Hammamet : un balcon marin empreint d’une douceur toute tunisienne
Qu’il est difficile de ne pas succomber au charme d’une baie bénite par la quiétude ensoleillée de la Méditerranée ! Les oliviers laissent place à la grâce des palmiers dans une féerie de bougainvillées aux mille et une couleurs. Une longue plage de sable doré, baignée par une onde transparente et sans vague, invite au farniente. On pense à Ulysse. Et si de surcroît on porte aux lèvres la douceur fondante d’une « douglet nur », on baigne alors dans l’illusion d’être au pays des Lotophages. Les marins cèdent ainsi au chant des sirènes.
Par Christian Sorand
Le pays des « mangeurs de lotus » n’est pas à Hammamet. Il est plus au sud, sur l’île de Djerba. Ce n’est pas non plus le balcon du « Café des délices (1) ». La chanson de Patrick Bruel évoque pourtant des « soirées de fête / Qu’on faisait dans nos têtes / Aux plages d’Hammamet ». Il faut simplement interpréter l’idylle. Sous l’intense lumière du golfe, Paul Klee exprimait déjà l’enchantement du lieu : « La couleur et moi ne faisons qu’un. Je suis peintre ».
Quelle est donc l’essence de cet envoûtement qui a subjugué tant d’hommes célèbres venus se poser sur ce rivage ?
La réponse est multiple. Au gré des touches d’un tableau impressionniste, des mots s’accumulent : la mer, le soleil, la lumière, la végétation, des parfums exotiques, la blancheur des murs, des barques de pêche nichées dans le sable, un parfum d’Orient mêlé de saveur méditerranéenne, des couchers de soleil sur le golfe, des fruits à profusion, et surtout une remarquable nonchalance. L’apparente modernité d’une station balnéaire branchée masque le charme unique d’Hammamet.
Un héritage culturel multiple
Le modernisme est un leurre. En fait, le site était peuplé dès le Ve siècle av. J.-C par les Numides, puis par les Carthaginois. Les fouilles archéologiques locales de Pupput portent surtout une empreinte romaine. Il s’agissait de la plus grande nécropole d’Afrique du Nord ! Curieusement les vestiges des thermes romains sont à l’origine du nom d’Hammamet. Tout au moins, par le biais de la langue arabe où le mot hammam désigne un établissement de bains de vapeur. Or, hammamet en est le mot pluriel désignant dorénavant le lieu.
Autrefois, on appelait cette région la Bysacène. C’était le « grenier à blé » des Romains. L’arrivée des troupes arabes en l’an 678 marque le début de l’islamisation du territoire. La ville passe alors sous le joug d’une succession de nouveaux arrivants : une première invasion normande, puis hilalienne. La mosquée de la médina date du XIIe ; les remparts sont érigés au XIIIe.
Au XIVe, le site devient un repaire de pirates persans d’abord, catalans ensuite.
Aux XIVe et XVe, les remparts sont consolidés. Les Espagnols arrivent, suivis par les Ottomans (1463-740) qui construisent une médina fermée par trois portes et la Casbah sert de résidence au gouverneur de la cité. Des réfugiés andalous, chassés du sud de l’Espagne débarquent au XVIIe.
En 1881, la ville passe sous le protectorat français jusqu’à l’indépendance de la Tunisie, le 20 mars 1956.
Cet héritage historique a fait d’Hammamet une ville cosmopolite avant l’heure. Sa véritable renommée internationale commence toutefois dans les années 1920.
Au cours d’un voyage, le millionnaire roumain établi à Paris, Karl Gheorge Sebastian, tombe amoureux d’Hammamet. Il décide alors de s’y établir en hiver. Sa villa sera l’œuvre du célèbre architecte américain Frank Lloyd Wright. C’est aujourd’hui le site du Centre culturel international. La renommée d’Hammamet commence alors, même si les peintres allemands Paul Klee et August Macke y avaient déjà séjourné en 1914. Des écrivains de passage la citent avec éloquence: Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, André Gide, Oscar Wilde, Jean Cocteau. Puis ce sont des monarques : le roi George VI (1895-1952), Edward VIII – prince de Windsor (1894-1972) – et son épouse américaine, Wallis Simpson (1896-1986).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le général Rommel (1891-1944) établit son quartier général dans la villa de Georges Sebastian, suivi plus tard, par deux généraux : l’Anglais Montgomery (1887-1976) et l’Américain Eisenhower (1890-1969). Quant à Winston Churchill (1874-1965), il viendra y écrire ses Mémoires.
Une infrastructure hôtelière de premier choix
Les revirements de l’histoire entachent sa renommée. Au cours des premiers soubresauts du « Printemps tunisien », les villas des membres de la famille du Président Ben Ali sont démantelées par un peuple en colère. L’attentat du musée du Bardo (le 18 mars 2015) et celui d’El Kantaoui, près de Sousse (le 26 juin 2015) ont alors porté un coup fatal au tourisme régional. Les blessures semblent maintenant cicatrisées et les touristes retournent progressivement aux plages d’Hammamet.
