Cap sur Valparaiso – Brumes océaniques et collinesde couleurs
“Nous irons à Valparaiso !” clame une chanson populaire ! Alors, suivons ce trois-mâts pour que les mouettes du Pacifique nous déposent dans l’atmosphère échevelée du plus grand port de l’Amérique du Sud. Attachez vos ceintures : des montagnes russes de toutes les couleurs se préparent à bousculer la visite…Fort heureusement, quelques ascenseurs impromptus facilitent les rampes de ce grand manège forain.
Par Christian Sorand
Du haut de la maison perchée de Pablo Neruda (1904-1973), les paroles du maître retentissent : “Si nous parcourons tous les escaliers de Valparaiso, nous aurons fait le tour du monde.”[1]Ironie du sort ? Quand on visite La Sebastiana, l’une des trois demeures chiliennes de Neruda, le décor intérieur nous entraîne déjà dans une vaste valse planétaire. Santiago, la capitale, n’est distante que d’une centaine de kilomètres dans une grande vallée andine. Valparaiso en est le port. C’est aussiune seconde antenne du pays, puisque la ville est le siège du Congrès national, du ministère de la Culture et des Arts, et bien sûr, celui de l‘État-major de la Marine chilienne !
Si l’installation portuaire rappelle d’autres grands ports du monde, les brumes du Pacifique et le désordre multicolore d’une cité à deux visages la caractérisent. En 2003, l’Unesco inscrit Valparaiso au patrimoine culturel mondial.
Le grand port du Pacifique.
Jetons donc les amarres dans la grande baie abritant le port de Valparaiso.
Surnommée “le Joyau du Pacifique” (“La Joya del Pacifico”) par les marins au long court, Valparaiso a longtemps été l’escale obligée des bateaux reliant l’Atlantique au Pacifique par le détroit de Magellan. Avant l’ouverture du canal de Panama en 1914, Valparaiso était même l’une des principales escales de la voie maritime vers San Francisco.
Les installations portuaires se situent dans la partie méridionale d’une vaste baie s’incurvant jusqu’à la station balnéaire de Viña del Mar. Ce plus grand port du Chili abrite non seulement la Marine nationale, mais reste aussi le plus grand port commercial de la nation, voire de la côte pacifique sud-américaine.
Avant l’arrivée des Espagnols, le site était peuplé par les Indiens Mapuche qui l’avaient surnommé “Terres brûlées”. Or les derniers incendies gigantesques qui ont eu lieu dans la région illustrent une menace latente. Cette épée de Damoclès se double d’un danger tellurique. Le dernier grand séisme a eu lieu au début du XXe siècle.
Au XVIe, l’Espagnol Pedro de Valdivia en fait le port de Santiago. “Valparaiso” viendrait de “Val des Paraiso” (la Vallée du Paradis), faisant peut-être allusion aux célèbres vignobles de l’arrière-pays.
Les Anglais ont longtemps montré une certaine velléité coloniale le long des côtes chiliennes. Or, Bernardo O’Higgins (1778-1742), fondateur de la Marine chilienne et père de la nation, était irlandais par son père. Valparaiso a ensuite été le cadre d’une forte immigration européenne aux XIXe et XXe siècles, en provenance surtout d’Allemagne, de Croatie, d’Italie, sans oublier celle, plus discrète, de quelques négociants et banquiers français.
Le port de Valparaiso reste un nœud maritime important de la ceinture Pacifique.
L’ancre jetée, partons alors à la découverte de cette ville à deux étages : une ville commerciale basse et une ville haute, chacune offrant deux climats dans une même journée !
D’escaliers en ascenseurs.
Par son site, par la singularité de son charme, et peut-être par son charisme, Valparaiso est une ville de culture, voire de légende. Son inscription en 2003 au patrimoine mondial de l’Unesco n’est donc pas une surprise. Le peintre américano-anglais James Whistler (1834-1903) y a séjourné (en 1866), générant peut-être une vocation locale d’artistes-peintres ; puis il y a eu la présence de Pablo Neruda (1904-1973) poète, diplomate et homme politique chilien, lauréat du prix Nobel de littérature en 1971. Sa maison, La Sebastiana, surplombe port et collines, s’ouvrant sur l’étendue océane tel un sémaphore. Devenue musée, elle témoigne des richesses culturelles d’un outre-mer sillonné par un enfant du pays, parfois sulfureux et engagé.
Au petit matin, les brumes épaisses du Pacifique forment un rideau opaque. Mais vers midi, le soleil des tropiques chasse les nuages au travers desquels des cubes agglutinés sur mille et une collines semblent émerger d’un lac comme dans un rêve.
