La Crète – À la croisée du mythe et de l’Histoire
De forme rectiligne et horizontale, la plus grande île de l’archipel grec est à la fois proche de l’Afrique et du Levant. La Crète recèle les germes de l’histoire occidentale. Zeus enlève Europe, la fille du roi de Tyr, puis s’envole vers l’île qui l’a vu naître et grandir. Forte d’être le berceau des Olympiens, la brillante civilisation minoenne y fleurit ensuite. Tout un continent est donc baptisé par le biais de la mythologie crétoise.
Par Christian Sorand
Plongée dans un environnement sec et ensoleillé, la Crète, montagneuse à souhait, est baignée par une Méditerranée si pure et si claire, que ses eaux turquoise et aigue-marine rappellent les lagons des mers du sud. Le paysage peut être rude, mais il conserve l’aura perpétuelle d’un passé mythique tendant parfois à se fondre dans l’histoire. Où commence le mythe ? Où se cache l’Histoire ? On ne sait jamais comment appréhender l’un sans l’autre. La montagne, la mer, la solitude et le calme sollicitent une illusion perpétuelle. Un mirage hante alors l’imagination de notre inconscient. La Crète est ce lieu magique dans lequel on se plonge sans jamais pouvoir distinguer le mythe du récit historique.
Pasiphaé, épouse de Minos, avait la réputation d’être une ensorceleuse à l’instar de Circé, sa sœur. Serait-elle la cause de ce trouble qui perdure depuis la haute antiquité ?
Aux sources du mythe et de l’Histoire
Tout commence avec le personnage emblématique de Zeus. Sa mère Rhéa, lasse des exactions anthropophages de Kronos, choisit l’île pour donner naissance à son sixième enfant. Au pied d’une montagne (est-ce le mont Dikti ou le mont Ida ?). Elle confie son nouveau-né à des muses et à une chèvre appelée Amalthée. Le jeune dieu deviendra le maître de l’Olympe. L’union de Zeus, ayant pris la forme d’un taureau, avec la princesse Europe se fait à Gortyne, au centre de l’île. Or ce lieu se situe à proximité du “palais” minoen de Phaestos. Trois frères verront le jour : Minos, Sarpédon et Rhadhamante. L’Histoire reconnaît ces personnages. Le palais de Knossos (près d’Heraklion) est attribué au roi Minos, tandis que Rhadhamante règne à Phaestos. Quant à Sarpédon, évincé, il s’exile en Asie Mineure où il défendra Troie, avant de périr dans un combat épique contre Patrocle. On pensait que Troie était un lieu mythique jusqu’à ce que l’allemand Heinrich Schliemann (1822-1890) en découvre les ruines. Sur la côte nord de la Crète, non loin du palais minoen de Matala, à l’est de Knossos, se trouve le petit village de Milatos. On racontait que des hommes originaires du lieu avaient fondé la colonie de Milet, en Ionie (côte ouest turque). Or, les archéologues ont effectivement pu établir une parenté avec la Crète !
On voit donc comment le mythe et l’Histoire se confondent parfois. Mais c’est peut-être tout simplement parce que le récit historique sert de support au mythe, expression poétique et imagée d’une réalité qui s’est ainsi propagée.
La Crète des paysages
Il se peut que le milieu naturel soit aussi à la source de l’imaginaire. La Crète est une terre sèche et ensoleillée, au relief rude et sauvage, mais où la mer n’est jamais totalement absente. Le mont Ida culmine à 2,456m à l’ouest, tandis que le mont Dikti, à l’est, est à 2,148m. La montagne isole l’homme, comme elle le sublime. Chaque civilisation possède son mont sacré. Par ailleurs, l’espace marin contribue à perpétuer la sérénité et l’imagination. Mer et montagne se côtoient en Crète.
Dans ce paysage dépourvu de verdure, l’olivier règne en maître. Mais à la différence d’autres îles méditerranéennes, de nombreux palmiers poussent en bordure de la côte. Vai, à la pointe orientale de l’île, est la seule véritable palmeraie d’Europe ! La légende raconte que des marins phéniciens, en escale, auraient jeté des noyaux de dattes sur la plage…L’imaginaire reprend le pas, une nouvelle fois. En réalité, il semblerait que le palmier crétois soit bien une variété endémique (Phoenix theophrasti). Il y a peu d’arbres certes, mais que de fleurs ! Le laurier rose (Nerium oleander) abonde partout, même le long des routes tortueuses et accidentées, où il forme une barrière végétale fleurie. On croise aussi des espèces tropicales comme des hibiscus ou des frangipaniers, et bien sûr des espèces méditerranéennes comme l’oranger ou le citronnier. D’ailleurs, souvent le long des plaines côtières du versant sud, des serres ont été créées pour alimenter le commerce des pays du nord de l’Union européenne. Malheureusement, la beauté du paysage s’en trouve parfois dégradée.
