La présidente du Musée Guimet à Hong Kong
Après avoir dirigé le département des arts de l’islam au musée du Louvre, Yannick Lintz, a été nommée le 1er novembre 2022, par le Président de la République française, présidente du musée national des arts asiatiques – Guimet. Docteur en Histoire, Yannick Lintz a commencé sa carrière dans l’enseignement comme professeure de lettres classiques avant de se diriger vers la conservation du patrimoine, d’abord au musée d’art et d’histoire de Genève, ensuite au musée des Beaux-Arts d’Agen. De passage à Hong Kong, Yannick Lintz a accepté de répondre à nos questions.
Propos recueillis par Catya Martin
Trait d’union : Pourquoi ce voyage à Hong-Kong ?
Yannick Lintz : Dès ma nomination j’ai considéré que je devais venir en Asie pour immédiatement me mettre en contact avec les principaux musées dans les différents pays asiatiques. L’occasion également de mieux faire connaître le musée Guimet et mon projet auprès de collectionneurs et de potentiels mécènes de la région. Lorsque j’ai proposé mon projet au président Macron, j’ai expliqué que ce musée, à Paris, dans une ville qui redevient stratégique entre l’Est et l’Ouest, se devait de jouer une sorte de « soft power » entre l’Europe et l’Asie.
Vous avez d’ailleurs déclaré au magazine l’Opinion «Quand tout va mal, la culture reste le dernier dialogue possible »
Oui, c’est lié à l’expérience que j’ai eue auparavant avec le Moyen- Orient, quand j’étais au musée du Louvre à la tête du département des arts de l’islam. J’ai eu plusieurs formidables occasions de collaborer avec des pays souvent difficiles dans le dialogue diplomatique.
Je pense notamment à l’Iran. En 2018 j’ai eu la chance d’organiser la première grande exposition du Louvre à Téhéran. Les Iraniens ont toujours eu le sentiment que nous leur demandions des œuvres et que finalement nous ne leur apportions rien, donc il fallait faire cette démonstration. Ce fut la première grande opération après la signature des accords nucléaires. Autre exemple avec le Maroc. Le roi du Maroc, lors de l’inauguration du département des arts de l’islam en 2012, avait généreusement donné une contribution remarquable pour ce département et nous voulions lui faire l’honneur de présenter le patrimoine Marocain des arts de l’islam. Ces événements peuvent contribuer au réchauffement des discussions et favoriser un socle de confiance.
Vous êtes une experte des arts et civilisation de l’Asie, quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’art contemporain asiatique.
Je découvre ou redécouvre cette scène contemporaine chinoise en venant ici et sans me contenter du regard européen. Évidemment à Paris nous avons la chance d’avoir une vraie communauté d’artistes asiatiques qui vivent en France, qui sont souvent venus étudier à l’école des Beaux-Arts et qui ont décidé de rester évidemment dans la grande tradition.
On peut citer Zao Wou-Ki mais nous avons aussi un grand peintre contemporain, T’ang Haywen, dont nous avons eu la chance, récemment, d’avoir une donation 200 œuvres. Nous allons célébrer ses peintres chinois en France.
Ce qui m’intéresse surtout, c’est de vraiment avoir une vision assez riche, la plus claire possible, de ce qu’est aujourd’hui la scène contemporaine chinoise.
Il me semble très important, à l’heure où le centre Pompidou ferme pour travaux pendant cinq à six ans, que le musée Guimet puisse être la plateforme où l’on montre, à l’audience européenne, de grandes expositions expliquant, à travers la diversité des artistes, ce qu’est aujourd’hui la scène contemporaine chinoise.
Voilà près d’un an que vous avez été nommée à la présidence du Musée Guimet ? Quel est votre bilan ?
Dès mon arrivée, j’ai dit à mon équipe que j’avais normalement droit à trois mandats successifs de trois ans, soit neuf ans pour mener une action. Sachant que l’enjeu est très important, j’ai proposé un projet, que j’appelle Guimet 2030, et qui montre la perspective. L’objectif est clair, faire passer ce musée du 20ème siècle au 21ème siècle.
Je considère que mon poste est « politique » et que je dois donc gérer ce temps de manière politique avec un vrai tempo. L’équipe m’accompagne dans cette idée d’un tempo, avec des objectifs à un an, trois ans, six ans et neuf ans.
Au bout d’un an, je dirais que beaucoup de choses s’annoncent très prometteuses. L’équipe, admirable, est maintenant en ordre de marche pour franchir ce saut qualitatif. Il ne s’agit pas de faire plus, mais de faire mieux. Il nous faut être dans des innovations un peu disruptives, inventer le nouveau musée.
Cette équipe de 170 personnes y croit, elle est prête pour vivre cette aventure avec moi.
Le deuxième point au bout d’un an, était de se connecter avec des réseaux asiatiques, dans les principaux pays. Ces réseaux étant les musées évidemment avec qui nous allons construire dans les années qui viennent des partenariats.
Le musée doit être le musée de tous les amoureux de la France et du musée Guimet, il a donc fallu attirer la philanthropie asiatique, dans une relation qui ne soit pas que celle de l’argent.
C’est pourquoi nous avons travaillé à ce que ces amoureux de la France soient, dans leur pays, nos ambassadeurs. Pour y arriver je dois donc les entrainer dans mon histoire, qu’ils y croient et qu’ils s’y retrouvent aussi.
