Cédric Klapisch : « L’idée d’être un citoyen du monde est une belle idée »
Jusqu’au 10 décembre, Hong-Kong fête le cinéma français. L’occasion pour cette 46ème édition du festival “French Cinepanorama” organisé par l’Alliance française, avec le soutien du Consulat général de France, de présenter plus de 50 films. En plus de la projection de longs métrages dans sept cinémas de la ville, le festival présente une rétrospective en hommage à Melville sous le parrainage du cinéaste hongkongais Johnnie To du 5 au 24 janvier 2018. A Hong-Kong pour présenter son film “Ce qui nous lie”, le réalisateur français Cédric Klapisch répond à nos questions. Rencontre.
Propos recueillis par Catya Martin
Trait d’Union : Plus de 30 ans de carrière et il est impossible de vous cataloguer tant vos films sont différents. Est-ce volontaire ?
Cédric Klapisch : Oui c’est volontaire. C’est la plus grande maladie française la « case ». Justement quand on voyage on voit que ce besoin de cataloguer les gens est assez spécifique à la France.
Je ne vois pas pourquoi il faudrait être estampillé comédie, ou drame. Shakespeare a fait des comédies, de la poésie et du théâtre. De plus je n’aime pas les réalisateurs qui font toujours le même film. C’est assez vrai pour Rohmer ou encore Woody Allen. J’ai aimé Woody Allen au moment où il changeait de style.
Je préfère les Fellini, Hitchcock ou encore Kubrick qui passe d’Orange Mécanique à 2001 Odyssey de l’espace ou Barry Lyndon. Pour moi le cinéma est fait pour essayer des choses différentes, des langages différents. C’est une véritable richesse. J’aime les gens éclectiques, c’est l’image même de la créativité.
Dans votre film « Ce qui nous lie », un des personnages revient de l’étranger. Près de trois millions de Français vivent à l’étranger. Comment vivez-vous cette mondialisation ?
Je la vois avec un regard positif. Il y a quelques menaces pour moi, la principale est l’uniformisation et c’est triste mais malgré cette uniformisation il y a de l’échange. Il n’y a pas que des échanges de marchandises, il y a les cultures, la connaissance de l’autre, l’échange d’idées.
Quand j’ai fait l’Auberge espagnole, je ne me doutais pas que j’allais mettre le doigt sur quelque chose d’assez fondamental, le voyage. Aujourd’hui tout est plus institutionnalisé avec les programmes scolaires ou échanges au sein des entreprises. Ces échanges-là fabriquent du métissage et apportent une ouverture d’esprit. Les personnes issues d’une double culture sont riches. La mondialisation devrait permettre une pacification, moins de racisme ou encore une meilleure compréhension de l’autre. L’idée d’être un citoyen du monde est une belle idée.
Revenons au film, pourquoi avoir choisi la Bourgogne ?
C’est la région que je connaissais le mieux. Les paysages sont magnifiques. Il y avait un peu tout qui me ramenait vers la Bourgogne avec en plus l’histoire qui est celle que je raconte dans mon film. De mettre en parallèle la fabrication du vin avec la formation d’une famille, il fallait que cette échelle familiale existe et en, Bourgogne c’est le cas. Les domaines sont majoritairement des maisons familiales.
Je n’aurais pas pu faire ce film sans Jean-Marc Roullot qui joue Marcel. Il m’a ouvert les portes de son domaine à Meursault.
Je ne sais pas si cette opportunité se serait posée de façon identique ailleurs. Je le connaissais depuis longtemps.
De plus, cette région est pour moi une des plus belles pour le vin et est un emblème, un lieu de référence mondial du vin.
Les vignerons vous ont-ils bien accueilli, avez-vous été conseillé ?
