Evasion

Les bouches de Kotor : un site naturel d’une époustouflante beauté

Tâche ardue que celle d’évoquer par le verbe l’émoi suscité par l’incommensurable grandeur de la nature. Fort heureusement, il s’accompagne de l’expression artistique procurée par l’image. L’œil vient ainsi au secours des mots pour rendre justice à la féerie du spectacle. Creuset des civilisations occidentales et des religions arabo et judéo-chrétiennes, la « Mare Nostrum » romaine n’a pas fini d’étonner par ses sites naturels au même titre que par son histoire.

Par Christian Sorand

Les fjords de Norvège jouissent d’une réputation universelle incontestable. Quelle n’est pas la surprise de constater que pareil spectacle existe aussi sur les rives de l’Europe méridionale ! À l’extrême sud du chapelet des îles de la côte dalmate, le site des bouches de Kotor donne l’illusion d’un fjord ouvert sur l’Adriatique. La comparaison s’arrête là. Car, si un fjord est d’origine glaciaire, les bouches de Kotor ont une toute autre explication géologique. De fait, il s’agit d’une ria ; autrement dit, de l’affaissement naturel d’un canyon fluvial envahi par la mer. Le climat de ces rives est indubitablement celui du bassin méditerranéen. L’UNESCO a fort heureusement classé le patrimoine unique de cette baie de 28km de long. Les eaux marines pénètrent par trois goulets formant pas moins de quatre baies. Il y a tout d’abord le golfe de Herceg Novi, entrée principale des bouches. C’est sur les rives de ce premier golfe que se trouve le village de Baosici où Pierre Loti vécut un temps et où il écrivit en 1882 deux nouvelles : « Pasquala Ivanovitch » et « Voyage de quatre officiers au Monténégro ». Puis, on arrive au golfe de Tivat, le plus important. On débouche enfin sur deux golfes majestueux : ceux de Risan et de Kotor. Un cirque de hautes montagnes surplombe le site, le rendant fermé et naturellement protégé. C’est l’un des meilleurs ports naturels d’Europe. On ne s’étonnera donc pas qu’il soit devenu dans l’histoire un havre convoité et le berceau de marins au long cours.

Les mots et les images invitent donc à découvrir ce lieu superbe, joyau du petit Monténégro. Sans nul doute, il s’agit de l’un des plus spectaculaires paysages d’Europe.

Au sud de Dubrovnik

Il existe deux manières d’aborder les bouches de Kotor : par bateau ou par la route. La seconde option est celle choisie ici. Pierre Loti (1) en a fait la description poétique suivante : « Les cimes de pierres du Monténégro, éclairées par la lune de pâles lueurs roses, se dressent dans l’éther limpide, au-dessus de leur gigantesque image renversée. »

Située à une soixantaine de kilomètres au sud de Dubrovnik (2), la frontière entre la Croatie et le Monténégro se franchit aisément. Les deux états font aujourd’hui partie de l’Union européenne. On atteint alors la baie de Herceg Novi dont le détroit s’ouvre sur l’Adriatique. Alors commence une route côtière magnifique serpentant le long des côtes d’un paysage véritablement grandiose. Valérie Larbaud (3), autre visiteur célèbre, s’exprimait ainsi dans un poème :

« Aride, toi, ardue, route du Monténégro, route du vertige

D’où l’on voit les forts autrichiens et les vaisseaux, en bas,

Aussi petits qu’au petit bout de la lorgnette »

Après un deuxième détroit, celui de la ville de Kumbor, on découvre l’immense baie de Tivat, la plus vaste des bouches de Kotor. La magie commence alors. Au niveau de la petite ville de Kamenari, un ferry permet de franchir le troisième goulet et d’atteindre plus rapidement la ville de Kotor. Mieux vaut rester pourtant sur la route côtière s’ouvrant brusquement sur l’incommensurable beauté du site. Car il serait dommage d’ignorer le spectacle naturel des deux dernières baies dont l’intérêt et la majesté constituent véritablement le clou du voyage.

La baie de Risan

Comme pour les fjords de Norvège, la grandeur du paysage est telle qu’elle vous saisit à la gorge. Dominées par la haute chaîne des montagnes de l’Orjen, dont le plus haut sommet atteint 1895m, ces deux dernières baies, sises dans un cirque naturel gigantesque, pétrifient le visiteur. L’Adriatique pénètre si profondément à l’intérieur des terres qu’elle génère un microclimat.

