Economie

Intelligence artificielle versus intelligence augmentée

Fondée en 2014 par le Français Augustin Huret, polytechnicien et mathématicien, la startup Mondobrain est à l’origine d’une technologie qui s’appuie sur l’intelligence artificielle pour aider à la prise de décision grâce à l’analyse de milliards de combinaisons. Mondobrain compte aujourd’hui 3.000 applications. 200 personnes travaillent pour la startup dont une quarantaine d’employés directs. Parmi les clients que Mondobrain accompagne, on compte 20% de services publics et 80% d’entreprises privées. L’objectif du fondateur, arriver d’ici un an à équilibrer avec 50/50 entre le privé et le public. Rencontre avec un entrepreneur hors du commun qui s’est fixé comme défi de rendre l’intelligence artificielle humaine et collective.

 

Propos recueillis par Catya Martin

 

Trait d’Union : Vous avez travaillé pour de grands noms, de grands groupes, pourquoi avoir décidé de quitter cet univers pour devenir entrepreneur ?

Augustin Huret :C’est la conjonction de deux choses : une satisfaction et une frustration.

La satisfaction est celle d’avoir, assez jeune, eu accès à des responsabilités importantes.

Je me suis retrouvé à un niveau où l’on est plus dans un rôle d’influence que dans un rôle de faiseur. Or, par nature, je suis un peu plus un faiseur.

L’entreprenariat est plus une dimension de faiseur.

La frustration a été très simple, j’ai fait des études scientifiques assez poussées, que j’ai beaucoup aimées et que j’ai quittées car je voulais toucher au concret, mais je me suis vite rendu compte que le concret en question était en fait de l’humain.

Finalement à partir du moment où j’ai quitté le monde de la recherche je n’ai quasiment plus touché à la dimension scientifique qui me plaît, une dimension intellectuelle.

Quand on y a un peu touché, on a envie d’essayer d’y revenir.

Et donc quand l’opportunité s’est présentée de pouvoir conjuguer les deux, c’est-à-dire pouvoir mettre en œuvre des choses qui conceptuellement m’intéressaient beaucoup et voir de vrais enjeux industriels et humains, j’ai immédiatement franchi le pas et suis devenu entrepreneur.

 

Vouloir donner du sens à des solutions liées à l’IA n’est-il pas un vœu pieux ?

Ce n’est pas un vœu pieu mais cela va un peu contre les grandes tendances de l’intelligence artificielle ces dernières années. Sur les 20 dernières années tout ce qui est autour des systèmes de reconnaissance interne, de profilage, est devenu extrêmement dominant. Cela non pas parce qu’ils ont été améliorés, car ce sont les mêmes algorithmes qu’il y a 30 ans, mais parce que les volumes sur lesquels on peut apprendre ont changé.

Ce changement s’est fait grâce Googleen particulier, avec des bases d’images plus importantes et du coup une capacité à entraîner ces algorithmes, les rendant de fait plus pertinents.

 

Par exemple ?

Une photo très floue d’un char posté derrière un arbre, l’humain mettra 20 à 25 minutes à se dire qu’il y a peut-être quelque chose à cet endroit là, l’algorithme va très vite vous dire « regardez là, il y a quelque chose ».

C’est très impressionnant. Du coup l’IA a été tirée dans cette direction-là, au contraire d’aller chercher du sens. Tout le monde a « fantasmé » sur le fait que l’IA pouvait être plus intelligente que l’homme dans un certain nombre de domaines, voire même que ça déclencherait des peurs.

 

Ce qui est logique non ?

Oui bien sûr. Ce sont des peurs légitimes et le dernier film Terminatora été visionnaire là-dessus. Skynet (NDLR : personnage de science-fiction présent dans la série de films Terminator),fait ressortir ces peurs, l’IA peut-elle prendre le pouvoir, le contrôle.

Est-ce que je contrôle encore ce qui se passe? Du coup aujourd’hui on associe l’IA à cette branche mais ce n’est qu’une branche.

 

Quelles sont les autres ?

