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Brasilia ou la saga d’un rêve devenu réalité

Peu de visiteurs songent à inscrire Brasilia sur un circuit du Brésil. Il est vrai que la troisième capitale du pays après Salvador de Bahia et Rio de Janeiro n’offre ni les couleurs, ni les attraits touristiques des précédentes. Il n’en demeure pas moins que cette cité du XXe siècle, érigée sur les hauts plateaux de la plaine centrale semi-désertique, demeure malgré tout un lieu exceptionnel et incontournable, tout au moins si on éprouve de l’admiration pour l’art moderne.

Des hommes et des rêves

Un jour de 1956, peu après avoir été élu à la présidence du pays, Juscelino Kubitschek (1902-1976) rend visite à son ami l’architecte Oscar Niemeyer à Rio. Il lui fait part de sa volonté de construire une nouvelle capitale plus au centre du pays. C’était un vieux rêve brésilien. Jusqu’alors, la population de la nation était en majorité cantonnée sur la côte atlantique. Il fallait créer une nouvelle capitale afin d’accélérer le développement du pays vers l’intérieur. Le docteur Kubitschek – d’ascendance tchèque et chirurgien de son état – était lui-même originaire du Minas Gerais (1), zone minière située à l’intérieur des terres. L’urbaniste Lucio Costa a également été convié à participer au projet. Kubitschek leur donna quatre années pour réaliser le projet. Un défi que ces trois hommes ont su relever grâce à leur tenace volonté de réussite. Le 21 avril 1960, Brasilia était officiellement inaugurée et devenait de facto la troisième capitale, reflétant ainsi l’esprit résolument moderniste de la nation brésilienne.

La création d’un espace et d’un nouvel environnement

L’empreinte universelle de la nouvelle capitale est due au génie de deux hommes, l’un architecte et l’autre urbaniste. Tous deux s’inspirent des idées de leur maître, un certain Le Corbusier. Le plan général est confié à Lucio Costa, tandis que les bâtiments publics sont l’oeuvre d’Oscar Niemeyer. Un énorme chantier voit donc le jour au milieu de la poussière et des terres de latérite rouge du Planalto Central. On travaille sans relâche, nuit et jour, pour faire sortir de terre Brasilia en respectant le créneau requis par le président Kubitschek. Ce dernier se rendra souvent sur le site pour encourager et soutenir les maîtres d’oeuvre et les ouvriers.

Lucio Costa (1902-1998), né à Toulon de parents brésiliens d’ascendance portugaise, s’est donc chargé d’imaginer les plans d’urbanisme de la nouvelle capitale concevant alors une ville de style moderniste épousant la forme d’un oiseau géant aux ailes déployées. Cela rappelle étrangement les figures géantes de Nazca au Pérou. Oscar Niemeyer (1907-2012), dont le nom évoque un héritage germanique, travaillait déjà avec Lucio Costa à Rio de Janeiro. Il partageait la même admiration pour Le Corbusier et le modernisme. C’est à lui qu’a été confiée la construction des principaux monuments de la nouvelle capitale pour laquelle il appliqua son goût pour le béton et les lignes courbes. La création de Brasilia lui a conféré une renommée planétaire. Son legs comprend des oeuvres réparties sur trois continents (Amérique, Europe et Afrique du Nord). Fondamentalement communiste, il s’est réfugié en France quand le gouvernement militaire a pris le pouvoir au Brésil. C’est ainsi qu’on lui doit les sièges du Parti communiste français et du journal l’Humanité à Paris ainsi que la Maison de la culture du Havre. Comme beaucoup de grands aventuriers modernes, Oscar Niemeyer a vécu jusqu’à 104 ans. Il est étrange de constater que la passion de toute une vie semble avoir une influence sur la longévité (Alexandra David-Neel, Claude Lévi-Strauss, Théodore Monod, Haroun Tazieff, Jacques Cousteau, Georges Dumézil). D’autres artistes brésiliens ont été appelés à embellir la capitale fédérale. Ce sont essentiellement des artistes et en premier lieu des sculpteurs tels que Bruno Giorgi, Alfredo Ceschiatti ou Dante Croce.

