Chronique

L’automne en avril

– « Qu’est ce qu’il y a ? T’as l’air toute…molle. »

– « Oh ce n’est rien c’est l’automne … les sanglots longs des violons (qui) blessent mon cœur tout ça tout ça… »

– « L’automne ?! Qu’est ce que tu racontes on est au mois d’avril ? »

– « 4+6 = 10. En avril sous l’équateur, c’est octobre au dessus…l’automne quoi ! Allons marcher sur la plage en contemplant l’horizon… »

 

Par Stéphanie Delacroix  @stefie_tokee

 

Comment faire comprendre La Chanson d’automne de Verlaine à quelqu’un(e) né(e) et ayant toujours vécu dans un pays doté de seulement deux saisons : la saison sèche et la saison…bah pas sèche… celle de la pluie (musim kemarau et musim hujan).

Peut-on être mélancolique dans les pays où les arbres ne se teintent pas de rouge et ne perdent pas leurs feuilles ?

En « automne », à Bali, mars – avril – mai c’est la fin de la saison chaude (décembre – janvier – février) qui se trouve être aussi la saison des pluies. C’est une saison fort agréable. Il va quand même faire chaud, mais plutôt 28∘C que 32∘C … avant les grands froids de juin – juillet – août avec quelques matins à 20∘C, oui 20∘C… presque la Sibérie !

Les Japonais eux attendent l’automne 秋 (aki, arbre et feu) avec impatience…ou plutôt avec patience parce que l’impatience ce n’est pas très nippon, c’est même franchement mauvais. Ils l’attendent parce que c’est la saison où le ciel est le plus beau, la lumière la plus colorée, où le ciel semble être un coucher de soleil permanent en plein jour. En automne les Japonais se régalent les yeux des 紅葉momiji … les feuilles cramoisies (oui je sais, c’est tout de suite moins poétique une fois traduit, même crimson leaves sonnerait mieux)…Et oui, parce qu’il n’y a pas que les Sakura (fleurs de cerisiers) qui ont droit à leur petite carte de prévision à la télé au moment de la météo…il y aussi les feuilles d’érables. Aucun spleen en vue.

A Hong-Kong, en automne 秋天 (comme en japonais mais avec le ciel en plus) on se réjouit d’être débarrassés de la moiteur estivale, de bientôt pouvoir offrir des mooncakes (et très éventuellement de les manger), et d’admirer des lanternes de papier coloré. Pas de langueur monotone ici non plus.

Londres aussi adore l’automne, les parcs s’embrasent, les bottes à talons et les manteaux élégants sont de retour (en plus Londres, c’est Stella Mac Cartney, et Stella Mac Cartney c’est la mode sans cuir), les tasses de thés fumantes sont encore plus appréciées et les verres de whisky sont là pour prévenir tout refroidissement, sans glaçon, ni nuage d’angoisse existentielle.

Reste Paris – il nous restera toujours Paris, ou plutôt we’ll always have Paris en anglais dans le texte et Casablanca – l’approche de la Toussaint, du beaujolais auquel on aimerait sincèrement trouver un goût nouveau, du petit vent froid et humide qui fait remonter les cols, les feuilles qui volent au vent ou crissent sous les pas des enfants de nouveau en vacances…

Alors, l’automne ? Acquis ? Inné ? National ? Universel…en tout cas vous remarquerez que je me suis abstenue d’affubler l’automne d’adjectifs ce qui me ressemble assez peu et ce par peur de la faute de genre ! Masculin (comme le grog au coin du feu) ou féminin (comme la mélancolie) ? Un bel automne ou une automne radieuse ? Mais si un verbe ou un adverbe se trouve au milieu de cette fascinante saison, et bien retour au masculin. Et si….et si rien du tout, le Littré lui même nous enjoint de faire comme bon nous chante, comme le cœur nous en dit… et ce n’est pas au printemps, en été ou en hiver que l’on verrait ça !