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Emily Hahn et Shao Xunmei, les amants de la décadence chinoise

 

S’il est une histoire d’amour qui symbolise, selon moi, les années 1930 en Chine, c’est bien celle de la journaliste et romancière américaine Emily Hahn et du poète chinois Shao Xunmei.

Par Didier Pujol*

La rencontre entre l’Est et l’Ouest

Emily Hahn est née en 1905 à St Louis Missouri. Très tôt, elle fait montre d’un esprit indépendant en devenant en 1924 la première femme ingénieur des mines, défi qu’elle s’est fixé, alors qu’elle ne pense en fait qu’à écrire et découvrir le monde. Après une traversée des Etats-Unis grimée en homme, elle vit pendant deux ans en Afrique dans une tribu pygmée. Ces expériences servent de base à ses romans et articles publiés dans les grands quotidiens. En 1935,  alors qu’elle voyage en Asie, elle fait escale à Shanghai, étape qui durera finalement sept ans. La jeune femme est tombée amoureuse de cette ville multiculturelle. Bien que fréquentant la bonne société, elle préfère s’installer près des lieux de prostitution pour nourrir sa soif d’écriture. Elle noue une première relation avec le magnat Victor Sassoon, fondateur du Peace Hotel, puis rencontre Shao Xunmei qui va bouleverser sa vie.

Né en 1906 à Shanghai dans une famille issue de la Chine classique, Shao Xunmei étudie à Cambridge et à Paris aux Beaux-arts. Impressionné par l’effervescence intellectuelle des années folles, il commence à écrire des poésies et devient pour beaucoup le Verlaine chinois, chef de file d’un mouvement de synthèse entre Est et Ouest. Il est éditeur de « Shanghai Sketch », magazine artistique avant-gardiste d’essais et de caricatures d’inspiration surréaliste. Il fréquente alors Georges Bernard Shaw et le peintre mexicain Miguel Covarrubias.

Une relation à trois

Shao Xunmei fascine Emily Hahn par son exotisme et sa culture qui synthétise à ses yeux ce que l’Asie et l’Europe ont de plus excitant. Il ne tardera pas à initier Emily à l’opium, habitude à laquelle l’américaine s’adonne sans retenue. Sur le plan littéraire, les deux artistes collaborent, elle vendant des articles alimentés par la vie fascinante de son amant, devenu Mr Pan sous sa plume, et lui se servant de cette relation comme d’un passeport vers le monde occidental. En parallèle, Emily Hahn s’affiche toujours avec Victor Sassoon, qui lui reproche surtout d’”étaler sa vie sexuelle sur la place” ou de « devenir trop chinoise ». A cette période la romancière se promène accompagnée d’un petit singe vêtu d’une redingote qu’elle appelle « Mr Mills », renforçant encore sa réputation d’extravagance. Avec l’entrée en guerre du Japon, cette insouciance disparaît et le rêve interculturel représenté par Shao Xunmei s’effrite. La maison familiale du poète est bombardée et Emily lui propose un mariage afin de le protéger. Il est déjà marié mais la polygamie est autorisée par les lois chinoises aussi Emily devient-elle officiellement sa seconde femme. Malgré le parfum de scandale qui entoure cette union, ils vivent ainsi deux ans.

Mais Emily se rend de plus en plus souvent à Hong-Kong, attirée par un autre homme marié, le flamboyant Charles Boxer, spécialiste de l’histoire de la colonisation portugaise en Asie et également chef du renseignement britannique. Celui-ci sera interné par les Japonais en 1941 puis divorcera à la libération pour épouser Emily. Ils auront ensemble une fille mais le caractère indépendant de la romancière la conduira finalement à vivre à New York, laissant Charles Boxer seul en Angleterre. Shao Xunmei, quant à lui, sera happé par la tourmente maoïste, travaillera comme traducteur avant de mourir pendant la révolution culturelle, usé par les privations et brimades.

L’idylle improbable entre Emily Hahn et Shao Xunmei s’inscrit dans une phase intense de l’histoire de la Chine. Les deux personnages vivent alors jusqu’au bout une relation nourrie par une quête de modernité. Même si les événements historiques ont finalement raison de cette recherche d’absolu, cette relation est la marque d’une période où les anciens codes volent en éclats et qui continue pour cela de fasciner.

Pour en savoir plus, je recommande le livre de Taras Grescoe « Shanghai Grand » ou les mémoires d’Emily Hahn « China to me ».

*Historien-Conférencier

www.chinaworldexplorers.com