Au théâtre ce soir !
Le 26 mars prochain, la 4èmeédition du festival de théâtre en français sera lancée à Hong-Kong au Sheung Wan Civic Center jusqu’au vendredi 29 mars. Nous avons pu interviewer certains acteurs et metteurs en scène qui nous parlent de cet événement toujours très attendu par un grand nombre de francophones et francophiles. Interview.
Propos recueillis par Catya Martin
« La cantatrice chauve », de Eugène Ionesco.
Une autopsie de la société contemporaine par le truchement de propos ridicules de banalité que tiennent deux couples.
Interview de Franck Desmedt, directeur du théâtre de la Huchette.
Trait d’Union : Directeur du théâtre mythique du 5ème arrondissement qui vient de fêter ses 70 ans, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Franck Desmedt :Ce théâtre connu dans le monde entier est d’abord une chance. C’est être à la tête d’une troupe et il n’y a plus beaucoup de troupes à Paris. C’est entretenir une institution mais c’est aussi faire vivre la création, faire circuler les idées et proposer des projets toujours plus surprenants. Car le théâtre de la Huchette est avant tout un théâtre d’innovations et dans le secteur du théâtre musical (nous allons prochainement créer Les Aventures d’Huckleberry Finn) notre savoir faire est maintenant reconnu et notre audace saluée régulièrement par la critique.
Je veille aussi à être sur scène le soir pour ne jamais me replier. Etre sur scène, jouer, chercher des textes, rencontrer des créateurs et cela dans d’autres théâtres pour prendre de la distance avec celui dont j’ai la charge. Jouer, pour ne jamais perdre de vue que ce que nous faisons part d’abord du plateau, qu’il soit celui, mythique, du théâtre de la Huchette ou n’importe quel autre plateau qui se bat lui aussi pour écrire sa légende.
Avec plus de 60 ans de représentation de Ionesco au théâtre de la Huchette, c’est un record du monde pour La cantatrice chauve et la leçon. Aujourd’hui Hong-Kong. Cela représente quoi pour vous et qu’attendez-vous d’un public francophone en Asie?
Nous venons de fêter les 70 ans du théâtre et les 62 ans des spectacles Ionesco. Car, vous l’écrivez fort justement il y en a deux. La Cantatrice Chauvebien sur, chef d’oeuvre de liberté mais aussi La Leçonqui lui succède chaque soir et qui enchante également le public par ses différents niveaux de lecture.
Je suis heureux de fêter chez vous ce record du monde en même temps qu’à Paris dans notre quartier latin.
Le public du monde entier se donne rendez-vous régulièrement dans nos murs, il était bien normal que nous en sortions pour lui rendre la pareille. Nous sommes là pour échanger, pour surprendre mais aussi pour découvrir, pour sortir de notre zone de confort et donc forcement pour enrichir notre travail.
Je suis venu à Hong-Kong il y a deux ans avec Adieu Monsieur Haffmann, spectacle qui a triomphé ensuite aux Molières, la troupe fête un nouveau record ici avec La Cantatrice Chauve. J’ai en tous cas l’impression que votre ville porte bonheur, et puisque dans ce monde incertain il est ABSURDE d’être heureux, nous sommes déjà chez nous à Hong-Kong!
“Arletty”
“Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, soyez les bienvenus, ce soir, je passe ma vie en revue !» Qui de mieux qu’Arletty elle-même pour revisiter sa vie ? Elle nous plonge dans la belle Epoque, l’industrialisation, 14-18, les années folles, la crise de 29, la 2nd Guerre Mondiale, l’après-guerre, l’émancipation de la femme… et l’on découvre un parcours flamboyant dont le seul guide fut la liberté, quitte à peut-être parfois se compromettre.
Interview avec Elodie Menant, comédienne et auteure et Johanna Boye, metteure en scène.
Trait d’Union : On dit de vous que vous mettez le “feu” sur scène. D’où vous vient cette énergie?
Elodie Menant :Heureuse de lire que je mets le « feu »! Ce qui est certain c’est que j’ai un immense plaisir à jouer ce rôle. Pour répondre à votre question, depuis toute petite je suis une boule d’énergie et d’enthousiasme. A cela s’ajoute mon goût incontestable du sport. Je pratique régulièrement la course à pied (entre autre), ce qui alimente mon énergie, et vice versa.
Combien de temps avez-vous travaillé pour avoir la gouaille particulière d’Arletty ?
Difficile de donner une période. Étant, avec Éric Bu, à l’origine du texte, que nous avons commencé à écrire en 2016, Arletty trotte dans ma tête depuis cette période. Le visionnage d’interviews et de films m’ont permis de me rapprocher d’elle sans chercher l’imitation. Ce sont ses mimiques, sa façon de bouger qui m’ont beaucoup guidée.
Quel message pourrait transmettre Arletty aux jeunes femmes d’aujourd’hui?
Arletty est le parangon de la liberté! C’est une femme qui n’a jamais accepté d’être cantonnée à un rôle, à une image. Elle assumait ses choix : elle aimait les hommes mais aussi les femmes; alors qu’elle est née dans une famille très modeste, elle a su s’offrir une carrière professionnelle épatante.
Arletty pourrait dire aux jeunes femmes « Ayez de l’audace, imposez-vous et soyez libres, en dehors de tout carcan (éducatif ou religieux) ! »
Votre mise en scène est soutenue où tout s’enchaîne très vite. Comment travaillez-vous avec vos acteurs pour obtenir l’émotion souhaitée dans ce jeu extrêmement dense?
