Culture

Acteur français en Chine, un marché de plus d’un milliard de spectateurs

 

Né à Moscou en 1976, polyglotte (français, russe, italien et anglais), le Français Philippe Joly décide d’entamer il y a six ans une carrière d’acteur en Asie. Passionné depuis son plus jeune âge par le cinéma, Philippe apprenait par cœur les monologues de ses films favoris pour perfectionner son anglais, mais surtout pour amuser ses amis. Ce choix d’acteur tardif est pour lui « une seconde vie », après une première vie professionnelle passée loin du cinéma. Aujourd’hui installé à Hong-Kong, Philippe Joly organise son temps entre les tournages en Chine et à Hong-Kong et le travail sur ses propres projets cinématographiques. Rencontre avec un acteur hors du commun.

Propos recueillis par Catya Martin

Trait d’Union : Tout a commencé à Hong-Kong.

Oui, c’est ici, il y a six ans, que j’ai eu l’opportunité de suivre ma passion. Un jour, par hasard, j’ai vu une annonce pour jouer un gangster russe dans un film indépendant. Je suis allé à l’audition. J’ai été rappelé plusieurs fois, et finalement, sûrement plus pour récompenser ma ténacité que mon talent, le réalisateur, Lawrence Gray, m’a offert un rôle d’assassin dans son film Lust & Found. J’ai alors passé plusieurs mois en immersion complète dans la production de ce film, auquel j’ai fini par contribuer bien plus qu’avec juste mon jeu d’acteur.

C’est-à-dire ?

J’ai aidé à la production et j’ai créé la chorégraphie des bagarres entre autre.

Cette expérience m’a ouvert les yeux sur l’industrie du film vu de l’intérieur, et j’ai compris que c’était un monde dans lequel je me sentais bien, et donc une carrière que je voulais explorer.

Je ne me suis plus arrêté depuis. J’ai tourné une trentaine de films en tant qu’acteur, et écrit, produit et réalisé quelques courts métrages et films indépendants.

Quel est votre parcours ?

J’ai un parcours plutôt atypique. Je suis né à Moscou, mais j’ai grandi en banlieue parisienne et ensuite à Paris. A 20 ans, on m’a offert un travail de consultant pour une petite entreprise française qui m’a envoyé en expatriation au Kazakhstan. Cette mission loin de la France a été un point tournant dans ma vie, ce fut le début d’une vie d’adulte passée dans son intégralité à l’étranger.

Après le Kazakhstan, je me suis installé en Irlande où j’ai vécu dix ans. Je travaillais comme manager dans des multinationales, mais bien que le management me plaise, j’avais cet esprit d’entrepreneur qui bouillonnait en moi, et qui ne demandait qu’à s’exprimer.

Le boom économique irlandais fut l’environnement parfait pour me donner la motivation de quitter le monde des corporates, et créer ma première société. Pendant une dizaine d’années, j’ai créé des startups qui m’ont emmené vivre d’Irlande en Italie, un bref passage par Singapour, et finalement à Hong-Kong.

Que vous a apporté l’Asie ?

En Asie, j’ai découvert un monde d’opportunités jusque-là inimaginables, dont celle de vivre ma passion et devenir acteur dans un marché de plus d’un milliard de spectateurs. Après quelques films à succès et quelques rencontres clés, j’ai décidé de m’impliquer dans le monde du cinéma, de l’écriture de scénario à la production, la réalisation et au jeu d’acteur.

Je reste cela dit toujours présent dans le monde des startups à Hong-Kong, mais le cinéma est devenu ma carrière à plein temps. Une carrière dans laquelle je mets toute mon énergie et ma passion. Comme on dit, “trouvez un travail qui vous plaît, et vous n’aurez plus jamais besoin de travailler un autre jour dans votre vie”.

On vous retrouve souvent dans des rôles de « méchants ». Est-ce une volonté de votre part ?

Au début, il s’agissait de prendre tous les rôles disponibles pour accumuler l’expérience, et augmenter ma visibilité. Mais j’ai très vite réalisé qu’il y avait un marché très spécifique ici, et que mon style, mon jeu, et mon visage plaisaient pour un certain type de rôles de méchants. La dynamique en Asie est telle, que la majorité des films sont des films d’action, et que les acteurs caucasiens jouent souvent le rôle du méchant face au héros joué par un acteur asiatique. Une fois cette niche identifiée, je l’ai volontairement cultivée pour devenir le premier choix de méchant dans l’esprit des réalisateurs et producteurs locaux.

Vous mourrez donc souvent ?

Oui. Une petite anecdote sur le sujet. Effectivement je meurs très souvent à l’écran, et cela m’a fait découvrir non seulement le monde de la cascade qui me fascine, mais aussi des petites traditions comme celle de l’enveloppe rouge. Lorsqu’un acteur se fait tuer dans un film à Hong-Kong, il est de tradition de lui donner une petite enveloppe rouge avec un montant symbolique à l’intérieur, pour lever la superstition. C’est un beau geste et j’ai eu le plaisir de recevoir beaucoup de ces enveloppes.

Vous avez croisé la route d’acteurs célèbres comme Jackie Chan, Jean-Claude Vandamme ou encore John Cusack et Adrian Brody. Sont-ils des références pour vous ?

