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« La priorité d’un consul général reste l’intérêt supérieur des enfants »

Etablissement privé de droit local, le lycée français international de Hong-Kong est géré par l’association des parents d’élèves, représenté par un conseil d’administration élu (12 parents d’élèves élus pour trois ans et le consul général de France à Hong Kong et Macao). Seule école française à être homologuée par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), le LFI est un établissement conventionné. La convention passée avec l’AEFE garantit la conformité des programmes et de la pédagogie proposés dans la filière française. Des discussions sur un possible changement de statut (passer de conventionné à partenaire), sont aujourd’hui à l’ordre du jour. De quoi s’agit-il ? Quelles conséquences pour le seul établissement accrédité à Hong-Kong ? Nous avons rencontré Alexandre Giorgini, consul général de France à Hong-Kong et Macao, qui a accepté de répondre à nos questions. Interview.

Propos recueillis par Catya Martin

Trait d’Union : Le lycée Victor Segalen est un établissement sous convention avec l’AEFE. La question d’un passage au partenariat avec l’AEFE est aujourd’hui discutée par le conseil d’administration de cet établissement. En quoi l’implication du consulat général de France serait différente si ce statut venait à être modifié ?
Alexandre Giorgini :
L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger gère un réseau de 496 établissements répartis sur 137 pays et scolarisant près de 350.000 élèves. C’est un formidable outil pour accueillir des enfants qui se trouvent souvent dans des univers culturels et linguistiques très différents.
La clé du succès, c’est l’adaptation. Chaque établissement a sa propre histoire. Trois types de relations avec l’AEFE sont possibles : la « gestion directe » par l’agence (qui concerne des écoles directement créées par une initiative d’une ambassade ou d’un consulat) ; le « conventionnement », par lequel une école privée à l’étranger se voit mettre à disposition, en échange d’une contrepartie financière, un certain nombre de moyens, dont notamment des enseignants et des personnels pédagogiques ; et enfin le « partenariat », dans le cadre duquel des établissements choisissent de rester autonomes financièrement, recrutent et paient eux-mêmes leurs personnels, tout en restant associés à l’AEFE pour l’animation pédagogique.
Dans tous les cas, la priorité d’un consul général reste l’intérêt supérieur des enfants et le maintien d’un enseignement d’excellence pour les préparer au mieux à leur orientation universitaire et à la vie professionnelle.
Gestion directe, conventionnement et partenariat sont trois modèles qui existent. Ils fonctionnent. Mais ne nous méprenons pas : ils correspondent à des réalités différentes. Avec votre conjoint, vous pouvez choisir de vous marier, de vous pacser ou de vivre en union libre. Vous aurez alors mutuellement des droits et des devoirs différents.
A Hong-Kong, le consulat général a accompagné, depuis sa création, le lycée Victor Segalen. C’est notamment grâce à son soutien que les autorités locales ont donné leur agrément à l’ouverture de l’établissement en 1964. C’est aussi grâce à notre appui politique que le LFI a pu s’installer sur de nouveaux sites et faire face à la demande des parents. Nous avons inauguré le 30 novembre dernier un magnifique campus, à Tseung Kwan O. Il doit beaucoup à mes prédécesseurs, qui ont convaincu les autorités locales – toujours difficiles lorsqu’on aborde les questions immobilières… – du bien-fondé du projet et ont exercé leur rôle de lobbying auprès de l’AEFE pour qu’une subvention de 3,5 millions d’euros soit allouée à la construction.

Dans une relation de partenariat, les relations avec l’AEFE sont plus distendues et le rôle du consulat général serait moindre. Au fur et à mesure que nous approchons de la date de 2047 et de la fin du processus de transition prévu pour Hong Kong, ce rôle me paraît pourtant de plus en plus essentiel. Nous ne sommes pas en France et nous ne devons pas ignorer le contexte chinois : il sera plus protecteur pour nos intérêts d’être portés par une représentation officielle, plutôt que par une association privée locale.

Le conseil d’administration estime qu’une une augmentation de 2%, (à rajouter aux 3% habituels), supplémentaire sur les frais de scolarité 2019/2020 est nécessaire pour gérer la transition (passage de statut de conventionné à partenaire). Cette augmentation pourrait être maintenue sur l’année scolaire 2020/2021. Si le nombre de boursiers était amené à augmenter, le budget relatif aux bourses pourrait-il également augmenter ?
Pardonnez-moi d’avoir une ambition : que tous les parents français qui le souhaitent puissent offrir à leurs enfants une scolarité dans cet établissement d’excellence qu’est le lycée Victor Segalen. Or cela n’est pas le cas, même si les tarifs actuels restent compétitifs dans un paysage éducatif hongkongais très onéreux. Les témoignages qui me parviennent de nos compatriotes sont réguliers et convergents : fini le temps où tout, pour les expatriés, était pris en charge par leur société ; le nombre d’enfants français scolarisés hors du LFI, souvent pour des raisons financières, ne doit pas être oublié. 
J’ai participé en novembre dernier à l’attribution des bourses scolaires. C’est un outil financé par l’Etat au titre de la solidarité avec nos communautés expatriées, mais certainement pas un remède miracle. Les décisions sont prises de manière collégiale, avec les conseillers consulaires, sur la base de critères objectifs et transparents, avant tout en matière de revenus. Plusieurs familles en situation difficile n’ont pu être satisfaites, souvent en raison de revenus tout juste supérieurs au seuil d’éligibilité.
Ce que je crains avant tout, c’est que l’impact mécanique d’une augmentation des frais de scolarité sur l’équilibre économique des cellules familiales ne conduise in fine des parents à se détourner du lycée Victor Segalen et à privilégier d’autres offres scolaires plus abordables pour eux ou à quitter Hong-Kong.

