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Des bancs de Victor Segalen aux scènes londoniennes

Née à Bruxelles en 1998, Lena Morris, de son vrai nom Hélèna Ekmekdje, vient d’une famille française aux origines russes et arméniennes. La Belgique, la France puis l’Espagne seront ses terrains de jeux d’enfant. A l’âge de sept ans, c’est le grand départ vers l’Asie, pour celle qui était encore Hélèna. Destination Hong-Kong où la famille vient s’installer. Elle y restera 11 ans, aux côtés de ses parents et de son frère jumeau, Alex. Une scolarité au lycée français, Victor Segalen puis, le bac littéraire en poche, c’est en Angleterre qu’elle décide de poser ses valises pour se consacrer à sa passion de toujours, la musique. C’est à Brighton, dans le sud de l’Angleterre, qu’elle s’installe pour étudier la musique à l’université du Sussex. C’est là que la jeune fille devient Lena Morris. Son nom de scène lui vient tout naturellement de ses deux surnoms. « Lena est simplement le diminutif très russe d’Hélèna, et Morris s’inspire de Maurice, le surnom donné par mes proches pour moquer mon côté garçon manqué », explique-t-elle. « La musique, je suis tombée dedans toute petite », indique-t-elle. Sa mère professeure de théâtre et restauratrice de meubles. Son père est musicien multi-instrumentiste, ancien élève du conservatoire de Versailles. Son frère jumeau Alex l’accompagne à la guitare pour ses premiers pas sur scène. Son grand-père maternel était comédien, et son arrière-arrière grand-père paternel était célèbre en Arménie, à la fin du 19e siècle, pour la création d’une chanson restée populaire dans le folklore arménien. A 21 ans, Lena sort son cinquième single avec un thème universel pour les femmes : le manque d’estime de soi. Rencontre avec une artiste engagée qui ajoute à son blues un soupçon d’accent français qui la singularise sur la scène anglaise. 

Par Catya Martin

Trait d’Union : La musique est-elle aujourd’hui votre seule passion ? 

Lena Morris : Depuis toute petite, la musique a été pour moi une passion parmi d’autres, comme les arts graphiques, les chats, les chevaux. Mais depuis quelques années, la musique est devenue autre chose : un métier, avec son lot de discipline, de contrariétés, d’embûches. Cet aspect ne remplace pas une passion de jeunesse, mais il s’y greffe.

Depuis quelques années, j’ai été amenée à beaucoup réfléchir à l’évolution de ma relation à la musique. Même si je travaille énormément, je cherche autant que possible à préserver un équilibre satisfaisant entre plaisir et contrainte. Il me semble que la musique est une industrie tellement exigeante que ce n’est qu’à la condition que cet équilibre ne soit pas rompu qu’on peut considérer sereinement s’y faire une place. J’imagine que c’est aussi le cas pour beaucoup de métiers dits « classiques ».

Pourquoi ce choix musical ?

J’aime le sous-entendu de cette question.

Comment une musicienne de 20 ans aujourd’hui peut-elle choisir de s’exprimer dans un style aussi « vintage » que le blues rock ? 

D’abord, toutes les chanteuses de mon âge ne rêvent pas d’être Rihanna ou Arianna Grande. Ce sont deux stars incroyables, mais je me sens plus à l’aise dans la simplicité et le côté authentique du blues, loin des boîtes à rythmes, ou des strass.

Curieusement, les mélodistes qui m’inspirent le plus comme les Beatles, Queen ou Bowie, sont tous passés durant leur carrière par la case blues, mais sans s’y attarder outre-mesure. Même si j’ai aussi subi l’influence de musiciens plus marqués comme Janis Joplin, Rickie Lee Jones ou les Stones. Le blues reste le genre le plus éclectique de la musique populaire depuis un siècle. C’est un carrefour qui mène au rock bien sûr, mais aussi au jazz, à la soul, la pop, le funk. C’est peut-être cette liberté qui me guide.

