Chronique

Hong-Kong, L’année du Pangolin de métal

ça faisait un lustre que les mots-clés « Chine », « food market » et « chauve-souris » dans la même phrase n’avaient pas provoqué un petit frémissement sur l’épiderme.

Par Sven Larsonn / Sauvés par le Kong

 

En janvier 2020, derechef, ils affolèrent les algorithmes et le monde allait se faire submerger par une vague d’infos pandémiques puis par une pandémie d’infos vagues… Les journaux assourdissants autour de nous hurlèrent… En moins de 48 heures, alors que l’affaire Griveaux battait tambour en France, la pièce montée de l’ex-candidat à la mairie de Paris parut tout à coup moins épaisse d’un point de vue médiatique. La queue du Pangolin – révérence parler – lui fit tant d’ombre que tous ne causèrent plus que de ça; comme les Athéniens en leur temps de celle du chien d’Alcibiade.

On savait que cette nouvelle année du rat de métal ne brillerait pas par ses accalmies dans l’ancienne colonie britannique. Six mois plus tard si on regarde dans le rétro, on peut alléguer que ce qui ne nous a pas fait tousser, enfiévrer, suffoquer, faire la bise enfin, nous a rendus plus forts. Ténacité, résilience, sang-froid, capacité d’adaptation et d’anticipation, franche camaraderie et surtout le sacro-saint second degré sans lequel la vie est difficilement acceptable. Autant de ressources et de valeurs qu’il nous fallût apprendre de Hong-Kong et que j’éprouvais déjà plus jeune. Récit et tribulations confinées d’un gweilo en Chine. Enfin à Hong-Kong. Enfin on sait plus trop…

« Bonne année! Et surtout la santé. » Oui-da, on sait grand-ma, la santé c’est ce qu’il y a de plus important. Et tonton René de renchérir comme chaque année : « le reste, on s’en fout ». Un vrai visionnaire René. Quelques semaines plus tôt, je me souviens que la petite Juliette avait commandé au Père Noël des lingots d’or, un IPad et deux licornes. A aucun moment elle n’avait fait mention d’un fichu pangolin ou d’une chauve-souris viciée. Pourtant ça tombait dans la cheminée de l’actualité le 23 janvier à Hong-Kong au Princess Margaret hospital. Dans l’empire du milieu, Wuhan devint l’épicentre mondial de la pandémie. A l’heure où j’écris ces lignes on décompte – Horresco referens – plus de 700 000 morts. En janvier puis en février, il fallut toute sa raison garder. Son sang-froid aussi.

Il y a huit mois pourtant, il faut bien l’avouer, même depuis le port aux parfums, Wuhan nous paraissait bien loin et la « grippette » n’était qu’un ersatz bénin du H1N1. Retour en arrière, le dragonnant Chinese New Year commence pourtant tout sourire le 25 janvier. Même l’article de « Chine Information » dédié au signe astrologique pose formel: Le rat est « charmant, sociable, débrouillard, esprit vif, ambitieux, rusé ». Ça se goupille donc pas mal mais ça se complique quelques lignes plus bas; on sent l’esbroufe sur la catégorie « emploi idéal » : « conseiller financier, courtier, prêteur sur gages, avocat, pathologiste », purée c’est pas bon ça… Enfin la circonspection fait place au malaise arrivé a la case des « rats célèbres » : « Benny Hill, Bernard Henri-Levy, Black M ». Bon là c’est foutu.

C’est là que j’ai senti que les dieux chafouins allaient se montrer capricieux, c’est à ce moment là que j’ai saisi que certaines planètes rouges n’étaient pas alignées et qu’il y avait quelque chose de pourri au royaume de l’astrologie chinoise. « Les dieux du jouir savent seuls combien le réveil est annonciateur du jour » écrivait le poète Victor Segalen, aussi visionnaire que tonton René, mais c’était une chape de plomb en guise de stèle qu’on allait ramasser.

Insidieusement, écailleuse et rampante venait de pointer le bout de son museau musqué l’année du pangolin de métal. Gestes barrières, distanciation, gel hydro-alcoolique émailleraient désormais la discussion quotidienne… Tout comme les informations contradictoires d’ailleurs… Masque oblige, tohu-bohu aussi. Plus de masque oblige pour en laisser aux soignants, ramdam encore, finalement masque oblige mais pas de confinement coercitif, tintamarre bis repetita, attention nouvelles règles de distanciation, cacophonie toujours… En mai, le cœur vaillant bat en nous dans l’action – on se découvre les coups de fil en visio-mosaïque. Joie. On tente une polyphonie a capella sur Heal the World. Tentative rapidement avortée et il n’en reste aucune trace, on a vérifié. Rires nerveux puis déconnexion, l’amitié 2.0 a ses limites. Michel a voulu trinquer sur l’écran, son clavier puis l’ordi ne lui ont pas pardonné le sauvignon écoulé, déconnexion abrupte pour Michel. Il nous fallait sortir de cette crise au plus vite et pas que pour Michel.

Le 5 février, le personnel soignant se mettait ainsi en grève réclamant la fermeture des frontières, présageant l’ampleur du cauchemar et se souvenant surtout qu’il avait suffit d’un Mexicain de 25 ans en transit par Shanghai pour provoquer plus de 30.000 infections de SRAS en 2009 et marquer durablement les consciences (Sur 800 morts dans le monde, Hong-Kong en comptabilisait alors 299, principalement dans le personnel soignant). Les infirmières et le bon sens furent entendus, fort heureusement. On n’ose imaginer les conséquences d’un afflux de cacochymes quinteux en provenance de la mère patrie dans les hôpitaux du coin. Carnage à tous les étages. 

Comme d’habitude, comme quelques heures après le typhon force 10 Mangkhut l’an passé, Hong-Kong a géré, Hong-Kong a stabilisé, repris le contrôle et sans crier victoire. Avec efficacité, transparence et dignité. quatre morts recensés (75 depuis août…) et des services de réanimation jamais pris au dépourvu. Heureusement à l’ouest il y a eu du nouveau, on était sauvés puisque la panacée miracle fut découverte alors. Grosse marrade oblige, Didier Raoult aussi. Tant du côté taf que du côté humain les mois qui suivirent jusqu’à aujourd’hui furent les mois de la ténacité, d’un certain fatalisme qui se soigne, de l’abnégation, de la capacité d’adaptation et de la résilience face au décompte des morts quotidiens. Hong-Kong est Nass en ce sens. Celine parlait de New-York comme une ville « debout » dans le Voyage au bout de la Nuit, Hong-Kong est une ville qui se relève. Toujours. Vous verrez.