Plusieurs parents s’interrogent sur la nécessité de changer de statut de façon aussi précipitée alors même que le conseil d’administration n’est pas stabilisé (NDLR : trois présidents en trois ans). Quel est votre avis de consul général mais aussi de parent d’élève ? Même si cette décision reste légale en terme de gouvernance, n’y a-t-il pas un souci de légitimité ?
Jamais il ne faut perdre son âme d’enfant ni renoncer à son devoir d’étonnement. En toute modestie : le consul général n’est qu’un des treize membres du conseil d’administration, tous très impliqués, mettant à disposition leur expertise et ne ménageant pas leur peine.

Dès la première réunion à laquelle j’ai participé, le 3 septembre, jour même de ma prise de fonctions, j’ai expliqué ce que serait mon approche : pragmatisme, neutralité dans le débat entre maintien du conventionnement ou passage au partenariat, transparence des travaux. J’ai souhaité soulever des questions de fond : le moment n’est-il pas venu de donner la priorité à la stabilité de l’établissement, après des années de croissance et alors que rien n’est acquis dans un contexte hongkongais où la concurrence scolaire est impitoyable ? Pourquoi n’y a-t-il pas de projet d’établissement formalisé ? Pourquoi la question de l’ouverture d’une petite section de maternelle, qui permet de « fidéliser » les familles dès le début du parcours scolaire, n’est-elle pas à l’ordre du jour ?

Constatant que les discussions sur le renouvellement de la convention avec l’AEFE, initiées en 2018, patinaient sur un certain nombre de points d’achoppement, dont les modalités de nomination du chef d’établissement, j’ai joué mon rôle d’intermédiaire auprès de l’AEFE, faisant remonter directement à son directeur les préoccupations émises par la « task force » constituée ad hoc par le conseil d’administration. Une nouvelle proposition de texte, comportant des avancées substantielles, nous a été communiquée par l’agence le  11 janvier.

Ce qui m’a surpris, c’est la suite : l’absence de volonté sérieuse de discuter avec l’AEFE, qui m’a semblé relever davantage du préjugé idéologique que du souci de stabilité de l’établissement ; un avis définitif et négatif exprimé par la « task force » sur le nouveau texte, rapidement balayé alors qu’il aurait pu donner lieu à de nouvelles discussions ; et la précipitation, avec la convocation par le président du conseil d’administration, non concertée et dont j’ai été informé par message électronique quelques jours avant, d’une « réunion extraordinaire » le 28 janvier pour voter sur deux options, le conventionnement ou le partenariat.

Prendre une décision dans l’emballement entre les fêtes de fin d’année et le nouvel an chinois n’est pas une bonne méthode. Le conseil d’administration a compétence pour décider du statut. Mais il est des décisions pour lesquelles la légalité ne suffit pas. On ne peut se désintéresser de la légitimité d’un choix aussi lourd, qui engagera l’établissement pour les dix ou vingt prochaines années. Tout montre autour de nous que le temps des décisions verticales est révolu. Comment expliquer aux parents d’élèves et à la communauté pédagogique, si engagée au quotidien auprès de nos enfants, qu’on leur offrira un débat après coup, une fois qu’une option aura été choisie ? Ce désaccord de méthode, j’en ai fait part au conseil d’administration en amont du vote du 28 janvier, qui a finalement opté pour une étude, d’ici avril, sur la faisabilité d’un passage au partenariat avec l’AEFE à l’horizon de la rentrée 2020.

C’est donc une phase cruciale qui s’ouvre dans les prochaines semaines, où tous, parents d’élèves comme membres de l’équipe du lycée, devront associer leurs bonnes volontés pour que le meilleur cap soit pris.

Le lycée Victor Ségalen a un statut particulier au sein des établissements français à l’étranger avec, en son sein, une section internationale. Un grand nombre de parents souhaitent une consultation qui ne soit lancée qu’en direction des familles concernées par la filière française (comprenant l’OIB et le bilingue). Pensez-vous que cette demande est légitime ?

