Economie

Affaires à suivre #8 : Vous avez dit Bitcoin?

Ces dernières semaines ont été pour le moins tumultueuse pour le Bitcoin. Après le cap des 7.000 dollars en octobre, novembre est à la hausse avec, au moment de la rédaction de cet article, un pic à 8.200 dollars et une prévision atteignant les 14.000 dollars dans les prochains mois. En Chine, cependant, la monnaie virtuelle a subi un retour de flamme cuisant, et ce à plusieurs niveaux. Alors, la relation entre la Chine et les monnaies virtuelles se compliquerait-elle? Oui, mais…

Par Dr Antoine Martin*

 

Pékin a récemment mis en place une série de mesures prévues pour stopper net la croissance du marché des monnaies virtuelles en Chine. D’une part, les ICOs (Initial Coin Offerings) ont été interdites. D’autre part, les plateformes de trading dédiées à l’échange des monnaies virtuelles ont été bannies.

Dans le modèle traditionnel de financement d’une entreprise, les IPOs (Initial Public Offerings) sont un moyen classique d’obtenir des fonds auprès du public, en échange de parts. Dans le domaine des monnaies virtuelles, les IPOs sont devenues des ICOs et ont un but principal qui n’est autre que de financer la création d’une nouvelle monnaie. Un peu comme si le créateur d’une monnaie virtuelle utilisait Kickstarter pour annoncer la création d’une monnaie, et que ses futurs utilisateurs achetaient cette monnaie pour pouvoir l’utiliser plus tard, d’une manière ou d’une autre.

Sauf qu’en réalité, ces monnaies qui fleurissent sont d’avantage utilisées d’une manière que d’une autre. En théorie, celles-ci sont censées devenir un moyen d’échange de valeur – puisque tel est le rôle d’une monnaie. En pratique, l’acquéreur compte surtout sur la hausse du prix de cette nouvelle devise achetée à bas prix, comme cela a été le cas pour le Bitcoin. En somme, le marché est devenu une bulle spéculative qui grossit.

Problème, l’investisseur Chinois ayant le goût du risque, de nombreux investissements ont été réalisés dans des ICOs que Pékin décrit comme frauduleux. Par ailleurs, les plateformes de trading sont devenues un moyen simple et efficace de changer des yuans en dollars, ce qui ne fait pas les affaires de la Banque centrale à une époque où la fuite des capitaux est un problème.

Donc, pour limiter les risques liés à une bulle spéculative – on se souvient des turbulences subies par la Bourse de Shanghai l’an dernier – le holà a été mis sur les ICOs et sur les plateformes, qui sont maintenant fermées.

Pour autant, la démarche a fait froncer quelques sourcils.

Alors que le but annoncé était d’arrêter une folie spéculative tout en limitant la fuite des capitaux, les spéculateurs se sont tournés vers des plateformes à l’étranger, auxquelles Pékin n’a plus accès.

Plus significativement, cependant, la démarche à attiré l’attention sur d’autres motifs qui, eux, sont bien plus intéressants, pour ne pas dire politiquement ambitieux.

D’une part, l’interdiction des ICOs et des plateformes de trading coïncidait avec le congrès du Parti, au cours duquel un message a été lancé en matière de corruption. Si l’on considère que le Bitcoin était un moyen facile pour blanchir un argent pas forcément très propre, bannir le Bitcoin était un moyen de s’attaquer au problème.

La véritable ambition ne réside pas dans la lutte contre la corruption, cependant. Non, loin de là, la démarche de Pékin s’intègre dans un plan que l’on pourrait peut-être qualifier de révolutionnaire: la nouvelle n’est pas vraiment nouvelle, Pékin investit dans l’élaboration d’une monnaie virtuelle Made in China.

Alors que le principe de base des monnaies virtuelles est la création d’un système d’échange dit “décentralisé” car dépendant d’un réseau de serveur empêchant toute interférence étatique (les connaisseurs du Blockchain apprécieront), Pékin planche à la création de la première monnaie virtuelle centralisée, contrôlée par la Banque centrale.

Un fin moyen d’encadrer la spéculation, un moyen alternatif de canaliser les flux de capitaux peut-être aussi.

Mais, surtout, après l’intégration du Yuan dans le panier des monnaies de référence du Fond monétaire international (FMI) l’an dernier, créer la première monnaie souveraine virtuelle semble être une opportunité sans précédent de positionner la Chine comme un leader mondial en matière de crypto-currencies.  Après tout, dans un monde où les flux financiers sont maintenant devenus virtuels, pourquoi ne pas devenir très concrètement un leader de l’immatériel?

Affaire à suivre…

 

* Dr Antoine Martin est universitaire (The Chinese University of Hong-Kong) spécialiste des sujets de mondialisation et de négociations commerciales internationales . Il dirige par ailleurs ‘The Asia-Pacific Circle’, un groupe de réflexion spécialisé dans le suivi des tendances touchant la région Asie-Pacifique. Pour plus d’informations: www.asiapacificcircle.org