rejoint celui de « 62, nos 15 ans » (« Sur ma mobylette, je jouais pour toi la fureur de vivre »). L’amoureux enthousiaste voire extatique passe de « Pour un flirt » à « Tu me fais planer » (« je suis le roi du bal, moi qui n’étais qu’un petit Mickey ») en passant par « Fan de toi ». Est-il bien nécessaire d’insister sur les petits chefs d’œuvre de sensibilité que sont « Le chasseur » dont Charles Trénet lui avait fait des compliments (grand sujet de fierté pour Michel dont les préférences classaient aux 3 premières places Trénet, Brassens et Bécaud ) et « Le Loir et Cher » clin d’oeil appuyé à Paul McCartney et son « Get back ».
La grave dépression qu’il raconta dans un livre (« L’homme qui avait bâti sa maison sur le sable ») l’amena aussi à enrichir sa palette de textes plus introspectifs comme « Longue maladie », « Je cherche un endroit », « Ces mots-là » et « Les aveux » où le jeune homme à la réussite aussi rapide qu’insolente s’interrogeait sur le sens à donner à sa vie de vedette et d’homme tout court : « Il est fatigué, le prince charmant…ses rêves bleus sont un peu gris…je suis fatigué d’être celui-là…j’ai tout inventé, ma vie, mes idées… ».
Ainsi, avec cette belle diversité, Michel Delpech était bel et bien un « chanteur de variétés » au bon sens du terme car il a souffert de cette étiquette collée, souvent avec mépris, sur les artistes de sa génération.
Une autre preuve de la pérennité du talent de Michel Delpech est en 2006, l’enregistrement de duos avec ceux de son âge dont Alain Souchon et Laurent Voulzy (comme Delpech un dingue des Beatles et de Paul McCartney !) et des benjamins parmi lesquels Bénabar et Cali. Sur le livret, en avant-propos, le réalisateur du CD, Jean-Philippe Verdin (né en 1966, tiens, tiens !) écrivait : « Une chanson réussie n’appartient pas à celui qui l’a écrite ou qui l’a composée, mais à ceux qui la chantent, qui la fredonnent, qui la sifflent, qui l’aiment, c’est un objet à part entière qui échappe à son auteur. Plus ça lui échappe, plus c’est réussi. Ce ne sont plus des chansons de Michel Delpech depuis longtemps, ce sont nos madeleines de Proust ». Le public ne s’était pas contenté de grignoter ces madeleines mais s’en était régalé avec un double Disque d’or à la clef.
Michel Delpech n’étant pas compositeur, tous ces tubes ne seraient pas aussi inoubliables s’ils n’avaient été habillés sur mesure par l’inspiration des Roland Vincent, Michel Pelay ou Claude Morgan pour parler des plus prolifiques. Grâce à cette osmose, Michel Delpech a construit une œuvre pop dont la qualité des arrangements pour la plupart indémodables sert grandement à conserver la fraîcheur de ces fameuses madeleines.
Et la saveur de ces madeleines ne resterait pas aussi présente dans nos esprits sans cette voix de crooner impeccable dont les exemples ne sont pas si fréquents dans le paysage musical français, une voix qui continue de faire passer par petites touches subtiles une belle collection d’émotions.