Les montagnes de l’intérieur forment une barrière climatique entre la côte nord et la côte sud. Le versant nord est plus venté, tandis que le versant sud est plus chaud et surtout plus sec. Au nord, il y a la mer de Crète ; au sud, la mer de Libye. D’un côté, comme de l’autre, la mer est d’une pureté sans faille. Les plages sont tantôt sableuses, tantôt couvertes de galets et parfois même de pierre ponce, vestige géologique de l’éruption volcanique de Santorin (Thera), vers 1,600 av. J.-C., responsable présumé de la chute de la civilisation minoenne.
Sur la côte nord, entre Héraklion et Malia, ou dans la région de Réthymnon ou celle de La Canée, l’industrie touristique a enlaidi les lieux. Mais fort heureusement, il existe encore des endroits paradisiaques : la plage de Vaï (déjà citée pour sa palmeraie), celle de Kato Zakros (à la pointe orientale), celles d’Agia Galini ou de Plakias, sur la côte sud, à la hauteur de Réthymnon. Sur la côte nord, à l’ouest de La Canée, la plage de Kolymvari ou celle de Kissamos sont superbes aussi. Mais les plages les plus sauvages sont celles de Paralia (pointe occidentale), ou encore celles du célèbre lagon de Gramvousa, seulement accessible par bateau, tout au nord-ouest de l’île.
La Crète des cités et des hommes
La montagne et la mer ne sont pas les seuls attraits de la Crète. Les hommes ont créé des villages et des villes irrésistibles.
Agios Nikolaos, dans le Lassithi, est une petite ville idyllique. Son port de pêche jouxte un bassin d’eau douce d’une profondeur exceptionnelle (64m). Dans la mythologie, on l’appelait le bassin d’Artémis ; de nos jours, son nom est le lac Voulismeni. Il est bordé de cafés et de restaurants. À proximité d’Agios Nikolaos, dans la montagne, le petit village de Kritsa reste l’un des plus beaux de l’île. Et un peu plus loin, sur les hauteurs, celui de Kroustas garde son authenticité d’antan. Si Agia Galini, sur la côte méridionale, a une belle plage, son village de pêcheurs, accroché à une falaise, mérite un détour.
Héraklion, la capitale, est une ville prospère et jeune, qui présente assez peu d’intérêt hormis son remarquable musée archéologique et la proximité des ruines de Knossos.
Cependant, La Canée, ancienne capitale et deuxième ville de Crète en importance, est inéluctable. La ville moderne a déjà un certain cachet. Mais la vieille ville est superbe. Elle est le réceptacle d’un passé multiple, surtout marqué par les Vénitiens, puis par les Ottomans. Des minarets turcs jouxtent des palais vénitiens. On se perd dans ses venelles comme si c’était un autre labyrinthe imaginé par Dédale. Quant à son grand port vénitien, on ne peut s’en arracher tellement ce lieu est magique. Le grand phare qui commande l’entrée du port évoque celui d’Alexandrie tel qu’on l’imagine encore.
La ville de Réthymnon a elle aussi conservé beaucoup de cachet. La vieille ville y est moins étendue, mais tout aussi captivante que celle de La Canée. Ici encore, le mélange des styles caractérise le pittoresque. Les encorbellements en bois des vieilles maisons turques jouxtent des palais vénitiens aux portes sublimes ; ici, c’est une église grecque blanchie à la chaux, et un peu plus loin, voici les coupoles et le minaret d’une ancienne mosquée turque. Réthymnon est dominée par un promontoire sur lequel a été bâtie une forteresse vénitienne massive, destinée à protéger son joli petit port.
La Crète est une île de soleil et de lumière, riche en histoire et en récits mythologiques. Il faudrait pourtant mentionner aussi les monastères, témoins d’un patrimoine orthodoxe d’une richesse incroyable. On peut en retenir trois. Celui de Toplou, à l’est de Sitia; celui d’Arkadi, dans la région du mont Ida, célèbre pour sa résistance contre l’envahisseur turc; enfin le très beau monastère de Gonia, accroché aux rochers de la péninsule de Rodopos, tout au nord-ouest de l’île.
Située à la croisée des chemins entre l’Orient et l’Occident, la Crète est tout autant façonnée par le relief que par l’Histoire. Elle n’en demeure pas moins un lieu typiquement grec au style de vie et à la cuisine légendaires. Mythe et Histoire continuent à faire bon ménage ensemble.
Bibliographie :
Crète, Le Petit Futé / La Crète, Guide Vert Michelin
Liens :
Heraklion Archaeological Museum: https://heraklionmuseum.gr/?page_id=1406&lang=en
Minoan Crete: Phaestos: http://www.minoancrete.com/phaistos.htm
Palace of Knossos: http://odysseus.culture.gr/h/3/eh351.jsp?obj_id=2369
Agios Nikolaos: https://www.agiosnikolaoscrete.com
La Canée: https://www.lacanée.fr
Rethymno: https://www.greeka.com/crete/rethymno/
Arkadi Monastery: https://www.greeka.com/crete/rethymno/sightseeing/rethymno-arkadi-monastery/
Gonia Monastery: https://www.cretanbeaches.com/en/religious-monuments-on-crete/monasteries-in-crete/monastery-of-odigitria-gonia-kolimvari