L’autre branche s’est moins développée car technologiquement cela nécessite des connaissances mathématiques plus pointues mais moins dépendantes des bases de données.

Etant plus un philosophe du sens et un mathématicien qu’un informaticien, j’ai toujours cherché à comprendre et surtout à transmettre cette compréhension. On ne peut vraiment comprendre que lorsque l’on peut à son tour l’expliquer à une personne qui ensuite pourra transmettre également de son côté.

L’apport des beautés de l’informatique et des mathématiques à l’humain contribue aux progrès de nos sociétés en nous aidant à comprendre. C’est à ce moment précis que l’on construit des progrès dans la durée.

Si l’on continue à appeler intelligence artificielle uniquement les outils prédictifs sans se rendre compte qu’il existe aussi des parties prescriptives et d’intelligence augmentée, alors oui, il faut s’en méfier. Si la maturité générale s’enrichit et que l’on comprend qu’il y a effectivement ces deux banches, où chacune a sa place et son rôle à jouer, on peut rassurer.

L’intérêt de l’intelligence augmentée est de redonner la main à l’homme.

 

Doit-on avoir peur de voir ces données échangées ? Comment savoir si elles seront utilisées à bon escient ?

C’est une vraie crainte qui d’ailleurs est indépendante de la simple notion d’intelligence artificielle. Là il s’agit plus de liberté individuelle, c’est ce que la France gère avec la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Dans les aspects industriels et commerciaux, il y a à la fois beaucoup et très peu de données. L’historique de vos achats d’épicerie donné par votre banque sur les dix dernières années ne révèle pas d’informations alarmantes ou confidentielles.

Dans le domaine des réseaux sociaux – j’ouvre la porte pour la refermer aussitôt – chacun prend la responsabilité de donner ou pas des informations le concernant. En écrivant une information on sait qu’elle va partir sur les réseaux sociaux et va donc être diffusée largement. Là il y a des fausses craintes car c’est à chacun de décider s’il veut ou pas nourrir le système, système qui va ensuite exploiter cette information.

Le vrai sujet est l’utilisation éventuelle faite par les gouvernements de ces technologies, notamment dans les domaines de la sureté et de la sécurité.

 

C’est-à-dire ?

Les états veulent avoir un contrôle des déplacements des biens, des personnes et des communications téléphoniques, internet, géo localisation, écoutes téléphoniques, voire l’intégration de ces données en trois dimensions, c’est-à-dire la capacité dans des services spécialisés d’avoir simultanément la vue entre les trafics, au sens large, de biens, de personnes et d’informations.

Effectivement, cette vue centralisée des libertés, en tant qu’état dans son rôle régalien de défense de la nation, est un atout et un outil de travail extrêmement puissant pour anticiper, protéger, dimensionner et développer des politiques adaptées.

Là, il y a deux étages dans cette problématique.

 

Lesquelles ?

D’abord, culturellement les pays considèrent-ils que ces informations peuvent et doivent être exploitées au service de la sécurité nationale ?

Dans ce cas, nous avons aujourd’hui trois gros pôles qui sont paradoxalement sur la même longueur d’onde, à savoir les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Ils ont une vision globale et considèrent que leur rôle régalien est d’utiliser et d’agréger ces informations pour mieux protéger et défendre les citoyens, les libertés individuelles ou encore le régime politique et la stabilité de leur état.

Ensuite, il y a d’autres environnements dans lesquels soit pour des raisons de protection des libertés individuelles, et là la France est un bon exemple, soit pour des raisons de maturité des populations ou technologique, certains états n’ont pas la capacité à utiliser ces données.

 

Vous définissez l’intelligence augmentée au service de l’entreprise comme une intelligence artificielle associant l’humain et permettant une gestion de performance inégalée en toute transparence. MondoBrainserait la solution d’intelligence artificielle de référence qui simplifie la prise de décision de manière optimale.

En fait on agrège des mots derrière lesquels chacun a une définition différente. Mais il faut des mots pour manipuler ces concepts-là, c’est donc pour ça qu’on a mis en avant cette définition d’intelligence augmentée.