La douceur de vie, caractéristique de la Tunisie, a repris ses droits. Fort heureusement, la station a conservé une infrastructure hôtelière de premier ordre.
Si son charme est méditerranéen, sa modernité conserve une empreinte tunisienne. La blancheur des murs avec le jasmin et le flamboiement des bougainvillées, ponctuant le bleu des portes orientales caractéristiques. Le boulevard du front de mer, orné de grands palmiers, s’ouvre sur une vaste plage de sable doré servant de havre aux bateaux de pêche. Le soir venu, on y contemple les couchers de soleil avant de s’asseoir à la terrasse d’un café ou d’un restaurant. Les poissons frais grillés sont au menu, voire l’emblématique « couscous aux poissons » tunisien. L’atmosphère marine se double d’une touche locale. La petite médina s’abrite ici même derrière les hauts murs de la Casbah. Tout visiteur se doit de parcourir le ravissant labyrinthe de ses ruelles immaculées. Après les incontournables vendeurs de souvenirs, on appréciera le calme d’un univers irrésistible. Quelques étrangers y ont élu domicile, des artistes aussi. On en comprend vite la raison. C’est vraisemblablement l’une des plus jolies médinas du pays. L’atmosphère est identique à celle des îles grecques.
Une soixantaine de kilomètres séparent Hammamet de Tunis. La ville compte environ 75.000 habitants, mais en saison la population peut tripler. Hormis la partie traditionnelle, dotée de quelques beaux hôtels, il existe deux autres zones où le tourisme s’est surtout développé. Hammamet-Nord s’étend le long des plages allant vers Nabeul. Yasmine Hammamet, à 5km plus au sud, est devenue une imposante station balnéaire aux nombreux hôtels de luxe. Cet ensemble est doté d’une vaste marina avec des magasins, des cafés et des restaurants formant un espace piétonnier conçu pour le bien-être des vacanciers. La station a même un parc d’attraction et une patinoire !
Une autoroute, reliant la capitale au sud du pays, contourne la zone urbaine d’Hammamet. Il est donc facile de partir explorer les environs au cours d’un séjour balnéaire.
Une porte ouverte sur une région exceptionnelle
L’arrière-pays ne manque pas de pittoresque. Entre Tunis et la côte orientale, des vignobles produisant des cépages locaux comme le Magon, le Mornag, le Shadrapa ou le muscat sec de Kélibia. La région agricole se prête aussi à l’aviculture, mais surtout aux plantations d’oliviers, de citronniers et d’orangers. Les terres fertiles du cap Bon ont été exploitées pour une agriculture maraîchère traditionnelle depuis les époques puniques et romaines.
Promontoire d’environ 80km de long, sur seulement 30 ou 50km de large, le cap Bon ferme le canal de Sicile, éloigné de 150km seulement.
Nabeul, ville voisine d’environ 60.000 habitants, est célèbre pour ses céramiques bleues et blanches. Au nord, Kélibia possède un petit port de pêche où on peut parfois voir des bancs de dauphins. Une formidable forteresse surplombe l’agglomération et les superbes plages environnantes. À une douzaine de kilomètres plus loin, on arrive au site archéologique de Kerkouane. Épargnée par les Romains, cette colonie punique du IIIe siècle av. J.-C., est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Tout au nord, la bourgade d’El-Haouaria, est connue pour le festival des faucons tenu en juillet. Ces rapaces peuplent les rochers du Djebel Abiod, dominant la mer du haut de ses 390m. Par endroits, les falaises sont percées de grottes datant de l’époque romaine.
Hammamet n’est pas simplement une station balnéaire surfaite, composée de villages de vacances et de grands hôtels. Le lieu conserve un charme légendaire, où la couleur locale fusionne avec le modernisme. À la croisée des chemins entre l’Orient et l’Occident, l’histoire de la Tunisie a façonné un peuple unique, dont l’accueil et l’esprit sont les caractéristiques. Un séjour en bord de mer n’exclut nullement le charme d’une découverte pouvant satisfaire les goûts de tout un chacun. Ainsi, que ce soit le passé, la culture, l’artisanat ou les saveurs orientales, le visiteur est-il assuré y trouver son compte. Outre les escapades déjà évoquées, on pourrait mentionner le zoo africain de Friguia, le spectaculaire nid d’aigle berbère de Takrouna, l’aqueduc romain de Zaghouan, la ville historique de Sousse, et même la visite de Kairouan et de sa célèbre mosquée.
Bibliographie
Tunisia, Lonely Planet, 4th edition, ISBN 978-1-74059-920-7
Liens
http://regard.ro/en-tunisie-lhistoire-perdue-de-george-sebastian/
https://whc.unesco.org/fr/list/332/
- Sidi Bou Saïd, Trait d’Union Magazine, juin 2014.