Johanna Boye : La mise en scène d’un tel spectacle qui voit défiler un grand nombre de personnages, d’évènements, de lieux et de périodes différentes, m’a demandée un important travail de préparation. Il était important pour moi que tout soit fluide, sans temps morts et que les personnages et les situations s’enchainent à l’image du tourbillon qu’a été la vie d’Arletty.
Cela demande une grande précision, minutie de la part de tous et de travailler dans l’exigence pour que le spectateur ne voit pas les coutures et les contraintes!
Tout d’abord j’ai eu la chance de travailler avec une distribution magnifique : Céline Esperin, Elodie Menant, Cédric Revolon et Marc Pistolesi.
Mais nous avons du travailler les acteurs et moi, étroitement avec les collaborateurs artistiques (Marion Rebmann pour les costumes, Mehdi Bourayou pour le son, Cyril Manetta aux lumières, et Johan Nus pour les chorégraphies) et en harmonie avec leurs propositions. La difficulté était de coordonner toute cette belle équipe vers la même vision visuelle et rythmique.
Je demande toujours aux acteurs de « prendre le temps d’aller vite », « de nos pas confondre vitesse et précipitation »… Le corps est au coeur du travail que je mène avec les acteurs et nous cherchons ensemble à traduire l’émotion en action afin de la transmettre au public.
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“Tu seras un homme”
Tu seras un Homme papaest une histoire vraie. C’est autour de la couveuse de Roman, né prématurément, que va se tisser ce récit bouleversant d’une famille mise à l’épreuve 13 jours durant. Sur scène, Gaël Leiblang nous plonge dans le journal de bord d’un père qui se bat pour trouver le chemin de la résilience.
Interview de Gael Leiblang, auteur et acteur.
Trait d’Union : Sujet fort en émotion et très dur. Pourquoi décidé de faire de la pire des épreuves que l’on peut subir une pièce de théâtre ?
Gael Leiblang : C’est parce que je souffrais de ne pas pouvoir partager et raconter la trop courte vie de notre fils, le décès à l’âge de 13 jours de notre fils Roman, que j’ai décidé d’écrire l’histoire de sa vie. Au fur et à mesure de l’écriture le texte s’est dirigé vers une pièce de théâtre. Au côté d’un ami d’enfance, Thibault Amorfini, metteur en scène, je suis monté sur le plateau pour ce seul en scène.
Il y a aussi un tabou dans la société autour de la question du deuil périnatal. Un silence pesant entoure les décès des bébés. Même si c’est très dur, il est important de faire vivre leur histoire, d’être fier et heureux de leur existence.
Pourquoi ce parallèle avec le sport ?
Parce que le sujet est éprouvant, il fallait trouver une métaphore afin de donner de la distance au texte et d’y trouver une poésie.
Etant moi-même le fils d’un ancien journaliste sportif, j’ai tiré le fil du sport, des épreuves sportives, comme des épreuves de la vie que l’on doit surmonter. Prendre des coups et se relever. Sprint, marathon, combat de boxe, canoë dans les rapides, autant de moments physiques qui racontent la douleur physique et psychique d’une telle épreuve de vie.
Quel est le message que vous souhaiteriez que le public garde en sortant de cette pièce ?
Un message d’optimisme car la vie est plus forte que tout. Roman m’a permis de monter sur scène, chose que je n’avais faite avant puisque je ne suis pas comédien de formation. Nous avons eu une petite fille également à la suite de ce drame, Gabrielle qui est notre troisième fille.
J’espère aussi que les gens feront l’effort de discuter avec des personnes qui ont perdu un enfant. N’ayons pas peur, n’ayons pas honte. Il n’y pas de moments plus forts pour un parent endeuillé de nommer le prénom de son bébé trop tôt disparu.
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“Signé Dumas”
Un spectacle sur la querelle entre Alexandre Dumas et son fidèle collaborateur Auguste Maquet, au sujet de la paternité de d’Artagnan ou de Monte-Cristo. Nous sommes au cœur de la Révolution de 1848, alors que des prises de position politique (Dumas est royaliste, Maquet, républicain) vont pour une fois opposer violemment les deux partenaires.
Interview de Tristan Petitgirard, metteur en scène.
Trait d’Union : Pourquoi avoir choisi de remonter cette pièce?
Tristan Petitgirard : Avant tout car c’est un excellent texte qui n’avait été joué qu’une seule fois. Il a une grande force dramatique, comique, humaine. Et puis j’ai toujours été un amoureux fou d’Alexandre Dumas. Alors j’étais curieux de le mettre en scène face à ses doutes et son autre plume… En outre, j’aime profondément les belles et grandes partitions pour les acteurs et là nous avons une joute merveilleuse. Et puis, il se trouve que la révolution de 1848 décrite dans la pièce fait étrangement écho aux mouvements sociaux de notre époque en France … je devais peut être les pressentir (rires) lorsque j’ai choisi ce texte. En tout cas, il est on ne peut plus d’actualité et reste avant tout une grande pièce de théâtre.
Vous faites le parallèle entre Dumas et son “porte plume”, Maquet et une crise de couple. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ils se voient tous les jours, doivent se rendre des comptes. Il y a le dominant, le dominé. Celui qui admire plus que l’autre. Celui qui rêve d’être reconnu, d’être écouté. La mauvaise foi, les rancoeurs ont grandis… C’est en fait la séparation de deux êtres qui ont beaucoup plus d’affection l’un pour l‘autre qu’ils ne veulent le reconnaître. A eux deux : ils ne sont qu’un. Ils se tiennent la main, la plume… Ils ont besoin l’un de l’autre. Et portant quand les sentiments prennent le pas sur la raison, le conflit éclate !