 

Donc l’intelligence augmentée c’est l’intelligence artificielle mais sous le contrôle humain ?

Oui, c’est bien ça. L’intelligence augmentée, n’est pas une IA complétée d’autre chose. C’est une approche du management, de la performance à travers les décisions que les humains souhaitent garder sous leur contrôle, le mot décision veut dire humain.

On est spécifiquement sur des environnements dans lesquels intentionnellement, politiquement et techniquement il faut garder le contrôle soit pour comprendre, soit parce qu’on est responsable, soit pour expliquer, soit parce qu’il y a des enjeux de réglementation, dans lesquels on souhaite contrôler, comprendre et maîtriser. Pour cela on peut avoir plein de raisons, des bonnes mais aussi des mauvaises.

Garder le contrôle, veut dire que l’on décide où on va, d’où on part et quelles sont les contraintes. C’est le point de départ de tout, c’est l’intelligence humaine.

Ensuite autour de cette intelligence humaine, nous ne sommes pas seuls à décider, on doit pouvoir intégrer le « où vont mes collègues », « d’où partent mes collègues » et « quelles sont leurs contraintes ».

 

C’est là que l’on retrouve la notion « collective », ajoutée à l’humain?

Exactement. Or quand plusieurs personnes interagissent et fournissent de multiples données comme information source, ça devient très vite compliqué.

Il faut savoir que le cerveau humain est perdu au-delà de trois ou quatre variables. Ce n’est pas une question d’intelligence mais juste que l’on réfléchit de manière géométrique, donc en trois dimensions.

Mondobrainva donc aider à simplifier le chemin en allant choisir, au sein de ces données, l’étape optimale, prenant en compte mes demandes.

C’est un peu comme si j’avais un petit génie sur l’épaule qui a tout vu, pas forcément tout compris, mais tout vu et qui est en permanence capable de me dire, « tu veux faire ça, donc ceux qui ont fait ça, dans telle situation, par le passé ont obtenu ce résultat ».

On prend ensuite l’information ou pas. Cela sert à nourrir les étapes de prise de décisions.

L’intelligence augmentée arrive à ce moment-là, pour savoir comment prendre en permanence le meilleur chemin de décision, en mettant dans les mains d’opérationnels des outils très simples.

 

Que veut dire une décision optimale ?

L’optimalité, c’est ce qui emporte le consensus. On pourrait penser que c’est ce qui apporte la plus grande performance mais non. Si ce qui apporte la plus grande performance est règlementairement impossible à mettre en œuvre et éthiquement pas acceptable voire en contradiction avec un enjeu stratégique, finalement la performance n’est plus forcément le facteur que l’on souhaite. Mondobrainest clair sur ce point, c’est une plateforme qui va permettre de réaliser en permanence la suite des décisions optimales et de leurs interactions.

 

Pour vous, l’intelligence augmentée permet, au lieu de corriger des problèmes, de les anticiper. Une sorte de coach qui conseille mais ne décide pas. Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement?

J’aime bien le mot « coach ». On entre dans une nouvelle génération le prescriptif, savoir le pourquoi et le comment. Et là, nous sommes tout à fait dans la dimension de coaching.

Le coach est au service des objectifs donc ce terme est bien adapté.

 

Aujourd’hui, quelle est votre motivation ?

Pour l’instant j’essaye de ne pas avoir trop d’idées et je veux focaliser mon énergie sur le développement de Mondobrain. J’ai trop souvent eu un bon produit mais pas forcément au bon moment. Là, la situation est différente, il y a un alignement d’étoiles, ce qui est assez exceptionnel, le marché est demandeur, il n’a pas trouvé de solutions qui réellement répondent à son besoin après avoir testé beaucoup choses. Notre solution est facile à mettre en œuvre avec des retours sur investissement quasi immédiat.

 

 

 

1Un moteur d’inférence (du verbe « inférer » qui signifie « déduire ») est un logiciel correspondant à un algorithme de simulation des raisonnements déductifs.