Par une belle journée de printemps, les petites criques sont envahies par les lauriers roses, les mimosas, les palmiers et des centaines de fleurs. La route épouse l’échancrure de la côte. Peu après la petite ville de Risan, dont cette baie porte le nom, on atteint Perast. La visite est incontournable. C’est un village sublime, à l’instar de ces lieux magiques dont les côtes méditerranéennes ont le secret. Au Xe siècle, Perast était une ville autonome de l’Empire byzantin. Puis, elle devint vénitienne à deux reprises, en 1420 et en 1797. Elle fut un temps indépendante au XIVe. On ne trouve pas moins de seize palais baroques, dix-sept églises catholiques et deux églises orthodoxes dans ce délicieux petit port. Les belles demeures en pierre étaient celles de familles de marins dont deux, Martinovic et Zmajevic, se sont rendues célèbres. Deux îlots s’étalent à proximité de la côte. Ce sont l’île Saint-Georges, site d’un monastère bénédictin du IXe et l’île artificielle voisine de ND-du-Récif.

Perast demeure un de ces lieux d’où il est difficile de s’extraire. On a tout simplement envie de s’y poser et de se laisser envoûter par la douceur de l’atmosphère environnante.

La baie de Kotor

Arrivé au fin fond des bouches, on découvre alors la ville médiévale de Kotor, patrimoine mondial de l’UNESCO, devenue depuis peu, une escale des bateaux de croisière.

Fondée par les Romains sous le nom d’Acruvium, Kotor a été fortifiée au Moyen Âge et devint une des Cités-États dalmates. Sa flotte marchande prospéra grâce aux échanges avec Dubrovnik et Venise. Kotor est le carrefour de deux cultures balkaniques. Celle tout d’abord de la culture catholique et latine, originaire de Venise par le biais de Dubrovnik. On la retrouve dans le style de la cathédrale romane. Et puis celle de la culture byzantine et continentale, berceau de la religion orthodoxe. Cette petite cité d’à peine 1500 habitants comporte une population hétéroclite de Monténégrins (48 %), de Serbes (30 %), de Croates (7 %) et d’un amalgame d’autres petites ethnies. L’architecture reflète les périodes de son histoire. Les fortifications moyenâgeuses entourent la ville en suivant la crête de la montagne jusqu’au château Saint-Jean surplombant bien haut toute la cité. La cathédrale catholique de Saint-Tryphon date de 1166. On y trouve également deux églises orthodoxes : l’église monténégrine de Saint-Luc (1195) et l’église serbe de Saint-Nicolas (1909). Il y a aussi plusieurs palais médiévaux ou de la Renaissance : le palais Bucha date du XIVe ; les palais des Dragons, de Pima et de Bizanti, du XVIIe et le palais Grégorien (Grgurina) du XVIIIe . La vaste place d’armes et la tour-horloge (1602) créent une ouverture sur l’étroitesse des ruelles de la vieille cité. En avril 1979, un tremblement de terre a endommagé la ville, ce qui incita l’UNESCO à la classer parmi les monuments protégés au même titre que le site naturel de ses bouches.

Pour clore la boucle de la visite du site des bouches de Kotor, on peut alors revenir en longeant la côte de la péninsule de Vrmac jusqu’au village de Lepetani d’où l’on prend le ferry qui relie le port de Kamenari par un étroit goulet. Cet itinéraire permet de traverser quelques beaux villages médiévaux blottis le long des rives des bouches, donnant l’impression de se trouver sur les bords d’un lac alpin, plutôt que sur les bords de l’Adriatique.

Au départ de Dubrovnik, cet itinéraire prend toute une journée, mais on en revient ébloui par autant de merveilles. Le site naturel des bouches de Kotor apparaît certes comme un creuset historique et culturel, mais il bénéficie également d’atouts majeurs dans l’économie régionale. Il a bien entendu toujours été un lieu de prédilection pour la marine marchande et militaire. La pêche et la culture de l’olive occupent une place importante pour la population locale, et aujourd’hui le tourisme est en passe de devenir la première source de revenu, surtout depuis que le Monténégro fait partie de l’Union européenne. Il n’en demeure pas moins que ce site est exceptionnel par la magnificence du paysage et par la douceur de son climat et de son art de vivre.

Bibliographie

wikipedia

Perast, a walk through eternity :

http://www.montenegro.com/phototrips/coast/Perast,_a_walk_through_eternity.html

UNESCO: http://whc.unesco.org/en/list/125

1. Pierre Loti : http://www.budva.fr/Livres-montenegro/Voyage-au-Montenegro.pdf

2. Trait d’Union Magazine nº69, octobre 2015, Dubrovnik- trésor artistique de l’Adriatique : http://www.traitdunionmag.com/dubrovnik-tresor-artistique-de-ladriatique/

3. Valérie Larbaud, ‘Europe’, Les Poésies de A.O. Barnabooth: http://resources21.kb.nl/gvn/EVDO03/pdf/EVDO03_UBL01_DEJONG_483.pdf