En regardant les dix mois passés, l’intensité des rendez-vous que l’on a eu, que ce soit en Chine, à Hong-Kong, en Inde et en Asie du Sud- Est, nous irons prochainement au Japon et en Corée, j’ai le sentiment qu’une énergie collective est en train de se mettre en place.
Dès votre prise de fonction, vous avez annoncé vouloir relever trois défis. Redonner la notion d’excellence au musée tout en le laissant ouvert et accessible au grand public, développer des partenariats avec l’étranger et en particulier avec l’Asie et mettre en œuvre une politique d’action territoriale. Y-êtes-vous parvenue ?
Mon ambition est que Guimet soit et reste un musée d’excellence. D’excellence dans la présentation des collections, dans les acquisitions, dans le niveau de cette collection qui est la plus grande en Europe et la quatrième au monde, et en même temps ce musée du 21e siècle il faut que ce soit le musée des jeunes.
En Europe, les jeunes ne fréquentent pas beaucoup les musées. Depuis mon arrivée en Chine, je vois énormément de jeunes dans les musées, c’est pour moi, une priorité et nous nous mettons en ordre de marche pour y parvenir. Nous voulons aussi que ce musée devienne la maison de l’Asie, c’est pourquoi je veux donner envie aux touristes chinois, qui reviennent à Paris, de venir au musée Guimet. Nous allons donc traduire tous les documents de communication du musée en chinois, qui deviendra la troisième langue vivante au musée.
Lorsque je parle d’action territoriale qu’est-ce que ça veut dire ? Le musée Guimet est un musée national des arts asiatiques. Donc il faut qu’il existe évidemment dans ses bâtiments à Paris mais pas seulement. Aujourd’hui l’Asie intéresse beaucoup de Français. Un grand nombre de jeunes sont fascinés par l’Asie, les mangas, la K- pop, la Chine d’une certaine manière, les intrigue.
Ce musée doit donc aller au plus près des populations, là où il y a des communautés asiatiques, là où il y a déjà des collections d’art asiatique, nous devons amener dans différentes villes, des antennes du musée.
Vous souhaitez y introduire de l’art vivant ?
On va y introduire des objets et des œuvres du musée, sur une période de quatre ou cinq ans. L’objectif est d’amener un musée avec un accompagnement, une scénographie ou encore des ressources digitales, permettant d’aider, notamment les jeunes, à mieux comprendre et mieux contextualiser les œuvres.
Durant ces quatre ou cinq années, nous allons maintenir ce lien vivant en amenant, dans ces villes, des expositions temporaires, expositions que nous avons présenté à Paris.
Vous parliez des touristes chinois qui reviennent mais comment réussir à attirer le grand public français sur l’art asiatique ?
C’est un véritable enjeu. L’année dernière nous avons eu près de 200.000 visiteurs, mon objectif dans les cinq ans qui viennent est d’en avoir le double, au moins 400.000.
Pour y parvenir, nous devons être inventif dans notre programmation, connaître ce qui intéresse les jeunes, ce qui les rend curieux afin de mieux les amener vers les collections.
Par exemple, en 2025 nous prévoyons une grande exposition sur les mangas. Cela va nous permettre de leur montrer combien cet art s’appuie la tradition des estampes japonaises, c’est un moyen de leur faire mieux apprécier les collections anciennes.
Autre exemple, cet été nous avons inauguré notre « rooftop ». Aujourd’hui on ne va plus dans les musées simplement pour parcourir des milliers de m2 de galerie.
La pratique du musée a changé. On doit pouvoir arriver dans un musée, voir l’offre global, mais aussi glaner autour d’un café, pouvoir y manger, avoir une boutique pour acheter des choses. Il faut que le visiteur se sente dans un lieu social et culturel et qui évidemment propose des échappés vers les chefs d’œuvre universel. En fait, il faut pouvoir juste prendre le temps. Le temps de comprendre le lieu et d’aller vers ce qui nous plait.
En 2024 la France va fêter ses 60 ans de relations diplomatiques avec la Chine, quel va être le rôle du musée Guimet ?
C’est une véritable chance car cet anniversaire donne l’occasion au musée Guimet d’en faire une vraie année chinoise. Si nous voulons proposer à nos visiteurs un voyage en Asie, il faut que pendant une année le musée vive aux couleurs de ce pays.
La célébration des 60 ans est évidemment une opportunité pour nous et nous permet de faire venir de nombreuses expositions d’Asie. Nous aurons une grande exposition sur la dynastie des Tang, une exposition sur l’orfèvrerie impériale des Ming, un grand projet de design contemporain chinois, mais aussi de la cuisine, du cinéma ou encore de la musique. Donc, un programme important tout au long de l’année afin de capter la plus large audience dont les touristes chinois. Notre chance est que ce sera également l’année des Jeux Olympiques. Nous allons également, dès l’année prochaine, mettre en place une communication ambitieuse avec le lancement de comptes sur les réseaux sociaux chinois.
Que peut-on vous souhaiter ?
De trouver le budget pour mettre en application tout notre programme très ambitieux (rires). Nous sommes en bonne voie. Je dis souvent à mes équipes « Sky is the limit ». Mon travail de présidente n’est plus tant d’être un conservateur de musées que d’être une femme d’affaires qui arrive à négocier des partenariats qui nous permettent de rassembler les fonds nécessaires pour cette grande année chinoise à Paris.