Le Caire : A la croisée des chemins
Ville ancestrale et tentaculaire, la capitale de l’Égypte moderne doit son développement à un emplacement d’exception entre deux mondes. Sonore et grouillante à l’excès, elle est le lieu de toutes les senteurs à la fois africaines et orientales. Le Nil la berce de son glorieux héritage antique, mais ni le vent du désert ni la douceur méditerranéenne ne lui font défaut. Cette mixité constante en fait une ville fascinante.
Par Christian Sorand
À bien des égards, l’Égypte pharaonique a joué un rôle-clé dans le savoir et la culture des Anciens. Que ce soit Moïse ou Pythagore, tous deux initiés à la science des prêtres, ce savoir a eu un impact indélébile sur la pensée méditerranéenne.
Ni Alexandre Ier, ni Antoine ou Jules César n’ont échappé au besoin d’en rallumer le flambeau. Aux portes du Caire, le Sphinx et les pyramides attestent encore et toujours de cette aura ancestrale. La Ville du Caire s’inscrit dans l’image d’une croix Ankh. Au nord, la boucle en forme de goutte d’eau est celle du delta du Nil. Ce fleuve magique se prolonge au Sud vers le mythique “pays de Pount” (“pays du dieu”) perdu dans le désert africain menant aux sources du Nil. Les bras de cette même croix pointent l’un vers l’occident, pays des anciens Libyens (les Berbères), l’autre vers un orient juif, chrétien et musulman. À la croisée des branches, la ville du Caire a surgi, pétrie dans le sable du désert et le limon du fleuve : belle image du “Nout”, le mythe égyptien de l’Océan primordial, initiateur de la Création.
Ce récit vous entraîne au cœur d’une ville-phare gigantesque, par le biais d’une ronde imaginaire, générée par le verbe et l’envoûtement de l’image.
Aux sources du Caire
La partie sud de la mégapole cairote, appelée Héliopolis, était un lieu important pour l’Égypte pharaonique. Si le nom grec du Soleil (Hélios) est celui que l’on utilise, c’était pour célébrer le dieu Râ dont la lumière a tant guidé le pays des anciens bâtisseurs. La région de Memphis et de la nécropole de Saqqarah se trouve à 18km au sud seulement. Même si l’on se doit d’évoquer l’Égypte pharaonique, l’histoire de la capitale est plurielle. Son nom arabe al-Qâhira signifie “la conquérante”.
Les Cairotes préfèrent l’appeler “Masr”, nom arabe désignant l’Égypte. Proche du Moyen-Orient, la ville a été le lieu de passage obligé de la conquête arabe (en 642 de notre ère). Ironie de l’Histoire, cette conquête venue de l’Est revient en force depuis l’Ouest ! Les Fatimides, musulmans chiites, établis à Mahdia (Tunisie), envahissent l’Égypte en 973. Ces conquérants étaient des Berbères, originaires de petite Kabylie. Ils vont régner au Caire du Xe au XIe siècle.
Au Moyen Âge, les croisés combattent la dynastie régnante, celle des Ayyoubides, Syriens d’origine. Le premier dirigeant, Saladin, est un Kurde qui établit le sunnisme en Égypte. Au cours de la VIIe croisade, en 1250, Louis IX de France est fait prisonnier. L’Empire ottoman s’empare alors de l’Égypte.
Quelques siècles plus tard, Le Caire devient une étape sur la route des épices, entre l’Europe et l’Asie. Au XVIe siècle, l’arrivée du “qahwa”, le café venu de Mokha, au Yemen, contribue à faire la notoriété de la ville. Sa diffusion s’avère être l’œuvre de mystiques soufis, qui l’utilisent pendant les prières !
Les quartiers cairotes
La renommée grandissante des cafés du Caire nous permet de partir explorer les venelles grouillantes des quartiers de la capitale égyptienne. On s’aperçoit ainsi qu’il existe quelques similarités entre Paris et Le Caire. Outre une certaine ressemblance architecturale, la ville est scindée en deux par un fleuve. Ici, la rive droite est à l’Est, la gauche, à l’Ouest. Et à l’instar de Paris, deux grandes îles émergent des eaux du Nil : Roda et Gezira. Cette dernière est un quartier résidentiel, dominée par la tour de télévision, haute de 187m, au sommet de laquelle se trouve un restaurant panoramique.
Une section plus moderne s’étale vers l’ouest, tandis que le centre historique est à l’est du Nil. Le quartier copte forme le Vieux-Caire. Les Coptes représentent 10 % de la population du pays. Ce sont les descendants des anciens Égyptiens. Le copte est une langue chamito-sémitique, comme le tamazight berbère ou l’égyptien ancien. Ce sont surtout des chrétiens orthodoxes. L’église Al-Mu’allaqah est consacrée à la Vierge ; on la surnomme “l’église suspendue”. Ce quartier abrite aussi le Musée copte fondé en 1910, renfermant des tissus, des icônes et une collection de manuscrits du IVe au XXe siècle. Il n’y a pas moins de cinq églises dans cette zone urbaine; on trouve aussi la synagogue Ben-Ezra datant de 1115. Le plus vieil édifice du quartier est la forteresse romaine de Babylone, édifiée à l’arrivée de l’empereur Auguste en 30 av. J.-C.