Les lieux cultes

Brasilia est sans nul doute un lieu à visiter. L’infrastructure hôtelière y est excellente. Les moyens de transports locaux répondent à toutes les exigences touristiques. Le coeur de la cité se positionne le long de l’axe monumental. De la place des trois pouvoirs jusqu’au mémorial JK (élevé à la mémoire de Juscelino Kubitschek), en passant par le Congrès national et la tour de télévision, c’est ici que l’on trouve les principaux monuments de la capitale fédérale. Les oeuvres d’Oscar Niemeyer sont trop nombreuses pour en faire une liste détaillée. Voici en tout cas, les plus marquantes : La place des trois pouvoirs (Praça dos Três Poderes) ainsi nommée car elle rassemble les trois pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. On y trouve donc le bureau du président (Palácio do Planalto), le Congrès national (Congresso Nacional) et la Cour suprême fédérale (Supremo Tribunal Federal). Cette esplanade gigantesque est agrémentée de quelques statues devenues célèbres : « Les pionniers »(Los candangos) du sculpteur italobrésilien Bruno Giorgi (1905-1993) ou encore « La justice » du Brésilien d’origine italienne Alfredo Ceschiatti (1918-1989). Le Congrès national situé au milieu de l’axe monumental est l’une des réalisations les plus connues d’Oscar Niemeyer. L’édifice comporte deux coupoles : l’une tournée vers le bas et l’autre vers le ciel. Elles représentent les deux chambres du pouvoir législatif. Entre chaque demi-sphère, deux tours s’élèvent face à face, comme un symbole architectural voulu par le concepteur. Le musée de la ville se trouve également sur la place des trois pouvoirs. En sous-sol, on y découvre une maquette géante de Brasilia ; sur les murs des photos des étapes de la construction. Un coin de la salle rend également hommage au Corbusier. Par ailleurs, il y a une salle qui résume l’histoire du Brésil (en portugais) à l’intérieur d’un cube rectangulaire édifié sur l’esplanade. Un buste géant en bronze dédié à la mémoire du président J.Kubitschek se trouve à proximité.

Le palais d’Itamaraty [1970] (Palácio do Itamaraty) abrite le ministère des Relations extérieures. Ce bel édifice à la sobriété presque classique est entouré d’un bassin dans lequel il se reflète et où pousse une végétation évoquant l’Orient. Une sculpture de Bruno Giorgi intitulée « Météore » donne l’impression de flotter sur l’eau à l’entrée. Composée de cinq blocs, l’oeuvre symbolise les cinq continents.

La cathédrale de Brasilia [1970] (Catedral Metropolitana Nossa Senhora Aparecida) est un autre chef-d’oeuvre d’Oscar Niemeyer. La partie visible extérieure a la forme d’une hyperbole composée de 16 colonnes insérant un toit de vitraux multicolores destiné à éclairer la cathédrale sise en sous-sol. Sur l’esplanade, les statues de bronze sont l’oeuvre de Dante Croce et représentent « Les quatre évangélistes » [1968].

Le musée national [1960] (Museo Nacional da República) est lui aussi un exemple futuriste. On y accède par une rampe qui semble former un anneau planétaire autour d’un gigantesque dôme blanc, créant ainsi une illusion quasi sidérale. Le palais de l’aube [1958] (Palácio da Alvorada) est situé à l’extérieur, loin du centre administratif, sur une presqu’île, en bordure du lac Paranoá. C’est la résidence officielle des présidents brésiliens. Autre symbole, il a été le premier bâtiment construit à Brasilia. Le palais doit son nom au président Kubitschek qui a proclamé un jour : « Qu’est-ce-que Brasilia sinon l’aube d’un jour nouveau pour le Brésil ? »