C’est un monde à part et tout le monde me disait que c’était un milieu très fermé. Je n’ai pas du tout trouvé que c’était fermé, au contraire. Ils connaissaient mes films et les aimaient. J’étais loin de l’image du vigneron enfermé dans son domaine avec sa casquette et ses joues rouges. Ils voyagent beaucoup, eux aussi sont très mondialisés. Un vigneron de Pommard est forcément déjà venu à Hong-Kong là où moi j’y viens pour la première fois. Le fait d’être très ouvert sur le monde fait qu’ils accueillent avec plaisir.
Le cœur du film est sur la fratrie et nous ramène vers la tradition, les valeurs, l’héritage ou encore la transmission. Ces valeurs vous parlent ?
On me pose beaucoup la question. Parallèlement à mon travail de réalisateur, j’ai cofondé un site de VOD (NDLR : Video on demand) avec pour idée de transmettre le patrimoine cinématographique. On y trouve uniquement des films faits avant l’an 2000. Chaque mois un réalisateur apporte sur le site ses 50 films les plus importants. Là c’est en fait cette idée de transmission. Donc aujourd’hui je me demande s’il n’y a pas un rapport entre mon film et le fait d’avoir passé quatre ans à créer cette plateforme.
On vit dans un monde où tout va très vite. On vit beaucoup sur l’instant que ce soit les médias ou internet. Il y a donc un effort à faire en expliquant que l’on peut aussi trouver du positif dans quelque chose qui existe déjà depuis longtemps. Le message serait de dire aux jeunes, faites attention, le monde d’aujourd’hui vous pousse à être dans l’instant mais avant l’instant il y avait beaucoup de choses qu’il faut garder. Dans le cinéma il y a des choses à garder. Un jeune de 20 ans ne va pas forcément connaître Kurosawa ou Hitchcock, il y a donc un effort à faire pour lui expliquer. Pour moi c’est ça la transmission avec aussi la transmission de valeurs au sein de la famille. Il y a des choses à garder du passé.
Ces sujets peuvent être mal interprétés en France même s’ils restent importants pour se construire.
Oui c’est vrai et on l’a bien vu durant les dernières élections. Parler de la fierté française, du drapeau français ou encore de l’identité française c’est toujours dangereux. Les américains n’ont pas ça et possiblement personne ailleurs.
J’en veux au Front National qui pour moi a volé quelque chose qui devrait appartenir à tous les Français. Ce qui nous lie est peut-être aussi une façon de dire qu’il y a des valeurs de la France et le vin est un emblème français, le terroir est un emblème français, l’identité française c’est important, et ça n’appartient pas qu’au FN. Quel que soit son appartenance politique on est tous en droit de soutenir les valeurs de notre pays.
Discutez-vous avec votre public ?
Oui bien sûr. C’est ce qui est le plus important bien plus que les critiques. Faire les promos en province et aller dans les régions de France est important pour ressentir la façon dont le film a été reçu. Je ne fais pas du cinéma pour plaire à un public. Je ne suis pas dans cette logique mais plus dans une liberté d’écriture. Ces rencontres permettent de voir si le public a bien compris mon message et l’histoire que j’ai racontée.
Etes-vous un amateur de vin ?
Oui.
Votre vin préféré ?
Romanée-Conti.
Comment s’est passée l’initiation pour vos acteurs et l’équipe de tournage ?
Ils se sont initiés. Beaucoup ne buvaient que du vin rouge et pas de blanc. On était à Meursault où il y a un des meilleurs vins blancs au monde, ils sont tous repartis en préférant le vin blanc. Tout le monde à fait un stage sur la fabrication du vin, de la récolte jusqu’à la mise en bouteilles en passant par les caves et les vignes. On a tous appris.
Pouvez-vous nous parler de votre prochain film ?
C’est un film sur la différence homme femme. Les rapports de force voires les abus. Avec la position de la femme dans un monde que l’on dit féministe et de voir tout le chemin qui reste à parcourir pour arriver à un semblant d’égalité. Ce sera une comédie, une première pour moi. Je vais traiter un sujet plutôt grave sous l’angle comique.