Culture

Le prénom

« Un enfant c’est le début du bonheur, le prénom c’est le début des problèmes ». Voilà en quelques mots le résumé de cette pièce par ses auteurs, Matthieu de la Patellière et Alexandre Delaporte. Dialogues extrêmement bien ciselés, drôles et percutants. Les personnages sont mis en valeur avec chacun sa spécificité et la finesse du déroulement de l’histoire ne nous permet pas de décrocher. C’est cette pièce qu’Emilie Guillot, fondatrice et directrice de « HK Theatre Association » (HKTA,) a décidé de présenter à nouveau au public de Hong-Kong avec quelques petits nouveaux dans la troupe. Nous avons décidé d’aller à la rencontre de ces acteurs qui n’ont d’amateurs que le nom.

Propos recueillis par Catya Martin

 

Trait d’Union : Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire ?

Bertrand Leduby (Claude) : J’aime beaucoup le fait que de détails en détails, nous arrivons finalement à une situation où tous les protagonistes se révèlent, voire se dévoilent. Cette montée en puissance dramatique de la pièce me rappelle notamment le Dieu du Carnage avec une fin en apothéose qui emmène les spectateurs à la stupeur finale, qui, si c’est bien fait, peut être jouissif pour les acteurs ! J’ai beaucoup de plaisir à reprendre le personnage de Claude qui, bien qu’en retrait, doit jouer sur une palette d’émotions pour rester crédible dans la complexité de son personnage. Et puis, surtout, ce rôle me permet de rentabiliser mon smoking que je peux enfin remettre…!

Lenny B. Conil (Pierre) : C’est une pièce très française, voire très parisienne et qui touche, même légèrement, à beaucoup de sujets toujours d’actualité comme les compromis non-dits dans un couple, la lâcheté des hommes, les racines du clivage politique entre la gauche et la droite, les habitudes familiales que l’on perpétue malgré soi, le rapport à la nourriture, à l’argent, à l’homosexualité, etc. On peut vraiment dire qu’il y a à boire et à manger !

Valentine Guth (Anna) : Ce qui me plaît dans cette pièce c’est que sous ses aspects plutôt comiques et légers de prime abord de vrais sujets sont évoqués comme la place de chaque parent dans l’éducation des enfants comme le dit Lenny, les compromis à faire dans un couple, l’homosexualité ainsi que la communication. La pièce démontre par de nombreux aspects l’importance de la communication dans un couple, dans une relation amicale, dans une famille. Et ô combien cela est difficile à mettre en place !

Ce mélange de rire et de cruauté dans les textes a-t-il été compliqué à jouer pour vous ?

Bertrand Leduby : C’est un défi de pouvoir rendre ces situations sincères et cruelles tout en restant léger et drôle. L’essentiel pour nous, acteurs, est de trouver la justesse sans tomber dans la caricature ni la facilité. C’est loin d’être facile mais j’y travaille sans relâche jour et nuit…

Lenny B. Conil : Ce que j’ai appris avec Émilie depuis toutes ces années (premier cours avec elle il y a désormais plus de dix ans), c’est à “calmer” mon jeu et à laisser le texte faire son job. Une scène de colère, de rigolade ou d’émotion est tellement plus puissante quand celle-ci est contenue, étouffée. Il est très jouissif d’exploser sur scène avec des hurlements (et il y en a dans cette pièce) et cela fait partie de la palette à offrir. Mais j’apprends à quel point être immobile, le regard fixe et sans rien dire demande beaucoup de travail tout en permettant de mieux coller à ce qu’un personnage ferait “dans la vraie vie”. On a souvent envie d’en faire des tonnes mais on trouve beaucoup plus de justesse en travaillant sur des réactions plus subtiles, moins visuelles mais tout aussi perceptibles par le public. Un changement de regard et un début de sourire est très bien capté par un spectateur au dernier rang, on a souvent tendance à l’oublier sur scène.

Valentine Guth : J’aime beaucoup ce mélange des genres ! Ces remarques piquantes sont le fort de la pièce et l’énergie entre les personnages est primordiale mais on va avoir d’autant plus de pression pour ne pas louper une réplique sinon c’est tout ce jeu de tac au tac qui risque d’être mis à mal !

Comment se passent les répétitions ?

Bertrand Leduby : Très bien : l’arrivée de Valentine et Matthieu dans l’équipe nous oblige à ajuster notre jeu et à ne pas forcément reprendre l’interprétation que nous en faisions il y a cinq ans. C’est un travail extrêmement intéressant de reprendre une pièce qu’on a déjà jouée et de pouvoir l’affiner et la voir sous un autre angle. Un plaisir ! D’autant que je n’ai pas à apprendre mon texte cette fois-ci !

Matthieu Motte : Comme je travaille à Stanley quasiment tous les jours, j’ai pas mal de retard aux répétitions qui se déroulent à Sheung Wan, par conséquent je suis toujours obligé de ramener mon carnet de correspondance avec un mot de mes parents pour Émilie.

Lenny B. Conil : Très bien, beaucoup de rires avec un texte si bien écrit et des punchlines tellement cruelles et drôles qu’on sait qu’il n’y a pas besoin d’en faire des tonnes mais de laisser parler le texte. Nous répétons cette pièce dans un délai très court mais Émilie, Bertrand et moi-même l’ayant déjà joué il y a un peu plus de cinq ans, nous pouvons avancer vite et aider Valentine et Matthieu à s’approprier leurs personnages.