L’existence de la filière internationale – posée en 1964 par les autorités locales comme une condition préalable à l’ouverture du lycée – fait partie de l’ADN de l’établissement et de sa richesse. Un tiers des élèves y sont scolarisés. Il n’y a aucune raison de l’opposer à la filière française et de faire des comptes d’apothicaire sur les bénéfices et coûts mutuels, qui ne m’ont jamais convaincu. Les élèves partagent les mêmes gymnases, déjeunent dans les mêmes cantines, jouent dans les mêmes cours de récréation.

Mais il est un sujet qui concerne exclusivement la filière française, et donc les deux tiers des élèves : l’« homologation ». C’est le « label » de l’Education nationale et la certification par le gouvernement français que l’enseignement dispensé est bien conforme aux programmes nationaux et prépare aux diplômes français, brevet et baccalauréat. C’est cette homologation qui, en cas de déménagement, permet aux élèves de poursuivre leur scolarité en France ou dans un autre lycée français à l’étranger, sans rupture de scolarité ou tests de niveau à passer. Il n’y a rien d’automatique : la qualité des professeurs et la manière dont les études sont structurées font l’objet de vérifications et d’inspections régulières. La prochaine inspection est prévue ce mois de février.

L’homologation est une question indépendante du statut, conventionnement ou partenariat. Mais le conventionnement, parce qu’il s’accompagne de professeurs et de personnels d’encadrement pédagogique issus de l’Education nationale mis à disposition par l’AEFE – et non recrutés localement, facilite clairement son obtention. Cette question de l’homologation est essentielle pour les familles qui envisagent, pour leurs enfants, des études en France. Les parents d’enfants scolarisés au sein de la filière française sont donc les plus concernés par le débat sur l’avenir du lycée et sa relation avec l’AEFE.

Il me paraît donc normal qu’ils soient directement et préférentiellement consultés sur cette question.

L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) a proposé une renégociation de la convention actuelle. La dernière version prend en compte un grand nombre des demandes des parents, notamment sur le bilingue. Quelles sont les autres propositions importantes faites par l’Agence ? La porte est-elle aujourd’hui définitivement fermée à d’autres discussions ?

Le nouveau projet de convention mis sur la table en janvier par l’AEFE est une proposition. Comme toute proposition, il est logique qu’elle donne lieu à des contre-propositions, à des amendements, à des navettes entre Paris et Hong-Kong, pendant quelques semaines ou quelques mois. C’est le principe d’une négociation. Mon sentiment est que l’AEFE a fait un chemin important et a entendu de nombreuses demandes du conseil d’administration.

Au total, je regarde ce qui s’est fait ailleurs : Shanghaï et Singapour viennent tous de renouveler très récemment leur convention avec l’AEFE, après de longues et âpres négociations. Pourquoi n’y arriverait-on pas à Hong-Kong ?

La question des langues est distincte de celle du statut de l’établissement. Elle n’en est pas moins essentielle. Hong-Kong est un univers plurilingue à part, qui implique que le bilinguisme français-anglais à parité horaire ait sa place. Nous devons également renforcer l’apprentissage du mandarin pour donner toutes les chances aux enfants, dès leur plus jeune âge. Cela, nous l’avons expliqué à l’AEFE et le message est passé.

Nous sommes au cœur de la réforme du baccalauréat français, réforme importante pour l’ensemble de nos lycéens. Pour grand nombre d’enseignants, inquiets de cette situation, il faudrait deux ans de stabilité des effectifs pour mener à bien cette réforme. Un passage brutal au partenariat risquerait de voir un nombre conséquent d’enseignants partir. Que leur répondez-vous ?
Là encore, notre ligne directrice doit être celle de l’intérêt supérieur des élèves et des futurs bacheliers. La réforme du baccalauréat est une réalité que nous devons intégrer. Elle s’impose à tous les établissements, qu’ils soient en France ou homologués à l’étranger. Il est essentiel de bien la préparer. Pour cela, il faut de la stabilité, non seulement dans les programmes, cela va de soi, mais aussi dans les équipes professorales et d’encadrement pédagogique

Vous avez à cœur le développement et la stabilité du lycée français, afin que les familles puissent scolariser leurs enfants dans les meilleures conditions possibles. Quel est votre message /conclusion par rapport à la situation actuelle ?
Victor Segalen, dont nous commémorons cette année le centenaire de la disparition, disait de lui-même : « Je naquis, le reste en découle ». Le lycée français est là, en excellente santé financière, maintenant un niveau d’excellence.
Mais l’essentiel, c’est l’avenir – et en particulier la clarté sur l’avenir. Nos enfants, qui vivent dans l’univers hyperconcurrentiel de Hong-Kong, doivent être préparés au mieux à leur entrée dans la vie professionnelle. Ils ont droit à un établissement géré de manière stable – et donc propre à maintenir le cap de l’excellence pédagogique. Le vrai défi est là.