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La réforme du baccalauréat vue par un professeur de mathématiques

C’est en 2021 que ce nouveau bac entrera en vigueur. Pour en savoir plus sur cette réforme importante pour l’avenir des lycéens, Hervé Poirier, professeur de mathématique au lycée français de Hong-Kong, a accepté de répondre à nos questions. Après avoir occupé les postes de professeur en terminale S et professeur principal de ces classes (donc confronté aux questions d’orientation post-bac) mais aussi professeur de la spécialité mathématiques pour tous les élèves de terminale S, professeur en seconde, et coordonnateur du département de mathématiques du lycée, Hervé Poirier a une parfaite maîtrise du sujet. « Je peux vous en dire quelques mots mais en aucun cas prendre la place des conseillers d’orientation du LFI qui font un remarquable travail », tient-il à préciser. 

Propos recueillis par Catya Martin

Trait d’Union : Et si nous faisions un peu d’histoire concernant l’orientation post-bac en France. 

Hervé Poirier : A partir de 1965, l’orientation et la filière sont choisies en fin de troisième. Les élèves entrent en seconde littéraire (A), scientifique (C) ou technique (T), puis choisissent entre cinq sections pour le bac. 

A partir de 1981, le choix en fin de troisième disparait, et l’orientation se fait en fin de seconde baptisée alors « seconde de détermination ». Enfin, à partir de 1995, les sections S, ES et L apparaissent pour un choix en fin de seconde, et disparaissent donc en 1ère à la rentrée 2019. On peut également dans ce cadre rappeler la réforme de 1975 (Haby) qui supprime les filières au collège parce qu’elle participe de ce même mouvement spécifique à la France : reculer dans le temps les choix de spécialisation. 

Il s’agit là d’une spécificité très française ?

Oui, contrairement aux systèmes anglo-saxons, le système français refuse une sélection trop précoce et entend former des lycéens dotés d’une solide culture générale en reculant autant que possible les choix de spécialité. Comme illustration à ce propos, on peut rappeler le scandale provoqué par la suppression de l’histoire-géographie au bac scientifique il y a quelques années, décision qui fut très vite annulée. 

Comme illustration encore, signalons que c’est cette spécificité qui rend possible des écoles de haut niveau comme Sciences-Po Paris recrutant des élèves venant des actuelles trois sections. Ainsi, c’est dans cette continuité que s’inscrit l’actuelle réforme du bac. 

Quelles sont les modifications liées à cette réforme ?

Cette réforme du lycée n’est pas accompagnée de modifications notables dans les cursus de l’enseignement supérieur donc, si le chemin du lycée est légèrement différent, le point d’arrivée est le même. Hors les incontournables contraintes budgétaires et de ressources humaines, l’un des objectifs du ministère avec cette réforme est de supprimer les « choix par défaut », ce qui est plutôt une saine volonté. 

En effet, combien de fois élèves, professeurs, parents et proviseurs n’ont-ils pas tenu, entendu, soupiré, pensé ou deviné les raisonnements suivants en fin de seconde : « pas assez bon en maths donc ES », « très moyen mais incapable de rédiger correctement, donc S » ou encore « moyen partout, donc ES ». Il est vrai que la réforme aidera à se défaire de ces choix obligés, et ce n’est déjà pas si mal mais, je le répète, le point d’arrivée post-bac est exactement le même. C’est précisément cela – et rien d’autre – qui doit être visé par les familles. 

Et qu’en est-il des mathématiques ?

De ce côté, la réforme s’inscrit parfaitement dans la spécificité de l’école française puisque, en fait, le tronc commun est maintenant repoussé jusqu’en fin de première. En effet, la réforme annonce un pôle sciences dans le tronc commun de 1ère, mais les mathématiques n’y apparaissent pas et deviennent une « spécialité » à choisir ou non. Cette organisation parait assez étrange mais il existe une explication cohérente liée à l’existence de quelques élèves faisant un rejet total des mathématiques. 

C’est-à-dire ?

Pour éviter de les condamner inutilement au supplice et surtout à un injuste échec en prolongeant les mathématiques dans un tronc commun, celles-ci sont mises en spécialité, ce qui donne à ces élèves la possibilité de continuer dans de bonnes conditions sans fermer définitivement les orientations. Ainsi, il faut considérer que les mathématiques sont effectivement dans le tronc commun, avec toutefois un aménagement permettant aux élèves en grande difficulté d’y échapper et de garder un éventail d’orientations. 

Le programme annoncé n’est-il pas élitiste ?

Il paraît ambitieux mais il ne faut pas se laisser impressionner : le niveau d’exigence sera fixé… par le niveau des élèves eux-mêmes. En effet on imagine mal les enseignants de 1ère, au LFI moins qu’ailleurs, afficher des moyennes de classe notoirement basses. Cela peut apparaître comme une remarque désabusée, voire légèrement cynique, mais c’est une réalité. 

Les programmes sont des thèmes et le niveau d’exigence n’apparaît pas explicitement. Par exemple on peut faire de la géométrie dans le triangle trop difficile pour des élèves de terminale comme on peut faire du calcul intégral accessible à des élèves de collège : tout dépend de ce qu’on y met. 

Pour revenir à l’essentiel, les orientations post-bac (France ou étranger) se font sur des dossiers constitués des trois bulletins de 1ère accompagnés d’un ou deux bulletins de terminale : on imagine les dégâts dans une immense majorité de demandes d’orientation si les mathématiques n’y apparaissaient pas du tout, ou encore avec des résultats catastrophiques, en particulier pour les demandes dans les universités à l’étranger. Les élèves pourront de toute façon, en fin de 1ère, faire un vrai choix (ou non) de mathématiques pour la terminale, mais il importe de ne pas se fermer inutilement de portes d’orientation dès la 1ère. 

Professeur de mathématiques, votre analyse est-elle influencée par votre statut ?

Non car, en tant que professeur résident, mon poste ne dépend pas des variations d’élèves inscrits. Cette position me donne davantage de liberté pour réfléchir, agir et parler dans le seul intérêt des élèves puisque ma situation n’en dépend pas. Ainsi, la diversité des statuts des enseignants au sein du LFI est une chance pour toute la communauté éducative, et en particulier pour les familles. Diversité utile à la réflexion actuelle dans le contexte du choix d’évolution du LFI.