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La passion n’a pas d’âge !

Ce matin, dans ma boîte de courriels, j’ai reçu le bilan Feng Shui (« vent et eau » en mandarin, prononcé « fung shway ») de notre appartement de Hong-Kong ! Je suis impatiente de découvrir les conclusions et les recommandations qui y sont faites ! 

Par Anne Suquet

 

Pour quelques tasseaux de bois !

Au cœur de Sheung Wan, dans un petit recoin de Queen’s road West, coincé entre deux commerces, dans son atelier de menuisier, le vieil homme fabrique inlassablement des palettes, des caisses de bois sur mesure destinées à protéger les marchandises fragiles à transporter. Ce jour-là, je parcours mon quartier, bien embarrassée par la requête de mon mari de trouver des tasseaux de bois d’épaisseur et de longueur bien spécifiques pour réparer une de nos étagères rescapées du dernier déménagement… C’est l’odeur de la sciure du bois et le cri de la vieille machine à scie qui m’ont conduite jusqu’à son antre tapissé de planches de bois de toute sorte ! 

Assis sur son tabouret, sous le regard bienveillant de ses défunts parents, le vieil homme fait sa pause déjeuner et aspire avec gourmandise ses noodles. Il ne semble pas étonné de voir une « western » passer le pas de sa porte en ce dimanche après-midi. Je comprends tout de suite que je vais devoir dépasser mon handicap : je ne parle pas le cantonais ! Mais, son doux regard stoïque me charme et me rassure. Nous nous comprenons très vite entre mes gesticulations et mes dessins maladroits. Quelques minutes plus tard, je repars, contente de moi, mes tasseaux sous le bras mais surtout heureuse de cette rencontre constitutive d’une autre facette humaine de Hong-Kong.

 

Il peint de l’or blanc !

A l’entrée, la petite dame au visage souriant me demande gentiment mais avec conviction de quitter mon sac dans un casier prévu à cet effet. Et pour cause ! Aux premiers pas posés dans sa caverne « d’Ali Baba », je comprends que je suis au royaume de la finesse, de la délicatesse, de la beauté fragile. Autour de moi, des couloirs étroits ne laissant place qu’à une seule personne à la fois sont habillés d’étagères croulant de petits trésors en porcelaine, des vases, des pots de gingembre, des plats, des tasses et des pots de plantes empilés du sol au plafond. Motivée initialement par mon envie de dénicher une porcelaine de Chine, je découvre aussi dans cet atelier un écrin d’histoire et de techniques propres à une famille. Depuis trois générations, l’entreprise Yuet Tung pratique un métier dont le sort semble désormais suspendu aux dernières mains expertes mais fatiguées du vieil homme installé, là, à sa table sous sa lampe de travail. 

Aujourd’hui, il ne reste plus que cet atelier, niché au troisième étage d’un bâtiment de la zone industrielle de Kowloon Bay. Et pourtant ! Dans les années 1960 et 1970, Hong-Kong abritait une industrie céramique florissante et l’entreprise Yuet Tung était en plein essor, avec trois usines à travers Hong-Kong et Kowloon. Le début de cette histoire entrepreneuriale familiale démarre en 1928 avec le grand-père. Il parlait bien anglais, ce qui était inhabituel à cette époque et surtout il était observateur ! C’est ainsi qu’il ne lui a pas échappé que la porcelaine était extrêmement populaire auprès des Européens et des Américains. Bien qu’il ne sache rien de l’artisanat, ce visionnaire décide de créer sa première usine. Rappelons que la Chine a longtemps détenu le secret de cet art fin et délicat. Pendant des siècles, nombreux furent les Occidentaux qui se rendirent en Chine afin de percer le secret de la porcelaine ! Nous savons désormais qu’elle doit sa réputation au Kaolin, une roche de composition argileuse très pure, extraite des carrières, qui permet d’obtenir cette porcelaine réputée pour sa blancheur que l’on baptise également « or blanc ». Il faut attendre 1769 pour que la France mette la main sur un gisement de kaolin, grâce à la découverte par un particulier, près de Limoges, d’une terre blanche et onctueuse utilisée par sa femme pour laver son linge !

Mais ! Revenons à ma quête initiale à l’origine de ma visite de l’atelier Yuet Tung ! Mon choix est difficile et je prends le temps d’arpenter plusieurs fois ces couloirs de vaisselles multiples et multicolores. Je remarque bientôt qu’une couleur domine : le bleu. Une couleur naturelle pigment bleu du nom de cobalt qui supporte bien la cuisson à haute température de 1300-1350 degrés. Le coup de pinceau initial est d’ailleurs décisif car le décor est peint sur le corps cru, avant son passage au four, ce qui ne laisse aucune place à l’erreur !

C’est décidé ! Mon choix se porte sur une série de 6 bols à noodles décorés d’une carpe ou d’une robe traditionnelle chinoise de couleur bleue. Cerise sur le gâteau ! Il est possible de passer commande et de personnaliser sa porcelaine chez Yuet Tung ! Cependant, il faut être patient car les mains expertes ne travaillent pas aussi vite que les machines à impression de l’industrie moderne… Ma commande sera prête dans un mois ! Je repars plus que satisfaite de ma commande et enchantée par cette rencontre avec des hommes et des femmes comme « hors du temps » qui survivent encore.

 

Maintenir la tradition !

Ces petits artisans rescapés des temps anciens sont tenaces et s’accrochent encore de nos jours à leur métier et à leurs compétences spécifiques. La construction de Hong-Kong s’enracine dans leurs métiers, leurs mains usées et leurs vies fascinantes. Survivants des temps anciens, ils disparaissent à leur tour lentement.

« Celui qui ne s’adonne pas aujourd’hui à la pratique d’un art ou d’un métier s’en trouvera mal. La science ne suffit plus, dans le rapide train du monde ; avant de s’être mis au fait de tout, on se perd soi-même. » Citation de Johann Wolfgang von Goethe. 

A méditer !