Chronique

2021 dans la…

Quel est le point commun entre Serge Gainsbourg, la fleur de lotus, un traitement préconisé pour soulager les douleurs articulaires, Michel Delpech, un sport-spectacle d’origine californienne, Voltaire, la mythologie d’Europe de l’Est, la diffamation, et la capitale de la Malaisie (enfin une des deux capitales, parce que oui, la Malaisie en a deux) ?

Par Stéphanie Delacroix

Et non, auteur-compositeur-interprète français ne marche pas pour Kuala Lumpur…ni pour Voltaire !

C’est…c’est…la…b…la boue !

La boue, la gadoue, la fange, la bourbe dans laquelle on s’embourbe par exemple quand on essaye de justifier l’intérêt sportif des combats de boue (spectacle purement érotisant déguisé en sport de combat, né dans les années 30 sur la côte Est des USA), quand on a traîné quelqu’un dans la boue et qu’en fait elle ou il était innocent.e. 

La boue qui précédée d’un « é » privatif donner ébouer (enlever la boue) et donc éboueur.

La gadoue chantée par la pétulante Petula Clark en 1966, sur un texte écrit par l’homme à la tête de chou avec une des rimes les plus improbables de la langue française : abominable et imperméable. 

Les anglophones disent « as clear as mud » pour dire qu’une explication n’est pas claire, ce qui n’est le cas de la chanson « Le Loir et Cher », métaphore sur la fracture entre ruraux et citadins écrite en 1977 par l’auteur de « Pour un flirt avec toi », et dont la star est la boue.

La boue c’est de la bonne matière à métaphores parce que c’est sombre et gluant, on ne voit pas ce qu’il y a en dessous, dedans…ça peut être sale même si ça n’a aucune raison de l’être. C’est aussi la matière première de la planète Terre (avec majuscule), un petit tas de terre (sans majuscule) justement, une boule de boue sèche pas loin du soleil (mais si le soleil voyons, une des centaines de milliards d’étoiles de « notre » galaxie, la Voie lactée). La Terre, « notre » tas de boue habité par des terriens composés à 97% de poussières d’étoiles, et dont l’espèce dominante, l’être humain, se comporte comme si le tas de boue était le sien et qu’elle avait d’autres tas de boue à coloniser une fois celui-là dévasté. Voltaire le faisait déjà dire à Zadig, « …les hommes tels qu’ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue », et cela longtemps avant les découvertes sur les origines de la matière.

Certains humains, qui passent probablement le reste de leur vie à éviter la boue, s’offrent d’ailleurs des bains de boue dans des établissements dédiés au bien-être, spas, cures thermales etc. mais pas pour se laver hein, pour se soigner ou se ressourcer. 

Parce que comme tout le monde le sait, seuls les cochons (et les rhinocéros et les hippopotames…) sont assez « bêtes » pour se laver en se roulant dans la boue…même si en fait, les rares cochons assez chanceux pour avoir accès à de la boue (chanceux comme les humains qui ont accès aux cures thermales et spas) le font pour se rafraichir, se protéger du soleil, se débarrasser des parasites et d’après une étude de 2018 parce que c’est nécessaire à leur bien-être. Le bien-être du jambon ! Bah voyons ! Comme si les animaux que les humains traitent comme des objets pour les manger (70 milliards par an…juste pour les animaux terrestres, avec les autres c’est autour de 3000 milliards, ça en fait des zéros et du sang) pouvaient avoir des sensations, des émotions, des sentiments, des copains (copains comme quoi déjà) …voyons, voyons…

Je ne sais pas si les habitants de KL l’estuaire (Kuala) boueux (Lumpur) apprécient les bains de boue à leur juste valeur, mais je pense qu’ils désapprouvent l’usage de l’expression « your name is mud », qui littéralement signifie « ton nom c’est de la boue » et désigne quelqu’un qui traîne des casseroles.

En malais comme en indonésien « boue » se dit donc « lumpur » alors qu’en balinais, la boue aussi se dit buug, et on ne trouve pas que ce soit sale, bien au contraire, le riz pousse dans la boue, puisque la boue c’est de la terre et de l’eau. 

Le lendemain du jour de l’an Balinais (Nyepi, au mois de Mars) il y a d’ailleurs une tradition le Mebuug-buugan, qui consiste à aller s’enduire collectivement de boue pour se purifier des mauvaises énergies accumulées l’année précédente, et il est fort possible que cela fonctionne, en effet quoi de pire pour les mauvaises énergies qu’une journée entre proches à rigoler en passant un bon moment un peu régressif en pleine nature ! Essayez demain, le 2 janvier c’est le lendemain du jour de l’an aussi non ? 

Vous pouvez aussi essayer de faire un Golem, un peu de boue façonnée en bonhomme, un petit rouleau d’instructions dedans et un mot sur son torse אמת : emeth (« vérité ») pour lui prêter la vie, vie qu’on oubliera pas de reprendre en effaçant la première lettre du mot, ce qui donne le mot מת, meth , (« mort »), pratique l’hébreu non ? L’inverse de la vérité c’est la mort…

Pour une dose de sagesse encore plus orientale, il y a la métaphore bouddhiste dite du lotus, cette fleur si joliment définie par Sylvain Tesson : « Le lotus : un baiser que la boue adresse au ciel. » Et oui, le lotus (comme le riz) pousse uniquement dans la boue, et pourtant ses fleurs sont belles pures, blanches ou roses, et délicates. La boue dans cette métaphore symbolise la souffrance qui est nécessaire à tout accomplissement…la souffrance du changement, de l’échec, de la progression, des choix …un peu comme si le bonheur était un effet secondaire de la bonne gestion des souffrances inhérentes à la vie.

Sur ces (bonnes ?) paroles, je vous souhaite pour cette année 2021, d’avoir le courage de faire les choix qui vous permettront de vous sentir bien, c’est à dire en adéquation avec vos espoirs et valeurs qui sont à n’en pas douter la vérité, la paix, l’altruisme…