Tranche de vie

Douce France

Pandémie oblige, je crois que cet été, les carottes sont cuites pour nos vacances en France. Loin des yeux, loin du cœur, ce vieux dicton ne s’applique pas à l’amour d’une patrie.

Par Perrine Tavernier *

 

« Je voudrais n’être pas Français pour pouvoir dire

Que je te choisis, France, et que, dans ton martyre,

Je te proclame, toi que ronge le vautour,

Ma patrie et ma gloire et mon unique amour ! »

Poème A la France, Victor Hugo

 

Je n’ai jamais été un modèle de patriotisme. Quand nous vivions en France, j’étais plutôt tout le contraire. Je me désolais à chaque réforme décidée et aussitôt avortée par les gouvernements tantôt à gauche, tantôt à droite, tantôt on ne sait plus…. J’étais consternée par cette classe moyenne fauchée et assommée par les impôts, affligée par le concept des travailleurs pauvres, écœurée pour ces retraités humiliés, ayant travaillé toute leur vie pour finir par se serrer la ceinture… Tel était mon état d’esprit.

Lorsque nous sommes partis, la petite lueur pour ma patrie était presque éteinte…

 

Nous n’avons pas quitté la France pour partir chez nos voisins européens. Nous avons changé de pays, changé de continent, d’océans, d’heures… On a tout changé et à notre arrivée, plus rien ne nous rappelait la France, ni la météo et encore moins la culture. Hormis la nourriture, les jours passaient et rien ne me manquait.

Ce sont les semaines et les mois qui ont commencé à me faire tendre l’oreille dans la rue quand j’entendais parler français. Le déclic s’est produit avec mes voisins hongkongais croisés dans l’ascenseur. Ils m’ont demandé : « Where do you come from ? ». Désabusée, j’ai répondu : « France ». Dans un certain frankongais, ils ont prononcé des mots comme : « Tour Eiffel », « Côte d’Azur », « macaron », « escargots » leurs yeux pétillaient et à vrai dire, les miens aussi.

Ce jour-là, j’ai compris qu’il était « grand temps de rallumer les étoiles » (1).

 

J’ai ouvert les yeux sur le rayonnement de mon pays.

 

J’ai pris conscience que le charme de la langue française dépassait bien nos frontières. Certains promeneurs affichent fièrement des inscriptions tels que « jardin », « beauté intérieure » ou l’indétrônable « je t’aime » sur leur tee-shirt. Je passe sur certains messages dont je ne suis pas convaincue que le propriétaire du tee-shirt sache exactement ce que cela signifie…

Je me suis attardée sur les vitrines des boutiques françaises. A Hong-Kong, elles se démarquent vraiment. Leurs emplacements sont toujours de choix, elles affichent souvent trois étages de bijouterie, maroquinerie, prêt à porter, haute couture. C’est beau, c’est raffiné, c’est élégant. Je n’ai pourtant jamais mis les pieds chez Channel, Hermès ou YSL lorsque je vivais à Paris.

Tous les beaux hôtels de Hong-Kong affichent la carte d’un restaurant français et les petits bistrots épicuriens ne sont pas en reste. Quant à la carte des vins, elle suggère très souvent (toujours) la France en premier choix.

En fait, les Français sont un peu partout à Hong-Kong : en finance, en infrastructure routière et aéroportuaire, même le tram est entretenu par une filiale de la RATP. Je précise qu’il fonctionne.

 

C’est ainsi que le mal du pays est apparu.

 

En France, je me concentrais sur ce qui ne fonctionnait pas (et qui ne fonctionne toujours pas) mais il y a bien des choses où le savoir-faire français reste inégalé. Dans bien des secteurs, les Français sont présents. Nous ne sommes pas tout le temps les meilleurs mais nous sommes là.

 

Alors pour surmonter ce manque de mon pays, au-delà de la cure de fromage et de saucisson, je me suis mise à faire des choses que je n’avais jamais faites.

 

J’ai acheté un petit drapeau bleu, blanc, rouge que je n’ai pas hésité à brandir lors de la coupe du monde de football en 2018. J’ai affiché en grand format la carte de la France dans la chambre de mon fils aîné. J’ai presque eu envie de fêter le beaujolais nouveau.

Pour le 14 juillet, nous sommes généralement en France pour voir les feux d’artifice avec les enfants. Certes, c’est la fête mais de là à ouvrir une bouteille…

 

Cette année, nous ne rentrerons probablement pas. Il n’y aura ni défilé, ni Marseillaise, ni feux d’artifice.

 

On va donc sortir la bouteille et peut être même le foie gras pour célébrer comme il se doit notre fête nationale loin de la France.

Bel été à tous et vive la France !

 

  1. Extrait du poème “Les mamelles de Tirésias » de Guillaume Apollinaire.