La ville historique a été enfantée par un amas de monts adossés à la cordillère Pacifique. Valparaiso n’est pas une ville oisive. La géologie a façonné un amalgame de collines pour éprouver la force motrice de l’homme. On doit monter et descendre d’innombrable buttes (cerro) et s’identifier à des sauterelles pour se mouvoir d’un point à un autre. La ville haute est une véritable fourmilière peuplée d’alvéoles. Le visiteur de passage doit alors s’assurer d’être en bonne condition physique. Fort heureusement, une pléthore d’escaliers et d’ascenseurs permettent de se lancer à l’assaut de toutes les collines. Quoique l’ancienneté du réseau des “ascenseurs” – qui sont davantage des funiculaires – date un peu. Certains ne sont plus en service ! Quant aux escaliers, souvent bien utiles, leur nombre, leur longueur parfois excessive peuvent sembler prohibitifs.
On touche pourtant là au charme insolite de cette fourmilière humaine. La curiosité provoquée par tant de tentations visuelles incite à se poser aux abords d’une terrasse afin d’égarer son regard sur une vue sublime, ou sur l’éclat radieux d’une peinture murale. En effet, cette déambulation aboutit tantôt une halte inattendue, tantôt sur une vision émerveillée, tel un baume apaisant.
Valparaiso se découvre à petites gorgées, lentement, posément. Les haltes sont fréquentes en fonction de découvertes fortuites, d’un panorama grandiose, ou d’une vision insolite au coin d’une rue. Valparaiso se mérite, se distille. Pareille à une peinture impressionniste, la ville se compose d’une multitude d’aplats. Ici, la fascination, le pittoresque sont de mise.
Et puisqu’on évoque la palette d’un peintre, jetons un regard sur ces murs, œuvres d’artistes locaux, ayant métamorphosé Valparaiso en un véritable musée en plein air.
Des murs de couleur.
Des artistes inconnus ont donc décidé d’abattre les enceintes d’un musée traditionnel pour étaler leurs œuvres au grand jour, sur des murs à ciel ouvert. Des murs certes, mais pas seulement ; des escaliers mènent aussi la danse comme l’escalera piano, aux marches en touches de piano ! Ou bien cet autre aux couleurs d’un arc-en-ciel !
La ville haute se compose de plusieurs buttes (“cerro” en espagnol). Chacune porte le nom d’un quartier : Cerro Bellavista, Cerro Yungay, Cerro Florida (où se trouve le musée Pablo Neruda), Cerro Panteón (abritant le grand cimetière) ou encore le Cerro Concepcion, autre quartier historique pittoresque, coiffé d’une jolie église luthérienne.
Surplombant le cœur de la ville basse, le Cerro Alegre s’ouvre sur une vaste promenade panoramique (Paseao Yugoslavo) devant le Palacio Baburizza, de style art nouveau,abritant le musée des Beaux-Arts. Or, à deux pas de cet édifice traditionnel, le monde flamboyant des peintures murales s’épanouit dans un espace fait d’insolite et de couleurs. Si cet art de la rue est bien une particularité sud-américaine, Valparaiso en est sans nul doute le haut-lieu ! Cette tendance se caractérise par des couleurs contrastées portant les stigmates de la culture amérindienne, non seulement par ses personnages et ses costumes, mais aussi par l’exubérance de scènes exotiques d’une nature tropicale riche en végétation, en fruits, en fleurs chatoyantes et en animaux endémiques tels que le puma, le lama et les oiseaux exotiques. Toutes ces couleurs murales, nous transportent dans un autre monde, sur un continent dont le mystère est entretenu par les grands maîtres de la littérature sud-américaine : Miguel Asturias, Jorge Amado, Gabriel Marquez, Luis Borges, Pablo Neruda ou même Isabel Allende.
Les brumes de l’océan se sont dissipées ; le soleil déclinant se fait déjà plus amical ; alors, assis à la terrasse d’un petit café du Cerro Concepcion ou du Cerro Alegre, le corps fourbu par tant de rues pentues et d’escaliers vertigineux, il est temps de se poser, un verre bien frais à la main. L’œil en éveil, c’est le moment de contempler le soleil s’enfoncer dans le Pacifique, laissant place aux étoiles venant éclairer chaque maison du port et des collines, avant d’illuminer toute la courbure de la baie jusqu’à Viña del Mar. Quelques lignes de Neruda accompagnent cet instant :
“Valparaiso, quelle absurdité tu es, quelle folie, port fou, et ta tête de collines,
échevelée, tu n’arrives pas à te peigner…
à peindre des portes vertes, des fenêtres jaunes, tout te transforme en vaisseau,
tu es l’imitation d’une proue de navire… “
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Sources :
UNESCO- Historic Quarter of the Seaport City of Valparaiso : https://whc.unesco.org/en/list/959/
Valparaiso : https://en.wikipedia.org/wiki/Valparaíso
Palacio Baburizza : https://museobaburizza.cl/en/home/
Bernardo O’Higgins : https://en.wikipedia.org/wiki/Bernardo_O’Higgins
James McNeill Whistler : https://en.wikipedia.org/wiki/James_McNeill_Whistler
Pablo Neruda : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pablo_Neruda
La Sebastiana : https://fundacionneruda.org/en/la-sebastiana-museum-house/
Viña del Mar : https://fr.wikipedia.org/wiki/Viña_del_Mar
[1] cité par Pierre de Gasquet dans Les Échos du 27/04/2007