Je crois que le blues est arrivé par “hasard” le jour ou j’ai commencé à écrire mon ancien single “Secretly Jacked”. Je voulais écrire une chanson mystérieuse qui met en avant ma voix et c’est comme ça que le blues-rock est arrivé dans ma composition. Depuis je ne veux plus m’en séparer. Le blues est aujourd’hui la musique qui libère mes émotions naturellement quand je compose. Est-ce que ça sera encore le cas dans quelques années ? On pourra en reparler si vous le voulez…

Pourquoi ce thème assez dur pour une jeune fille de 21 ans ?

Mon nouveau single « Never (Is An Awfully Long Time) » traite en effet d’un thème assez difficile, le manque d’estime de soi. Cette difficulté de vie touche un nombre incalculable de personnes. Après le bac et mon départ de Hong-Kong, j’ai subi des angoisses assez importantes. Est-ce la rupture avec l’enfance, le départ loin des siens dans un pays inconnu, la pression des études ? Un peu de tout ça sans doute. En tout cas, alors que je m’étais produite en public plus de 70 fois durant mes années de lycée, j’ai ensuite été incapable de remonter sur une scène pendant deux ans. Entre autres désagréments…

J’ai donc privilégié le travail de studio. J’ai aussi été très soutenue par mes proches, mais tout ça m’a rendue malheureuse. J’ai beaucoup travaillé pour surmonter cela.

Depuis un an, je rejoue sur scène, tout va mieux, mais je crois que c’est important d’en parler, de dire que c’est possible d’aller mieux sans attendre « affreusement longtemps ».

Dans le milieu de la musique, je côtoie beaucoup de personnes dans le même cas. Et puis avec les medias sociaux, la barre de ce qui est socialement acceptable est tellement haute, il faut bien penser, avoir une image parfaite… C’est une forte pression sociale qui peut devenir dangereuse, notamment pour les jeunes.

Le manque d’estime de soi est un sujet très sous-évalué. Avec cette chanson je veux que les personnes en souffrance se sentent moins seules. Mon message est : on est tous dans le même bateau et ça va aller. On est tous capables de bien plus qu’on ne croit.

Bien sûr, cette chanson met en scène une femme. C’est un peu moi, et c’est aussi toutes ces femmes vivant dans l’angoisse à cause du manque d’estime de soi, en partie créé par nos sociétés. Il y a encore tant à faire et à changer. J’espère faire ma part.

Comment reprendre ou retrouver confiance en soi ?

Je pense que chaque personne est différente. Me concernant, je pense qu’il faut d’abord prendre conscience du problème et avoir envie d’y remédier. Ensuite, il faut être très bien entouré. Ma famille et mes amis ont toujours été là pour m’écouter, me réconforter, me secouer, et ça c’est une grande chance. La méditation m’a aussi bien aidée. Quand on manque de confiance en soi, on a peur de son image, et comme pour toute peur, nos pensées nous hantent. La méditation permet de calmer ses pensées, les accepter et s’ancrer dans le moment présent.

Une fois que l’on va mieux, que l’on peut s’aimer un peu plus, il faut se pousser à faire les choses qui nous font peur. Et plus on le fait, moins on a peur. Au final on se rend compte que tout ça c’est dans la tête. Il est aussi important selon moi d’accepter ses erreurs et ses échecs, c’est humain. Une mauvaise expérience reste toujours une expérience : parfois on réussit, parfois on apprend.

Finalement, le fait de savoir que je n’étais pas seule dans ce cas a été d’une grande aide. Comme j’habite loin de mes proches, j’ai lié des liens forts avec mes amis en Angleterre. Cela m’a fait me sentir moins marginale et c’est ce qui m’a fait écrire ce titre. J’espère de tout cœur que cette chanson pourra aider ne serait-ce qu’une personne. Ca serait un grand bonheur pour moi.