Culture

« ART-DECO, The France-China Connection »

Dans le cadre du Festival de la francophonie 2019, le consulat de France et City University proposent une remarquable exposition multimédia, sur l’Art déco et les influences croisées qu’ont eu la France et la Chine sur ce mouvement. Réunissant plus de 300 pièces provenant de musées, d’institutions, ainsi que de collectionneurs privés, elle invite le visiteur à un voyage au temps des Années folles. Rencontre avec 

Dr. Isabelle Frank, co-commissaire de l’exposition. 

Propos recueillis par Isabelle Chabrat

Trait d’Union : L’Art déco est un mouvement officiellement né en France en 1925. Comment est-il arrivé en Chine ? 

Isabelle Frank : L’Art déco est le premier style global et international, il voyage partout. Le point de départ est l’ «Exposition Internationale des arts décoratifs et industriels modernes » en 1925 à Paris; les commerçants viennent du monde entier, et au moins 100 pays sont représentés. C’est un style qui plaît à tous. Même les américains qui n’ont pas de pavillon envoient une délégation de 60 personnes.

A la suite de cette exposition, tout le monde embauche des artistes français, c’est un moyen d’acquérir le style directement. Par ailleurs, Paris ville internationale, attire ceux qui veulent être artiste, architecte, designer : ils apprennent donc l’art déco. Une fois rentrés chez eux, ils commencent donc à diffuser partout ce style qui est déjà reconnu et apprécié : Amérique du sud, Amérique du Nord, Asie, Europe.

En Chine, la situation est particulière : juste après la fin de la dynastie Qing, le premier président Sun Yat-sen est très ouvert aux Européens, il aime la France, et il y a des artistes chinois à Paris. Par ailleurs, avec toutes les concessions étrangères, pas seulement françaises, Shanghai est le port d’entrée pour toutes nouveautés. Les bateaux de croisière eux-mêmes sont des vecteurs de l’art déco, parce qu’ils vendent leurs voyages en vendant le style français; les passagers peuvent aussi acheter des objets art déco à bord des navires . Tout cela fait que ce style s’exporte et se diffuse partout : on retrouve la même histoire dans une vingtaine de pays. Par exemple, le prince Yasuhiko a tout de suite fait construire une villa art déco à Tokyo qui existe toujours. 

L’affiche de l’exposition représente une sculpture d’un bas-relief pour la façade des Folies Bergère, en quoi est-ce un symbole ?

Les Folies Bergère sont une tentative novatrice en France d’avoir des spectacles ouverts à tous, même si cela restait très cher pour les classes populaires. Joséphine Baker en était une des danseuses et égéries, elle était très connue pour ses performances. 

La pièce que nous exposons est une esquisse qui a servi ensuite pour le motif en grand sur les bas-reliefs. C’est une danseuse russe des Folies Bergère qui a servi de modèle. Et on voit très clairement comment le style art déco a transformé, stylisé la représentation de cette danseuse : l’artiste Paul Picaud, alias Pico, a changé l’alignement, il a rallongé les jambes, il a aplati le corps, il a rajouté deux ou trois lignes qui n’existent pas pour créer une surface, où on peut lire le mouvement de la silhouette. Elle est placée contre quelque chose qui semble vivace, avec des ornements un peu partout, mais quand on regarde de près on voit que c’est très organisé. 

De nombreux éléments relatifs à l’image de la femme moderne sont présentés. Un nouveau style s’est-il développé là aussi ?

Après la première guerre les femmes travaillaient à des niveaux très différents, pas juste des ouvrières comme au 19e siècle, et donc elles sortaient, elles conduisaient, elles étaient même « soit disant » pilotes de l’air, elles fumaient… tout le commerce de produits de beauté, s’est révélé être une source incroyable de richesse pour beaucoup de gens, et ce qui est très intéressant c’est le croisement du marketing, du business, et du secteur de la beauté qui s’est développé à ce moment-là. Les couturiers « haut de gamme » ont compris qu’ils pouvaient vraiment travailler pour d’autres commerces. Et tous ont vu qu’ils pouvaient utiliser les artistes art déco, les designers pour fabriquer des produits avec des vues très individuelles, des styles très différents. Par exemple, c’est la forme même du flacon de parfum qui devient l’ambassadeur de la marque. 

