Evasion

La cérémonie de crémation du roi de Thaïlande

Lorsque le roi de Thaïlande, Bhumibol Adulyadej est décédé à 88 ans, après une longue maladie et 70 ans de règne, le 13 octobre 2016, une consternation générale s’est abattue sur le royaume. L’événement était attendu certes, mais redouté. L’affection du peuple thaïlandais pour son roi est bien réelle, même si d’une certaine manière elle a pu être orchestrée.

Par Christian Sorand

 

Surnommé le « Père de la Nation », le monarque avait œuvré sa vie durant à améliorer la vie rurale de son peuple. On lui doit en particulier une politique de retenues d’eau et d’irrigation destinées à améliorer l’agriculture du pays. Le roi avait également su éradiquer la culture du pavot, en créant une série de projets royaux destinés à intégrer les minorités ethniques du nord du pays. Une agriculture vivrière de qualité s’est mise en place pour fournir une panoplie de fruits, de légumes et de fleurs largement utilisés par l’industrie alimentaire ou hôtelière, apportant ainsi une prospérité durable aux peuples des montagnes.

Des générations de Thaïlandais n’ont jamais connu d’autre souverain que celui portant le titre de Rama IX. C’est donc sans surprise qu’une année entière de deuil national a été décrétée par la junte au pouvoir. Son corps a été embaumé pour permettre au peuple de venir s’incliner devant la dépouille du roi bien-aimé. Des millions de Thaïs ont alors défilé afin de lui rendre hommage. Le peuple a accepté de porter pendant toute une année la couleur noire du deuil civil (le blanc étant réservé au deuil religieux).

Pays de culture et de tradition, la Thaïlande a voulu honorer Bhumibol Adulyadej de manière exceptionnelle et à la mesure de son rang, dans un faste digne de celui d’un demi-dieu, jamais encore égalé.

On a donc choisi l’espace royal (Sanam Luang) faisant face au Grand Palais, pour y construire un monument destiné à glorifier sa mémoire et faciliter son passage aux sphères du paradis bouddhiste. Les meilleurs ouvriers et artistes du pays se sont mis à l’œuvre pendant une année entière pour édifier une réplique symbolique du mont Meru, axe du monde destiné au passage des morts vers le paradis des dieux selon la cosmogonie hindoue et bouddhiste. Le crématorium royal (Phra Meru Mas) était prêt quelques jours avant la date fixée, soit le jeudi 26 octobre 2017. Il faut noter ici que le roi est mort un jeudi et que la date de l’incinération a également été fixée un jeudi, treize jours après l’anniversaire du décès. Les Thaïlandais accordent une grande importance aux nombres et aux symboles. En Orient, le chiffre 9 a une valeur divine magique. Or le roi portait justement le titre de Rama 9. La forme carrée du crématorium représente les quatre directions terrestres, à l’instar des quatre divinités hindoues: Indra, Brahma, Narayana et Shiva. Haut de 50 mètres, le dais royal s’élève au quatrième étage du monument, entouré de huit dais plus petits, symbolisant les montagnes entourant le mont Meru. Si on y ajoute le dais central, réceptacle des cendres de Rama IX, on y perçoit un second symbole destiné à glorifier le défunt, neuvième en ligne dans la dynastie des Chakri, fondateurs de la quatrième cité royale de Bangkok-Rattanakosin (1). Un bestiaire de plus de cinq cents animaux mythologiques se trouve au pied du crématorium parmi lesquels on reconnaît les trois principaux: l’oiseau Garuda, le serpent Naga et le lion Singha. Autre symbole significatif : près de mille soldats en costume d’apparat traditionnel ont accompagné le cortège funèbre.

L’ensemble se devait d’être doré, car le jaune est la couleur du bouddhisme et l’or celle de la royauté. C’est d’ailleurs pour cela que la ville de Bangkok a été parsemée de fleurs jaunes quelques jours avant la cérémonie de crémation à laquelle une grande partie des têtes couronnées du monde entier assistait.

Il s’agissait bien d’un événement exceptionnel d’une grandeur éblouissante, à la mesure du personnage et du pays connu pour ses fastes et la beauté de ses monuments. Une tranche d’histoire unique qui risque fort de ne jamais plus se présenter, du moins avec autant d’éclat.

Autres références :

• Article en anglais très bien documenté du Bangkok Post : https://kingrama9.bangkokpost.com