Le quartier islamique a été classé par l’Unesco en 1979. On peut y voir d’abord la citadelle de Saladin, construite au XIIe avec la mosquée Mohamed Ali. Les remparts de Saladin ont été édifiés aux XIIe et XIIIe siècles. L’un des plus célèbres édifices reste la mosquée Al-Ahzar fondée en 970 de notre ère. C’est l’une des plus anciennes universités du monde arabe. Cette “médersa” occupe le troisième rang après la “Qaraouyine”de Fès et la “Zitouna” de Tunis. À la chute du sultanat mamelouk (d’anciens esclaves musulmans affranchis), les Ottomans prennent le pouvoir à partir du XVe siècle. Le “Khân”, le grand bazar turc, date de cette époque. Le grand souk du Caire a été le quartier de Naguib Mahfouz (1911-2000), prix Nobel de littérature en 1988.
Entre ce vieux quartier et le Nil, le cœur battant de la capitale se pare d’une aura plus parisienne. L’histoire des deux derniers siècles le justifue. L’imposante place Tahrir, haut-lieu de la révolution égyptienne de 2011, se trouve à proximité de l’ancien musée égyptien du Caire, fondé en 1857 par l’égyptologue Auguste Mariette (1821-1881). L’arrivée des troupes de Bonaparte en 1798, marque l’engouement archéologique de la France, entériné par Champollion (1790-1832). Les hiéroglyphes sont déchiffrés en 1822. L’occupation française a été de courte durée. Les Britanniques et les Ottomans reprennent le pays en 1801. Toutefois, en 1805, Méhémet Ali Pacha (1769-1849), un Albanais, prend le pouvoir. Son petit-fils, Ismaïl Pacha (1830-1895), règne de 1863 à 1879 et modernise la ville en s’inspirant de l’architecture haussmannienne. Le théâtre et l’opéra datent de cette époque. L’École du Caire est fondée en 1880. En 1898, elle deviendra l’Institut Français d’Archéologie Orientale (IFAO).
L’invasion britannique, en 1882, fait du pays un protectorat jusqu’à son indépendance en 1922. C’est seulement à cette date que Le Caire devient officiellement la capitale de l’Égypte. Les troupes britanniques y resteront jusqu’en 1956.
Pôle culturel à la croisée des chemins
On voit comment le multiculturalisme est lié à la géographie et à l’Histoire. On a déjà évoqué le souvenir de Naguib Mahfouz pour la littérature arabe. Mais Le Caire a eu aussi des écrivains francophones comme Albert Cossery (1913-2008) ou Andrée Chedid (1920-2011). Le célèbre acteur Omar Sharif, né à Alexandrie en 1932, est mort au Caire en 2011. Constantin Xenakis (1931-2020), peintre et sculpteur grec, est né au Caire avant de venir s’établir en France, à l’instar d’Yves Hayat, artiste-plasticien, né au Caire en 1946. Auguste Mariette est mort au Caire en 1881 comme l’auteur ésotérique René Guénon (1886-1951). Des chanteurs français célèbres sont également originaires du Caire : Guy Béart (1930-2015), Dalida (1933-1987), Richard Anthony (1938-2015).
Le Caire est en outre le siège de la Ligue arabe, fondée ici en 1945. Parmi les Cairotes célèbres, on peut citer Boutros Boutros-Ghali (1922-2016), politicien et diplomate copte, devenu le sixième secrétaire général des Nations-Unies, puis Secrétaire général de la Francophonie; Mohamed el-Baradei (né en 1942), vice-président de la nation, nommé à la tête de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) et prix Nobel de la Paix (2005).
Le Caire est l’une des plus grandes villes d’Afrique avec ses 10M d’habitants, mais l’agglomération en compte désormais 21M. La cité doit sa renommée et son influence à son emplacement privilégié, à la croisée des chemins entre l’Afrique et le Moyen-Orient, le Nil et la Méditerranée, la proximité du canal de Suez, œuvre de Ferdinand de Lesseps (1805-1894). Cette communauté urbaine reste une ville grouillante et fascinante de contrastes. Son influence politique et culturelle en fait un pôle inévitable. D’autant plus, que l’archéologie et le tourisme international alimentent sa renommée pour partir à la découverte des pyramides et des temples de l’Égypte ancienne.
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Liens : wikipedia – Les établissements de cafés au Caire : https://journals.openedition.org/etudesrurales/8579