Une anecdote amusante, le rouge à lèvres… 

Le rouge à lèvres, était porté depuis quelques années déjà, c’était vu comme une chose respectable grâce à l’industrie du cinéma. Le diamètre des tubes était beaucoup plus mince. Or il y avait encore toutes ces usines pour fabriquer les balles des pistolets pour la Première guerre, qui utilisaient des outils avec un diamètre entre 6 et 9 millimètres. Les industriels ont eu l’idée géniale d’utiliser cela, et donc tous les rouges à lèvres de cette époque avaient des diamètres équivalents à celui d’une balle ! Un autre bel exemple du croisement à cette époque entre le business et l’univers de la femme.

Vous présentez aussi la statue pour le mausolée de Sun Ya-Tsen, quelle est son histoire ?

Très peu de gens savent qu’elle a été faite par un sculpteur français. A sa mort en 1925, une délégation chinoise est venue à Paris, avec son fils, rechercher le sculpteur pour le mausolée qui est à Nanjing. Ils ont choisi Paul Landowski qu’ils avaient vu à l’exposition et qui était très connu – c’est lui qui a aussi réalisé le Christ qui surplombe Rio. Les Chinois ne le savent pas forcément, mais il y a eu cette intersection vraiment très importante de l’art déco avec leur histoire culturelle. C’est Landowski qui aurait insisté pour que Sun Ya-Tsen  soit représenté avec un costume traditionnel chinois, alors qu’il portait toujours un costume occidental. Il adorait la France et son fils a fait construire aussi une villa style art déco à Shanghai qui n’existe plus.

Résolument moderne, l’art déco utilise l’élégance des lignes, la sobriété et la géométrie. Quel a été l’apport de la Chine à ce mouvement ? 

Les artistes français regardaient autour d’eux en cherchant un nouveau style ; ils étudiaient d’abord les styles français d’autres époques, mais ils cherchaient aussi vraiment des savoir-faire et des idées d’autre pays. La Chine avait eu une grande influence au cours des siècles précédents et ce qu’ils appréciaient vraiment chez les artistes chinois, c’était la simplicité de leurs meubles, et le focus sur le matériau lui-même. Quand on regarde les meubles d’Emile-Jacques Ruhlmann, ce sont le bois et les motifs du bois qui créent la décoration, qui sont sélectionnés pour créer des lignes très simples. 

L’apport des Chinois serait donc les lignes et les matériaux ?

Oui, le bois, la céramique, la poterie, la laque bien sûr…ce sont des artistes chinois qui étaient à Paris qui ont transmis la méthode de laque que les Français recherchaient depuis le 18eme. A ce moment-là, les Français s’y mettent et ils apprennent comment le faire avec les 20 couches etc…ensuite ils simplifient, ils en font quelque chose de différent.

Les proportions aussi sont chinoises : une table basse ça ne se voyait jamais en France avant… 

Comment la Chine l’a-t-elle interprété, y-a-t-il des spécificités de l’art déco chinois ?

Oui, en regardant les meubles de Shanghai que nous exposons on peut le voir : ce sont vraiment des productions art déco chinoises. Ils y ajoutent leur patte : formes simples, géométrie, quelque chose de très stylisé, mais la décoration revient; elle est contrôlée, elle n’est pas partout, mais il y a ajout d’ un décor typiquement chinois que les Français ne feraient jamais. Comme à chaque fois l’art déco intègre le vocabulaire décoratif du pays où il s’implante : on trouve le style chinois, le style brésilien, le style japonais etc…

C’est une des raisons du succès : pouvoir assimiler très facilement les autres vocabulaires. 

L’art déco est plus discret à Hong-Kong. Où peut-on le voir ?

A Hong-Kong ce n’était pas plus discret, mais cela a disparu. Il y en a eu autant, et on trouve encore quelques villas art déco, mais privées et relativement cachées.

 

ART-DECO, The France-China Connection

Jusqu’au 30 juin 2019, entrée libre 

City University Exhibition Gallery, 

(Lau Ming Wai Academic Building, City University)

Métro : Kowloon Tong