Economie

La quête de sens dans un monde sans emploi

Malgré les fréquentes questions des adultes qui m’entourent, je n’ai toujours pas d’idée précise des études ou de la carrière que je souhaiterais poursuivre. Heureusement (ou malheureusement), il semble de plus en plus improbable que le monde du travail actuel reste tel quel. Cela m’amène à une autre question, bien plus préoccupante : si l’IA s’empare de tous les emplois, que ferons-nous de nos vies ?

Par Aemilia Rice Mileto (LFIS)

Vous pensez peut-être que j’exagère ? Après tout, nombre de métiers n’ont pas encore disparu.
Mais l’IA ne s’emparera pas du marché du travail du jour au lendemain ; elle le fera lentement, insidieusement, et d’une manière que les entreprises et les gouvernements présenteront comme bénéfique pour l’humanité dans son ensemble. Comme le souligne Yuval Noah Harari dans son livre 21 leçons pour le XXIᵉ siècle, le développement des voitures autonomes en est un parfait exemple. Celles-ci pourraient être connectées et coordonnées par un programme d’IA unique, reliant ainsi toutes les voitures du monde en un seul système. Ces véhicules, insensibles aux défauts humains, pourraient sauver les vies des 1,35
million de personnes qui meurent chaque année dans des accidents de la route. Si un programme d’IA peut sauver un si grand nombre de vies, est-il même éthique de s’opposer à sa mise en œuvre ?

Cependant, en éliminant le conducteur humain, aussi irresponsable ou imparfait soit-il, on supprime également des emplois et, simultanément, une étape majeure de la transition vers l’âge adulte : après tout, apprendre à conduire est autant un symbole d’indépendance que cuisiner ou acheter son premier logement.

Le problème du confort, c’est qu’il se fait souvent au détriment de la satisfaction et du sentiment d’épanouissement. Jusqu’à récemment, les avancées technologiques ne nous avaient pas causé de dommages psychologiques. Plutôt que de nous plonger dans une crise existentielle, ces innovations avaient amélioré notre quotidien — pensez aux réfrigérateurs ou aux machines à laver. Plus important encore, ces avancées sont fondamentalement différentes de l’IA, car elles ne représenteront jamais une menace directe. Après tout, un téléviseur ne peut pas faire votre travail à votre place. Mais que se passe-t-il lorsque
l’IA devient tout simplement meilleure que vous ? Demandez-le à Garry Kasparov…

Cela m’amène au point central de mon article : le rôle du travail dans notre société et dans la psychologie collective. Primo Levi, chimiste et écrivain d’exception de l’après-guerre, a écrit un livre magnifique intitulé « La Clé à molette », qui vante les valeurs du travail manuel et le plaisir que l’on peut éprouver à exercer un métier que l’on aime. Le travail est ce qui donne aux adultes qui nous entourent un but, un statut et un sens. Les chômeurs sont souvent méprisés, car ils ne participent pas à ce qui est au cœur de notre société : le travail. Pour comprendre la valeur que nous lui attachons, revenons en arrière dans l’histoire de l’humanité et pensons au passage des groupes de chasseurs-cueilleurs nomades aux villages et aux royaumes sédentaires. Cette grande mutation organisationnelle est due à l’émergence d’emplois spécialisés et à notre dépendance à un vaste réseau de personnes capables d’effectuer le travail que nous ne pouvons pas faire.

Mais que se passe-t-il lorsqu’on n’a plus rien à faire ? La quête de sens, déjà si fragile aujourd’hui, s’effondrerait.

Avez-vous remarqué que Google a commencé à intégrer des aperçus générés par l’IA dans son moteur de recherche ? Certes, c’est efficace, mais cela remplace aussi la méthode traditionnelle de recherche, qui consiste à consulter différentes sources, à vérifier les informations — en un mot, à se forger sa propre opinion. Quand quelque chose simplifie notre vie, nous ne nous y opposons presque jamais. Mais si les choses deviennent trop faciles, à quoi bon ?

Soyons clairs : l’IA n’est pas une menace en soi, mais plutôt une transition inévitable dans notre évolution en tant qu’espèce. Il est peu probable que nous ayons à craindre une apocalypse de l’IA ou le développement de formes de vie artificielles sensibles et hostiles, comme celles décrites dans Matrix. Il est plus probable que l’IA restera un outil au service de nos désirs, et que ce soit notre propre égoïsme qui nous cause du tort.

Finalement, il est important de garder à l’esprit que l’avenir n’est pas aussi sombre qu’il n’y paraît. À mesure que l’IA se développera, de nouveaux métiers émergeront, et il se peut que nous réussissions à utiliser cet outil puissant pour le bien commun. Une chose est sûre : notre génération devra faire preuve d’adaptabilité et de courage. Car, au lieu de simplement rejeter les possibilités du futur, il faut avoir la force d’accompagner la méfiance que nous éprouvons envers l’intelligence artificielle d’un espoir raisonné.

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Sources :
Organisation mondiale de la Santé : OMS. (13 décembre 2023).
Accidents de la route. https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/road-trafficinjuries

Harari, Y. N. (2018). 21 leçons pour le XXIe siècle.
http://ci.nii.ac.jp/ncid/BB2679939X