Jackie Chan et Jean-Claude Van Damme ont été présents durant toute mon adolescence car je faisais beaucoup d’arts martiaux et comme tous les gamins de mon âge, ma chambre était couverte de posters de Bruce Lee ou encore de Van Damne. Je regardais tous les films d’arts martiaux disponibles. Je dois avouer qu’à l’époque l’aspect comédie des films de Jackie Chan me plaisait moins que le réalisme des autres films d’action de l’époque. Mais en grandissant j’ai eu accès à d’autres films de Jackie Chan qui ne passaient pas à la télé en France, comme Police Story, Rumble In The Bronx, Drunken Master, et je suis devenu fan.

Autant vous dire que de le rencontrer pour la première fois, et travailler avec lui pendant plus d’un mois dans le désert de Gobi sur Dragon Blade, fut un immense plaisir personnel et professionnel. De même, travailler avec Jean-Claude Van Damme sur le film Pound Of Flesh, fut une expérience mémorable.

Pour ce qui est d’Adrien Brody et John Cusack, aucun des deux n’était une référence pour moi, même si j’ai adoré Adrien Brody dans Le Pianiste, et ai apprécié Cusack dans un certain nombre de films. Mes références sont plutôt Robert De Niro ou Jack Nicholson. J’ai découvert Christophe Walz que je trouve exceptionnel, et pour rester français, j’ai toujours été un grand fan de Jean Gabin et des dialogues d’Audiard. Les films de gangster et les dialogues bien écrits m’attirent, Quentin Tarantino et Martin Scorcese sont de grandes références pour moi.

Quels sont les meilleurs et pires moments de tournage ?

Les meilleurs moments sont souvent entre les prises, l’ambiance, les dîners, les rigolades. J’aime beaucoup les rencontres lors des tournages, et les endroits magnifiques.

J’ai passé des moments particulièrement agréables sur le tournage de mon dernier gros film en Chine Ultimate Code dans lequel je joue le rôle principal du méchant, évidement. Le film sortira début 2019. Lors du tournage, j’ai rencontré le fondateur du Parkour, et acteur français, David Belle. Une belle amitié s’est créée.

Je n’oublierai jamais avoir dîné avec Jackie Chan, ou échangé quelques blagues autour d’un café avec Jean-Claude Van Damme. Ou même avoir rencontré, au fin fond de la Chine, l’actrice et chanteuse français Lorie, lors d’un tournage, ou nous avions une scène à cheval ensemble.

Pour ce qui est des pires moments, le premier qui me vient à l’esprit est le tournage de Ghost In The Shell. Je jouais un des soldats qui doit arrêter Scarlett Johansson dans une scène. Nous sommes sept, on nous a coupé les cheveux en coupe militaire, rasé de près, et mis des implants futuristes derrière l’oreille. Pendant deux jours, nous avons répété le maniement d’armes, les positions etc.. Le jour du tournage, le réalisateur a décidé de nous mettre des masques à tous. Nous avons donc tous le visage caché, les dialogues ont aussi été coupés, et tout l’intérêt d’être dans un film hollywoodien avec Scarlett Johansson fut perdu. Cela a été un moment de grosse frustration.

Quel est le film dont vous garderez un souvenir fort ?

Un film du réalisateur hongkongais Juno Mak, Sons Of The Neon Night. Nous avons tourné en septembre 2017, mais le film ne sortira que début 2019. Je suis impatient de voir le résultat final. Je joue Enzo, et je parle italien dans toutes mes scènes. Ce fut assez difficile de jongler constamment entre l’anglais, le chinois (débutant) et l’italien pendant dix jours. Mais ce tournage fut très agréable. J’ai le plaisir d’être en face de pointures du cinéma asiatique telles que Takeshi Kaneshiro, Tony Leung ka-fai, Sean Lau, et Louis Koo.

Un autre bon souvenir, fut le film Abduction qui sortira bientôt, avec Scott Adkins et Andy On, dans lequel je joue un mafieux russe. C’est toujours un grand plaisir de travailler avec le réalisateur Ernie Barbarash avec qui j’avais déjà travaillé sur Pound Of Flesh.

Quelle est votre actualité du moment ?

Je suis en attente de réponse pour plusieurs rôles dans de gros films en Chine et à Hong-Kong. Les auditions sont toutes faites, maintenant c’est la phase d’attente, qui peut être assez longue et frustrante. Mais il ne faut pas s’endormir sur ses lauriers, donc je reste actif avec un certain nombre de projets.

Je coproduis une série TV pour Rugby Asia Channel sur Setanta Sports/NowTV. Il s’agit d’une sitcom qui s’appelle “Gweilo RFC”, qui traite de la création d’une équipe de rugby un peu atypique à Hong-Kong. Nous avons potentiellement une audience de 52 millions de spectateurs dans 16 pays asiatiques, ce qui rend ce projet intéressant et nous aide dans notre recherche de sponsors pour financer le reste de la série.

Comment voyez-vous votre carrière dans 10 ans ?

Je pense passer de l’autre coté de la caméra, en production peut-être. Je continuerai à jouer pendant très longtemps car j’adore ça, mais je pense que je serais impliqué de plus en plus comme producteur, ou réalisateur.

J’aimerais aussi contribuer à l’amélioration de la législation, des salaires minimums, et des protections pour les acteurs (occidentaux en particulier), car il n’y a vraiment aucune règle pour le moment, et je vois beaucoup d’abus qui pourraient être évités avec une législation plus forte. J’aimerai aussi tourner quelques films en France, en français. Ma carrière d’acteur est complètement anglo-saxonne, mais mes influences en grandissant ont été françaises avec Audiard, Gabin, Ventura, Belmondo, Blier ou encore de Funès, et la liste est longue. J’aimerais bien dans les prochaines années revenir un peu aux sources