Cuvée BaIi : un nouveau grand cru…
Troisième producteur mondial de cacao après la Côte d’Ivoire et le Ghana, l’Indonésie est loin d’être réputée pour la qualité de ses fèves. Avec 5.000 tonnes récoltées chaque année (3 % de la production nationale indonésienne), Bali n’échappait pas jusqu’alors à la règle. Le nouveau chocolat « Cuvée Bali » lancé en 2016 auprès des professionnels par la marque française Valrhona, est désormais un sésame de qualité pour certaines fèves balinaises…
Par Philippe Dova
Loin des plages paradisiaques et des surfeurs tatoués, la région de Jambrana produit 50 % du cacao balinais. Des fèves jusqu’à maintenant achetées brutes à bas prix par les intermédiaires des géants de l’agro alimentaire ou de la cosmétique. Depuis cinq ans Widi, présidente de l’ONG Kalimandjari et les quelque cinq cents fermiers regroupés au sein de la coopérative Kerta Semaya Samaniya (K.S.S.) ont décidé de relever le défi de la qualité. « Parler de qualité revient à parler du procédé de fermentation des fèves. J’ai commencé à travailler en 2012 avec cette coopérative pour aider les fermiers à mieux produire, à trouver des partenariats avec des acheteurs haut de gamme. Nous nous sommes rencontrés en 2012 avec Valrhona, nous avons eu beaucoup de discussions pour mettre en place notre partenariat et avons énormément appris à propos des profils aromatiques qui sont très importants pour la marque » explique la présidente. Après trois ans de travail, K.S.S. expédie en France à Tain l’Hermitage en 2015 son premier container de fèves fermentées, séchées au soleil et triés à la main à la coopérative. C’est la première fois que des fèves fermentées sont ainsi exportées depuis Bali. « C’est une vraie récompense pour le travail des fermiers. Valrhona est la meilleure garantie de qualité pour nous pour vendre à d’autres acheteurs ! Lorsque nous en rencontrons, ils savent que nous vendons à Valrhona et achètent nos fèves les yeux fermés » ajoute Widi. Cette garantie a changé la vie des fermiers. Dans sa ferme modèle de trois hectares aux allées bien tracées au bord desquelles les cacaoiers poussent au milieu d’une végétation luxuriante, Ketut ne regrette pas d’avoir été l’un des pionniers de la fève fermentée : « Avant je vendais le kilo de fèves à 1,5 €, depuis ce partenariat avec Valrhona je le vends le double ! Je suis très heureux, ma famille vit mieux et j’ai même pu m’acheter une voiture » témoigne le paysan.
Pour le cartographe Marc Le Moullec, consultant à Bali pour le chocolatier, chargé de l’inventaire des exploitations et d’une étude très personnalisée auprès des fermiers, qualité et bonne rémunération, sont étroitement liées… « L’objectif de notre travail sur ces plantations est de les rendre plus rentables en accélérant la qualité, en améliorant les déclencheurs d’arômes mais aussi le rendement. Un bon cacao provient forcément d’un paysan heureux qui peut léguer sa ferme à ses enfants lesquels voient un avenir dans la culture du cacao. Si le cacao se dégrade, les jeunes ne reprennent pas l’exploitation et partent en ville pour travailler dans le tourisme (ndlr : si un tiers de la population active travaille dans le tourisme à Bali, la grande majorité travaille dans l’agriculture).
Valrhona achète au double voire au triple du prix habituel mais en exigeant l’excellence à tous les stades de la production. ». La nouvelle de l’excellence des fèves de K.S.S. s’est répandue comme une traînée de poudre et ils sont nombreux parmi les producteurs de chocolat indonésiens et les concurrents de Valrhona à y acheter leurs fèves fermentées. « Il n’y a plus d’intermédiaires et ils achètent leurs fèves beaucoup plus chères ! Plus il y a de monde et mieux c’est ! Faire du cacao de qualité c’est bien mais c’est compliqué s’il n’est pas vendu ! Ce n’est pas le cas. Nous ne sommes pas ici pour faire des orphelinats ou des écoles, les paysans balinais ne vivent pas dans l’extrême pauvreté. Ils ne sont pas forcément riches mais ils peuvent le devenir un peu plus » précise le géographe.
« Il nous faut consolider le projet et à partir de là nous pourrons grandir dans le respect de la qualité du produit original. Derrière la « Cuvée Bali » il y a un terroir de qualité que nous nous devons d’entretenir avec les planteurs pour qu’ils continuent à nous fournir des fèves pour faire un chocolat exceptionnel avec un nouveau profil aromatique. Travailler et établir une relation de confiance avec les agriculteurs, en respectant l’environnement et les hommes nous le faisons depuis une trentaine d’années dans les différents pays du monde où nous achetons nos fèves » confie Pierre Tabarié, directeur Asie Pacifique pour Valrhona. Trois tonnes de chocolat ont été produites dans l’usine française et le chocolatier prévoit d’en produire 9 tonnes en 2017. Une cuvée limitée, réservée pour l’instant aux professionnels de la zone Asie Pacifique. « Nous avons commencé la commercialisation en Chine, à Hong-Kong, Singapour, Taiwan. Paradoxalement pas encore à Bali car les procédures d’enregistrement sont très longues mais cela ne saurait tarder ! La Cuvée Bali est un chocolat à 68 % de cacao avec un bon équilibre entre la partie chocolatée et l’acidité. C’est un chocolat assez rond qui va certainement plaire à beaucoup de consommateurs et de chefs pâtissiers » ajoute Pierre Tabarié. Des chefs à l’instar de Jean Marc Gaucher, chef pâtissier du Mira Hôtel à Hong-Kong, visiblement séduit. « L’origine est très importante dans le chocolat parcequ’il y a une histoire derrière, c’est cela qui m’intéresse. Travaillant en Asie, le fait que le chocolat vienne d’Asie cela a un sens ! Lorsque j’utilise du miel, c’est du miel organique qui vient de Hong-Kong ! J’ai déjà l’habitude de travailler avec des chocolats asiatiques et la pureté du goût de celui de Bali m’a énormément plu. Il est très raffiné par rapport à d’autres beaucoup plus brut de décoffrage ! Je ne vais pas dire il a ce côté-ci, ce côté-là je sens la brise de la mer lorsque je le croque ce n’est pas ça mais il a vraiment un caractère qui me plaît. Je le décline en plusieurs desserts sur mon café gourmand et les clients en raffolent déjà, notamment dans sa combinaison avec le thé earl grey ! »
Bali devrait désormais compter sur le marché mondial du cacao de qualité, les indicateurs sont au beau fixe : avec une production de 100 tonnes de fèves fermentées en 2017, la coopérative a doublé sa production de 2016. Le consommateur devra cependant patienter un peu pour que la Cuvée Bali rejoigne la collection de tablettes de grands crus Valhrona dans les commerces de détail mais cela est bien prévu par l’entreprise…