El invierno » : une métaphore sur l’hiver que traverse le monde…
« El invierno », l’opera prima du réalisateur argentin Emiliano Torres n’était pas encore sorti en salle qu’il était déjà couvert d’éloges et de prix. Primé dans les festivals européens de San Sébatian (Espagne), Toulouse et Biarritz (France), il a également été projeté lors de la 12ème édition du festival du film de Zurich qui a lieu du 22 septembre au 2 octobre. Et le 13 décembre dernier il a été désigné « meilleur film » lors de l’International Film Festival & Awards de Macao. Sorti en salle en Argentine le 6 octobre dernier, « El invierno » a été projeté en avant-première à l’Alliance française de Buenos Aires en octobre 2016, quelques jours avant sa sortie officielle dans les salles argentines. Nous avions rencontré Emiliano Torres à Buenos Aires pour une interview entre deux avions.
Propos recueillis par Graziella Riou
Trait d’Union : « El invierno » est un film intimiste voir introspectif qui se passe dans un milieu hostile, il fait référence à une histoire personnelle ?
Emiliano Torres : Non ! Je suis totalement Porteño (ndlr : habitant de Buenos Aires), mais d’avoir toujours vécu en ville et dans des petits espaces a développé chez moi une fascination pour les grands espaces ouverts et les voyages et j’ai toujours été fasciné par l’immensité de la Patagonie et ses horizons infinis et grâce à mon travail comme assistant de direction pendant 21 ans j’ai beaucoup voyagé.
La Patagonie que vous avez filmée s’impose comme le 3ème personnage du film entre le vieux contremaître et son jeune remplaçant, que représente-t-elle ?
Cette zone de la Patagonie est la moins connue. Elle est située au sud ouest de Santa Cruz, il n’y a pas de baleines, pas de pingouins ni de lacs, c’est une zone de travail, rurale avec un climat très dur mais qui pour moi a une beauté unique et ça m’intéressait de filmer ce lieu, mais pas pour en faire un film de paysage. Le défi était d’incorporer le paysage comme un personnage du film mais de manière naturelle parce qu’il est important dans la vie des habitants.
Comment s’est passé le tournage ?
Les conditions ont été très difficiles avec sept heures de lumière par jour, un vent qui soufflait à 80km/h qui rendait fou le preneur de son et affectait l’humeur de toute l’équipe. Il n’y avait pas de signal pour le téléphone, pas d’internet évidemment. Ce fut un vrai exercice d’adaptation mais ça m’a obligé à faire du cinéma de manière essentielle, sans sophistication. Nous avons eu deux semaines de tournage en hiver et quatre en été, mais nous avons dû interrompre le tournage au milieu à cause des conditions météo ce qui n’est pas habituel dans le cinéma. La postproduction a duré un mois et la sonorisation et les effets spéciaux deux mois. C’est un Français qui a écrit la musique, Cyril Morin et la finalisation des effets spéciaux a été faite par la société Com-une-image. Et c’est grâce à la co-production avec Orange et Cité Film qui se sont engagés sur la base du scénario que nous avons pu faire le film, ce qui est inédit s’agissant d’une première oeuvre.
Ce film raconte une histoire de relève, de jeunesse et de vieillesse, de lutte pour la vie … Les rôles sont incarnés par deux acteurs très différents, d’où viennent-ils ?
Il y a le vieux régisseur qui après 40 années passées – dans une solitude quasi-absolue – à s’occuper comme si c’était la sienne de cette estancia, est « remercié » sans état d’âme par le propriétaire mais comme il est habitué à donner des ordres comme à en recevoir il fait son sac en 10 minutes et il s’en va. Il est interprété par l’acteur chilien, Alejandro Sieveking. C’est un très grand acteur et j’avais besoin d’un comédien qui soit capable de mimétisme avec l’environnement et le paysage et Alejandro réunissait ces caractéristiques. Et il y a son « remplaçant », le jeune paysan qui vient du Nord, qui a menti en assurant qu’il n’avait pas de famille afin d’avoir le travail et qui n’est pas habitué à la solitude ni au froid qui lui est interprété par un jeune acteur argentin originaire de la province de Missiones.
Le vieux régisseur ne ressemble pas aux régisseurs que l’on peut croiser dans le campo argentin, c’est délibéré ?
Non c’est la réalité. C’est une particularité de la Patagonie argentine qui basiquement a été peuplée par des fils d’émigrants anglo-saxons et les régisseurs sont presque tous d’origine anglaise, galloise ou écossaise. Mais si les traits et l’aspect de ce vieux sont européens, sa réalité est toute aussi dure et triste que celle du péon qui vient de Corrientes.
Avec ce premier long métrage, vous nous racontez bien plus qu’une histoire de passage d’une génération à l’autre…
Cet hiver c’est comme un test pour ces deux hommes qui doivent survivre, et cela n’a pas seulement à voir avec le fait de passer ce cycle de temps particulier, de ce moment difficile de l’année et dans la vie des personnages mais en extrapolant cela peut être vu comme une vision de ce moment du monde dans lequel nous vivons, je sens que l’on est en train de traverser un hiver…Ce que décrit ce film c’est aussi une métaphore de la façon dont s’est construit ce pays. Ce sont deux personnages issus de deux régions très éloignées l’une de l’autre et qui luttent pour un travail misérable. Un travail qui consiste à s’occuper d’un lieu dont le propriétaire n’a pas de nom et qui pour ainsi dire n’existe pas, qui est absent. D’une certaine manière ça a à voir avec la construction de l’identité argentine, nous sommes de passage sans savoir réellement qui nous sommes, ni à qui nous ressemblons. Et je crois que cette contradiction définit assez bien l’argentin !