Valentine Guth : Très bien ! Le rythme est assez intense mais cela crée une vraie complicité entre nous tous et on s’imprègne sûrement mieux des personnages. On a tendance à se parler en se lançant des répliques de nos personnages directement, ça doit être bon signe !

Matthieu et Valentine, comment s’est passée votre « intégration » au sein de l’équipe de baroudeurs de HKTA ?

Matthieu Motte : L’intégration s’est déroulée naturellement de mon côté même si j’étais touché qu’Emilie pense à moi pour le rôle. C’est la première fois que je monte sur les tréteaux avec la troupe et j’en suis très heureux. Un de mes premiers boulots, c’est elle qui me l’a dégoté en 2015 alors que je venais d’arriver à Hong-Kong. Elle m’avait embauché en tant qu’accessoiriste sur la pièce « Le placard » dans laquelle jouaient déjà Lenny et Bertrand. On est devenus amis par la suite et je n’ai plus jamais raté une seule des pièces de HKTA depuis lors. Je suis sorti du placard en quelque sorte…

Valentine Guth : A chaque répétition Emilie m’appelle Isabelle ou Isabeau et nous dit « merci les garçons ». Je pense donc ne pas être encore vraiment intégrée (rires)… Non plus sérieusement j’ai eu la chance de jouer dans la pièce écrite et mise en scène par Emilie l’été dernier « The last Funnyrole Home » et donc de mettre un petit pas dans HKTA mais aussi de découvrir le travail d’Emilie. Et on a la chance de faire de l’improvisation théâtrale ensemble ainsi qu’avec Lenny ce qui crée aussi une vraie connivence sur scène (et en dehors !).

Pierre est la caricature du bobo parisien, intello, cultivé face à Vincent, agent immobilier un peu « bling bling » et plus provocateur, avec un humour décalé. Comment avez-vous travaillé les personnages ?

Matthieu Motte : Perso je bosse surtout à mémoriser mon texte pour le moment, un peu le sourire enjôleur aussi dans la glace mais c’est pas encore ça. En tout cas, Lenny tu peux m’appeler à n’importe quelle heure du jour et de la nuit pour répéter les dialogues, ma chérie va adorer.

Lenny B. Conil : De mon côté, j’ai surtout projeté des personnes que je connais et qui partagent certaines caractéristiques avec Pierre sur le personnage que j’interprète. On se connaît depuis plusieurs années avec Matthieu donc on se marre bien et on a tendance à forcer le trait en répétition voire même lors de petites impros dans le cadre de répétitions pour “cadrer” les personnages. Émilie ajuste ensuite le rendu qu’elle veut avoir de nous face à ces propositions. Le processus en répétition c’est souvent d’en faire trop au début, d’aller loin dans la caricature puis d’atténuer ensuite le jeu pour donner le relief souhaité par Émilie.

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Fondatrice du HKTA, Emilie Guillot a plusieurs cordes à son arc. Actrice, metteure en scène, productrice, rien ne l’arrête pour promouvoir encore plus le théâtre francophone à Hong-Kong. Rencontre avec cette passionnée des planches.

Propos recueillis par Catya Martin

 

Trait d’Union : Pourquoi ce choix de reprendre Le Prénom à Hong-Kong ?

Emilie Guillot (Elizabeth) : Des chefs-d ‘œuvres au théâtre, il y en a que trop peu. Et ce texte-ci, cette pièce de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière est pour moi une très belle oeuvre. Je me devais de la revisiter. Le rôle de Babou me touche énormément, il y a quelque chose de poignant dans cette femme qui m’émeut et j’avais hâte de pouvoir revivre ces moments-là et surtout en présence de mes partenaires favoris.

Producteur, metteur en scène et actrice… Comment réussir à distinguer les foncions ?

Très bonne question, je me la pose assez souvent. Depuis peut-être cinq ans, je ne fais plus la distinction. Je suis très organisée – à ma façon bien sur – et finalement cela fonctionne parfaitement. Bon maintenant je fais souvent des nuits blanches… mais bons. La vraie question c’est ‘devons nous vraiment dormir ? N’est-ce donc pas une perte de temps ?’

Reprendre le rôle interprété par Valérie Benguigui (aujourd’hui décédée), qui a obtenu un César en 2013 pour son interprétation d’Elizabeth, met-il une pression supplémentaire ?

Nous avons vécu avec tristesse son départ. C’était justement avant notre avant-première du Prénom. Nous avons perdu une très belle actrice. Je me devais de continuer et de ne pas laisser tomber Elizabeth. Ce personnage m’a animé avec beaucoup de tendresse pendant cette semaine de représentations. J’espère que quelque part j’ai bien fait les choses et que Valérie Benguigui en est fière, où qu’elle soit.

 

« Le Prénom »

Les 19, 20, 21, 22, 23 et 24 Février

Mise en scène d’Émilie Guillot

Hong-Kong Arts Centre– McAulay Studio – 19h30

2 Harbour Road, Wan Chai

L’histoire

« Vincent, la quarantaine triomphante, va être père pour la première fois. Invité à dîner chez Elisabeth et Pierre, sa sœur et son beau-frère, tous les deux professeurs à Paris, et parents de deux enfants : Apollin et Myrtille, il retrouve Claude, un ami d’enfance. En attendant l’arrivée d’Anna, sa jeune épouse, on le presse de questions sur sa future paternité dans la bonne humeur générale… Mais quand on demande à Vincent s’il a déjà choisi un prénom pour l’enfant à naître, sa réponse plonge la famille dans le chaos. »