La poursuite de l’esprit initial

En arrivant à l’aéroport international de Brasilia, troisième aéroport du pays, on entre de plein pied dans l’esprit moderniste de la capitale fédérale. Le nouveau terminal fait une large place à la lumière et à l’intégration d’un environnement végétal en créant une ambiance de bien-être. Au fil des ans, de nouveaux édifices ont vu le jour. Ils complètent la tendance avant-gardiste de la ville. C’est le cas du sanctuaire de Dom Bosco. Il s’agit d’une église dont l’intérieur baigne dans une lumière feutrée créée par des murs faits de magnifiques vitraux bleus. Elle rend hommage à ce saint italien qui aurait prévu à la fin du XIXe siècle la fondation de Brasilia. Le pont Juscelino Kubitschek [2002] franchit le lac Paranoá. Il est l’oeuvre de l’architecte sino-brésilien Alexandre Chan. Ouvrage original et d’une grande beauté, il perpétue l’esprit initial des fondateurs. Le stade national Mané-Garrincha [1974] a été rénové en 2013 en prévision de la Coupe mondiale de football en 2014 à proximité de la tour de télévision [1965], le plus haut édifice de Brasilia (224m). Initialement prévue pour accueillir 500.000 habitants, Brasilia a maintenant une population de 2,8M d’habitants, faisant d’elle la quatrième ville brésilienne. Cela dépasse largement la conception initiale.

Réflexions sur le cadre de vie actuel

Il est facile de circuler à Brasilia. C’est une ville américaine typique, conçue au départ pour la voiture, sans trottoirs initiaux. La conception a évolué depuis. Il est possible maintenant de parcourir la ville à pied sachant malgré tout que les distances sont énormes d’un point à un autre. Les bassins de rétention, créés pour apporter de la fraîcheur, font office de lacs artificiels aménagés pour les sports nautiques. Malgré sa différence Brasilia fonctionne comme toute autre ville. La vie commerciale se concentre dans des centres commerciaux climatisés. Les activités culturelles n’y manquent pas non plus. Dans la journée, à certains endroits, des marchands ambulants se sont installés apportant une touche d’exotisme. Les problèmes de sécurité semblent aussi moins aigus qu’ailleurs. Toutefois, ce n’est ni Rio, ni Salvador de Bahia. Certes, la ville gagnerait à offrir davantage d’espaces verts. Sur ces plateaux situés à plus de mille mètres d’altitude, on aimerait voir davantage d’arbres, de plantes ou de fleurs. Malgré de superbes éclairages mettant en valeur les principaux monuments, le centre de Brasilia devient désert la nuit venue. Il serait intéressant d’avoir aussi le témoignage de Brésiliens ou d’étrangers pour savoir si le cadre de vie contribue au bien-être. Brasilia est une ville allégorique. Lointaine, c’est un mythe moderniste qui porte l’empreinte du siècle qui l’a vue naître. On peut ne pas aimer certes. Un jour, à la section Voyages d’une librairie nîmoise, quelqu’un s’est exclamé : « comment peut-on créer de telles horreurs ! » en contemplant la photo iconique de l’Opéra de Sydney du Danois Jørn Utzon. Or dans cette même ville, deuxième capitale gallo-romaine, la Maison carrée, temple romain archétype de perfection, côtoie désormais le Carré d’art (1993), temple contemporain de la culture et oeuvre de cet autre grand architecte du siècle Norman Foster, d’ailleurs grand admirateur d’Oscar Niemeyer. Une coïncidence faite de symboles où deux mondes se font face. D’un côté, il y a un bloc de pierres antiques et de l’autre celui fait de verre et de lumière du monde moderne. C’est cette même antithèse qui a été voulue par l’architecte sino-américain Ieoh Ming Pei quand il a édifié la Pyramide du Louvre à Paris. L’art est fonction de goût et chaque époque a le sien.

Un peu plus d’un demi-siècle après sa construction, Brasilia demeure une création phare du XXe siècle. C’est donc bien dans cet esprit que l’on doit s’y rendre. Il s’agit tout bonnement de l’image d’un autre Brésil, nouvel état émergent de la planète.

C’était d’ailleurs bien l’idée originale des trois fondateurs.

Sources bibliographiques :
wikipedia.org – www.citazine.fr – wikitravel.org –
www.aboutbrasilia.com – www. paulrobertlloyd.com –
www.theguardian.com – www.britanniva.com –
http://openbuildings.com

1. Réf. Trait d’Union nº62, janvier 2015, Ouro Preto.