Chronique

La chronique de Stéphanie

Pied de nez

Deux bras, deux jambes, deux hémisphères (pour le cerveau), deux lobes (pour le foie), deux yeux, deux oreilles, deux gonades, deux narines…tiens pourquoi deux narines ? Pour sentir en relief ? En stéréo ? Une pour les bonnes odeurs et une pour les mauvaises ? Pour en avoir une de secours ? 

Par Stéphanie Delacroix

Non, non, non et… non, enfin si presque. Selon l’explication en vigueur ce serait pour qu’une (narine) respire pendant que l’autre se nettoie. Il y aurait un cycle nasal (d’une durée de deux à trois heures), pendant lequel la muqueuse de la narine qui se nettoie gonfle pour permettre davantage d’échanges avec le sang et le système immunitaire dans lequel elle relâche ce qu’elle a retenu pendant que c’est elle qui respirait à fond. On s’en rend compte la nuit (mais on dort) et quand on a un rhume (mais on s’en fout) et, si vous vous concentrez vous pouvez vous en rendre compte sans rhume et pendant la journée : une narine « marche » mieux que l’autre.

L’odorat est le mal aimé et le moins connu de nos cinq sens, d’ailleurs combien d’entre vous savent comment on appelle ses troubles ? Anosmie (absence totale), hyposmie (déficience), parosmie (perception erronée, on respire une rose et on trouve qu’elle sent l’œuf pourri), phantosmie (impression constante de mauvaise odeur). Ça vous en bouche un coin de naseau hein ? 

Pourtant du nez de Cléopâtre à ceux des Bourbons en passant par celui de Cyrano et de Pinocchio ce n’est pas comme si le nez ne se voyait pas comme, comme … le nez au milieu de la figure.

Les très nombreuses expressions (à vue de nez, une bonne quinzaine en français) font la part belle au pif, blair, tarin, blaze et ce dans toutes langues confirment son importance. Certaines sont trompeuses (trompe ?) même si les mots sont les mêmes, attention par exemple au nez en l’air / nose in the air, qui en français indique le manque de concentration et en anglais l’arrogance ! C’est étrange non ? Mais pas si étonnant… dans une langue qui a vu naître des expressions aussi bizarres que « a camel nose under the tent » (le début d’une suite inéluctable et déplaisante), « to be no skin off my nose » (ça ne me regarde pas) et « to cut of your nose to spite your face » (se saborder par fierté).

En indonésien les arrogant(e)s n’ont pas l’hidung en l’air : ils l’ont simplement… grand (besar). En français avoir le nez long existe aussi, mais ça veut dire être déçu, vexé, embarrassé… par exemple quand on s’est cassé le nez alors que l’on aurait dû réussir les doigts dans le nez, qu’on a raccroché au nez d’un(e) ami(e) avec qui on s’est mangé le nez parce qu’il(elle) essayait de nous tirer les vers du nez, de nous mener par le bout du nez, de mettre le nez dans nos affaires, ou parce qu’une bonne affaire vient de nous passer sous le nez. Rien à voir avec le nez fin ni le nez creux des petits futés.

En chinois, le nez 鼻子 est tout mignon bí zi (on dirait presque un baiser) et se prendre un vent, une veste, un râteau se dit 抹一鼻子灰 mo yi bí zi huī (se faire frotter le nez avec de la poussière). Les Chinois ont aussi une sorte de sciences de l’interprétation nasale prétendant prévoir l’avenir et le caractère de quelqu’un en fonction de la forme et de la taille de son nez, ce qui donne un sens supplémentaire à l’expression « avoir du nez ».

En japonais, le nez est le centre de pas mal de jeux de mots, puisque par une heureuse et jolie coïncidence son kanji (鼻) se prononce exactement comme celui de fleur (花) : hana. Par exemple pour dire qu’on préfère l’utile à l’agréable en japonais on peut dire : 花の下より鼻の下 Hana no shita yori hana no shita, plutôt sous le nez (dans la bouche) que sous les fleurs (d’un arbre), ce qui à l’oral peut aussi vouloir dire exactement l’inverse !

Allez, je m’arrête avant que vous ne piquiez du nez ou leviez le nez de ce magazine par ma faute. Je vous souhaite un mois de mai olfactivement satisfaisant, même si de mémoire ce n’est pas facile à Hong Kong en dépit de la traduction littérale de son nom…le port parfumé.